Samedi en début de soirée, après
que F. soit revenu du boulot et moi de ma virée shopping à Bologna, nous avons
fait nos sacs à dos et sommes embarqués dans la voiture. Direction :
Fellicarolo. Nous avions projeté de passer la nuit au chalet de l’oncle de F.
afin de partir très tôt le lendemain matin pour le Monte Cimone, que nous
avions pour but de grimper.
Sur la route vers la montagne,
nous avons téléphoné aux deux seuls restaurants de Fellicarolo pour savoir si l’on
pouvait s’y arrêter pour souper. Le premier nous a répondu qu’il était déjà
complet (à chacun sa définition du mot « complet » : nous sommes
arrivés là-bas et il y avait à peine trois ou quatre tables d’occupées sur la
vingtaine disponibles) ; le second nous a dit qu’il nous accueillerait avec
plaisir, nous spécifiant par contre que nous devrions nous contenter du menu
fixe. Pas de problème.
Ce restaurant où nous nous sommes
posés pour le repas n’est pas à proprement parler un « restaurant ».
C’est une auberge tenue par un pilote d’avion à la retraite qui accueille les
voyageurs et qui leur offre également de quoi se restaurer. L’endroit est
ouvert « sur demande ». Tu ne peux pas te présenter là à l’improviste
et demander à voir le menu. Il n’y a pas de menu. Tu manges ce que la femme de
l’aviateur a décidé de préparer ce soir-là et tu fermes ta gueule.
Nous sommes arrivés et une table
pour deux avait été dressée à notre intention. L’endroit était vide. L’aviateur
et sa femme regardaient la télé. Quand nous avons passé le seuil de la porte,
ils ont éteint le téléviseur et nous ont chaleureusement invités à nous
asseoir. La dame s’est dirigée vers les fourneaux et le pilote nous a expliqué
ce qu’il y avait au menu. En fait, pour le primo
piatto, nous avions le choix entre deux types de pâtes et un risotto aux
fruits de mer pas piqué des vers, selon notre hôte. Comme j’avais mangé un
risotto pour dîner, nous avons opté pour les farfalle al ragù. « E il vino, bianco o rosso ? » Ici, on
ne vous demande pas si vous voulez du vin, on vous demande si vous le voulez
rouge ou blanc.
Les pâtes goûtaient le métal. Nous
avons tout mangé. Pas parce que c’était bon, mais parce que nous avions faim et
que l’aviateur était assis juste à côté de nous, à nous regarder bouffer. La
télé était éteinte, il n’y avait ni musique ni d’autres clients pour le
distraire. Tous ses regards étaient donc tournés vers nous. Pas trop le choix
de lui faire la conversation. F. s’en est chargé. Moi, j’arrivais difficilement
à comprendre ce qu’il marmonnait, puisque sa moustache mangeait tous les mots
qui sortaient de sa bouche.
A suivi le secondo, qui consistait en quelques tranches de bœuf trop cuit dans
un jus brun et des cubes de pommes de terre cuits au four. Ordinaire. Le vin,
quant à lui, était potable. Par contre, pas moyen de savoir de quoi il
s’agissait exactement. Un Merlot, un Sangiovese, un Montepulciano, allez
savoir ! L’aviateur nous l’a servi dans une vieille bouteille couverte de
traces de doigts, à l’étiquette décollée. On l’a bue pour oublier que ce que
nous mangions là était loin d’être le meilleur repas de notre vie. Ça goûtait
mon enfance en fait. La viande trop cuite, le sel et le poivre comme seules
épices, les légumes pratiquement absents de l’assiette. De la bouffe de matante
qui fait à manger parce que c’est son rôle de femme au foyer, pas parce qu’elle
est transportée par la passion de la bonne chère. Mais bon, à douze euros par
tête de pipe, on ne chiale pas trop.
Rendus au chalet, nous avons étudié
un peu la carte des sentiers du Monte Cimone et décidé du parcours que nous
voulions faire le lendemain. Nous nous sommes couchés très tôt, parce que nous
voulions nous lever à 6h30 et, surtout, parce qu’il n’y a pas grand-chose à
faire à la montagne, une fois que le soleil est couché.
