lundi 28 octobre 2013

Jeune écrivaine cherche mécène

Hier, j’ai envoyé le manuscrit de mon troisième livre à mon éditeur. Excitation, stress, soulagement, un beau mélange de tout ça m’envahit aujourd’hui. Pendant une fraction de seconde ce matin, je me suis sentie en vacances. J’avais l’impression que j’étais libre de faire ce que je voulais puisque j’avais accompli ce qu’on attendait de moi. Puis, je me suis rappelé que c’était faux. Des vacances, quand on a choisi d’épouser le métier d’écrivain, on ne connaît pas ça.

On n’a jamais vraiment fini d’écrire. Avant même qu’un projet soit terminé, on est déjà en train de penser au suivant. Et la vérité, c’est que personne n’attend rien de moi. Je n’ai pas de date butoir, d’échéances ou de quotas à remplir. Je me fixe mes propres objectifs et si je ne les remplis pas, je serai la seule à le savoir. Il n’y a rien de plus terrible que cela.

N’avoir de compte à rendre à personne, ça vous fout une angoisse, je vous jure. Moi en tout cas, ça me rend dingue. Car je suis beaucoup plus exigeante envers moi-même que n’importe quel client ou employeur ne pourrait l’être. Comme je ne dépends que de ma petite personne, j’ai le sentiment que ce que je fais doit être irréprochable.

Je ne saurais pas trop expliquer ce perfectionnisme exagéré. Je sais seulement que je place toujours la barre plus haute par rapport à mes projets et à moi-même que je ne la place pour les autres et leurs accomplissements. J’accepte que les autres se trompent mais je refuse de me planter. Décevoir autrui serait pour moi un échec, mais je ne suis pas capable de rentrer ceci dans ma petite tête : ce sont rarement les autres que je déçois, mais beaucoup plus souvent mon petit nombril.

Les autres, bien souvent, ils n’en ont rien à foutre. Les autres, si j’en n’écris pas de roman, ça ne change pas grand-chose dans leur existence.

Mon perfectionnisme est probablement une manière de me faire croire que ce que je fais dans la vie est utile.

Bien sûr que ce l’est, utile, l’écriture, les livres, la littérature, tout ça, mais quand tu es plongé dans ton quotidien, ton mode de vie axé sur les enfants, la routine, les besoins primaires, alouette, il y a quand même beaucoup de moments où tu te demandes à quoi ça rime, la poésie, le fond, la forme, les mots, le bla bla. C’est difficile de concilier la réalité avec la fiction. De toujours faire concorder son besoin irrépressible de raconter des histoires et la nécessité d’avoir les deux pieds sur terre. J’y arrive. Je crois même parvenir à faire de petits miracles. Mais bon sang, c’est dur. Souvent.

J’ai la tête qui grouille d’idées. « L’angoisse du poisson rouge » vient à peine d’arriver sur le bureau de ma maison d’édition que déjà je suis en train de réfléchir au tome II. Et j’ai une autre idée de recueil de nouvelles qui me trotte dans le cerveau depuis quelques mois. Et je dois écrire un essai pour un collectif pour la mi-janvier. Et j’ai promis à une artiste que je connais que je lui écrirais deux chansons. Et je me suis engagée auprès de mon ancienne commission scolaire pour participer à une activité de lecture avec les kids. Et je veux faire un album pour enfants avec une amie. Et une BD, aussi. Et j’aurais vraiment aimé adapter mon petit poisson rouge en film. Et, et, et.

J’ai de quoi m’occuper pour les cinq années à venir. Quand je regarde cette liste, autant je me sens pleine de motivation et je désire m’atteler à la tâche illico, autant je déprime. Parce que parmi tous ces projets, il n’y en a pas un maudit qui va me rapporter de quoi acheter trois paires de bottes d’hiver et trois suit. Pour ce qui est de m’habiller moi, on repassera.

Je vais bien recevoir quelques droits d’auteur ici et là, mériter un ou deux cachets. Mais ça ne sera pas de quoi faire vivre une famille. Je vais donc devoir faire autre chose.

J’ai peut-être l’air de me plaindre, je vous assure, ce n’est pas le cas. J’aime ce que je fais et je ne regrette pas d’avoir choisi cette voie. Le problème, il est là, justement. J’aime ce que je fais. Je ne me vois pas faire un autre boulot. Alors quand vient le temps de trouver quelle « autre chose » je pourrais faire pour ramener un peu de pain en tranches sur la table en mélamine, je fige. Je n’ai pas d’idées. Autant je peux avoir de l’imagination, autant sur ce coup-là, je me sens démunie.