Dimanche matin, avant de partir,
nous avons cueilli quelques légumes frais dans le jardin afin d’avoir des
crudités pour accompagner nos sandwichs, nous avons bouclé les valises et pris
la direction du village de Sestola,
le plus grand village du coin, avec ses quelques 2 600 habitants. Le sentier
que nous voulions prendre était censé partir de là. Heureusement, nous sommes
arrêtés à l’information touristique – qui était étonnamment ouverte, un
dimanche matin à 8h00 ! – ; la jeune femme nous a expliqué qu’il
valait mieux monter encore un peu avec la voiture pour rejoindre le Lago della Ninfa (lac de la nymphe) ou
le Passo del Lupo (passage du loup),
car juste cela, c’était douze kilomètres. Il faut croire que F. et moi ne
savons pas vraiment lire des cartes, ce n’est pas du tout cela que nous avions
compris !
Avant de partir pour le Lago della Ninfa, nous avons pris le
petit déjeuner dans un bar (ici, dans un bar, on ne boit pas seulement de
l’alcool, mais aussi et surtout du café, et on mange des panini, des dolci et des gelati). On aurait bien aimé bouffer un
deux-œufs-bacon, histoire de faire le plein de protéines avant de marcher
pendant six heures, mais ça n’existe pas en Italie. On s’est contenté d’un bombolone,
une sorte de beigne fourré à la crème. Délicieux, mais pas très soutenant.
Après, nous sommes donc passés par le forno
(boulangerie) pour s’acheter une pointe de pizza tomates et mozzarella, en nous
disant que le fromage au moins nous fournirait un peu d’énergie… Il m’est
souvent arrivé depuis que je suis en Italie de voir des gens manger de la pizza
pour déjeuner. Je trouvais ça un peu exagéré, mais maintenant, je
comprends : c’est la seule chose consistante qu’il est possible de bouffer
le matin dans ce pays ! Nous avons dégusté notre pizza sur le bord du Lago della Ninfa, seuls avec la rosée,
le brouillard matinal, l’eau calme du lac et les oiseaux. Nous nous sommes
ensuite mis en route.
Dès le début nous étions en
ascension. Nous avons très peu marché sur des sentiers plats. Les cuisses et la
patate se faisaient aller, disons que ça réveillait sa femme assez brutalement.
Nous avons fini par trouver notre rythme et la montée s’est bien déroulée. Nous
l’avons effectuée en beaucoup moins de temps que prévu. Peut-être sommes-nous
plus en forme que ce que nous croyions, finalement…
Le début du parcours s’effectuait
dans le bois, à l’abri sous les arbres, mais rapidement, la végétation
verdoyante a fait place à une sorte de désert de roches et d’herbes sèches. Il
faut dire que rendus à 2000 mètres, il n’y a plus grand’ plantes qui accepte de
pousser. La
vue que nous avions sur l’Émilie-Romagne, d’un côté, et sur la Toscane, de
l’autre, était plutôt impressionnante, bien que quelques légers nuages de brume
nous empêchaient de voir parfaitement l’horizon. Paraît-il que du haut du Monte
Cimone, il est possible d’apercevoir la mer. Nous n’avons pas pu le vérifier de
nos yeux vus, mais laissez-moi en douter… Certains ont dû confondre les vagues
sensuelles des monts et des vallées avec les ondes silencieuses de la
Méditerranée. Un mirage est si vite arrivé.
Au sommet du Monte Cimone, le
plus haut de l’Émilie-Romagne, je le rappelle, se trouve une station
d’observation météorologique qui, je l’avoue, ruine un peu le paysages. Mais y
trône également une sympathique et minuscule chapelle à l’intérieur de laquelle
jouent sans relâche d’apaisants chants grégoriens. Nous avons donc savouré
notre petit pique-nique assis sur le parvis de la chapelle, bercés par les voix
antiques qui résonnaient dans le paysage sans fin.
La descente fut plus difficile
que la montée. Le sol rocailleux était glissant et je me suis joliment plantée
deux fois – j’ai ainsi appris à mes dépens qu’il ne faut pas se moucher en
descendant une côte, car si on perd l’équilibre, nos deux bras ne sont pas
disponibles pour nous aider à le rattraper. Je peux vous garantir qu’en
prévision de notre prochaine excursion, nous allons nous procurer des bâtons de
marche… À défaut d’en avoir cette fois-là, je me suis ruiné les genoux et les
chevilles. Les muscles des cuisses, qui ont travaillé plus souvent qu’à leur
tour, me font encore souffrir.
Probablement en raison de tous
ces efforts physiques, j’avais une folle envie de viande rouge, envie que j’ai
comblée le soir même au restaurant I Carducci de Carpi, en
mangeant une délicieuse tagliata di manzo
au parmesan et à la roquette. En entrée, nous avons eu droit à de sublimes gnocco fritto (les
meilleurs que j’ai mangés jusqu’à présent) accompagnés de charcuteries de
qualité. Nous aurions bien pris un dessert, mais le restaurant débordait et la
serveuse n’est jamais revenue nous voir après que nous lui ayons dit que nous
désirions terminer la bouteille de Chianti avant de passer au dolce. Pour s’excuser de ne pas avoir
été attentive à nos besoins, elle nous a offert l’amaro,
que nous avons siroté en regardant la clientèle et les propriétaires du
restaurant s’énerver le poil des jambes parce que Liga était là. Ce mec,
qui est né dans la même petite ville que F., à quelques kilomètres de Carpi,
est une rock star en Italie. C’est un peu comme si Garou était rentré dans un
resto à Drummondville, mettons. Les cellulaires se faisaient aller l’appareil-photo
et tout le monde cherchait un bout de papier à faire autographier par le
chanteur. Personnellement, j’ai fait la même chose que si j’avais croisé Garou
au Normandin de Drummon : je ne lui ai pas demandé d’autographe. Devant ce
spectacle fanatique, F. et moi rigolions, savourant toujours notre amaro.
Le phénomène du vedettariat est
vraiment quelque chose de relatif.
Quand nous nous trouvons en contrée étrangère, nous avons très peu de
moyens de reconnaître une vedette locale lorsque nous en croisons une ;
nous la traitons donc comme une personne normale – ce qu’elle est. Nous
retrouvons une certaine forme de naïveté par rapport au statut de ces gens qui
passent à la télé et à la radio. Ouain, pis ? que nous nous disons. Cet
homme mange des pâtes comme tout le monde, il va faire pipi à la fin du repas
comme tout le monde et il veut avoir du plaisir comme tout le monde.
En nous dirigeant vers nos
bicyclettes, au sortir du restaurant, F. et moi avons vu ce fameux Liga
s’amuser avec la petite fille qui l’accompagnait (son enfant, sa nièce, qu’en
sais-je) ; il jouait à cachette entre les voitures avec elle. Ils couraient
en zigzag, rigolaient, s’amusaient à faire faire des sauts aux deux femmes avec
qui ils se trouvaient. Assister à cette scène valait bien plus que n’importe
quelle photo prise avec un iPhone ou n’importe quelle signature griffonnée sur
une serviette de table. Malheureusement, les fans de Liga étaient trop occupés
à admirer la griffe qu’avait laissée leur chanteur préféré à l’endos de leur
facture de repas pour voir ce qui se passait devant eux, de l’autre côté de la
rue.
Bonjour,
RépondreSupprimercette petite chronique est très amusante.Je connais Fellicarolo pour y avoir passé de nombreuses vacances d'été lorsque j'étais petite fille; j'y suis retournée il y a 10 ans mais un petit souci affectant l'un de mes enfants m'a amenée à passer la majorité du temps à l'hôpital de Bologne . En tout cas, votre humour est très appréciable!
Cordialement.
Isabelle