De la correction, de la révision, de la rédaction, de la traduction, tralali, tralalère, j’en ai fait, je pourrais bien continuer d’en faire, sauf que ça me gruge mon énergie et quand vient le temps de m’asseoir pour réaliser mes projets, je suis vidée.

Je le répète : je ne me plains pas, je rêve. Je fabule « à clavier haut ». Je vous dis ce qui, vraiment, ferait mon affaire.

J’ai été hyper chanceuse : en deux ans, j’ai eu la chance de recevoir deux bourses de création, ce qui a fait en sorte que j’ai pu me consacrer entièrement à l’écriture et pondre deux livres. Je voudrais juste que ça continue. Me trouver un généreux donateur qui me paierait pour que je puisse me dédier totalement à ma petite besogne sans trop me faire déranger (à part par les triplettes, mais ça, c’est une autre histoire.)

Y’aurait pas un mécène dans la salle ?




vendredi 18 octobre 2013

Être de bons parents ou comment ne pas devenir complètement cons après avoir eu des enfants

Hier, à l’émission de Catherine Perrin, sur les ondes de ICI Radio-Canada Première, Charles-Alexandre Théorêt et Marie-Ève Soutière ont fait une chronique intitulée « Avertissement parental : votre vie sociale est en péril », laquelle visait à sensibiliser les futurs jeunes parents au fait qu’après l’arrivée de leur enfant, ils n’auraient plus de temps libres.

J’ai failli vomir.

Peut-être est-ce moi qui manque d’humour, peut-être que j’ai trop « les mains dedans » pour pouvoir rire des petits drames liés à la condition des jeunes parents, peut-être que j’accorde trop d’importance au discours plus maladroit que comique de cette comédienne inconnue et de ce recherchiste en quête de je-ne-sais-trop-quoi, mais j’ai trouvé cette chronique aux prétentions humoristiques insultante, condescendante et complètement décourageante. Si c’est ainsi que pensent les gens de ma génération, si ce simili sketch représente leur façon de percevoir la famille et les enfants, vraiment, on fait pitié.

La chronique était présentée à la toute fin de l’émission, comme pour s’assurer que personne ne puisse faire de commentaires à son sujet. Dommage, car des réactions, j’en avais une trâlée.

Le but était de donner des trucs et outils aux aspirants géniteurs pour « briser le cercle vicieux de l’isolement des nouveaux parents ». Jusque là, ça va. Je suis 100% pour ce genre de démarche. Parce que c’est vrai qu’on se sent foutrement isolé du reste du monde lorsqu’on devient mère ou père. Du jour au lendemain, notre réalité se transforme et nous avons l’impression de ne plus rien partager avec ceux qui nous entourent, que personne ne peut plus nous comprendre, que la fatigue a fait de nous des zombies mésadaptés sociaux. Ce sentiment de vivre dans une bulle, je le vis depuis 18 mois maintenant, trois fois plutôt qu’une. Toutefois, les solutions pour briser l’isolement proposées par notre joyeux duo sont cyniquement désolantes.

D’abord, il faut savoir que selon eux, le summum d’une vie socialement réussie, c’est d’aller dans des 5 à 7.

Même Catherine Perrin semblait ressentir un certain malaise devant une telle affirmation. Personnellement, elle me déroute de superficialité. Ils ajoutent par la suite que si l’on souhaite continuer de se faire inviter dans les 5 à 7 même une fois notre progéniture expulsée du vagin de la mère, il faut « se tenir loin de l’image du parent exténué qui parle juste de son enfant et de sa fatigue ». Il faut éviter de mettre trop de photos de nos enfants sur Facebook et, surtout, éviter de faire des statuts « de parents ennuyants » du genre « ma poupounette a fait son premier caca » et les troquer pour « des statuts de jeunes qui sortent ». Bref, interdiction de se vanter du fait qu’on a des enfants, qu’on est fier d’eux et qu’ils ont à nos yeux accompli de grands exploits (parce que oui, le premier caca d’un bébé, c’est un exploit – parlez-en aux parents d’enfants qui souffrent de constipation ou qui, pire, sont nés avec des problèmes aux intestins). En d’autres mots, avoir des enfants, c’est une plaie dont on devrait avoir honte. Pour estimer avoir réellement réussi dans la vie, il ne faut pas s’assurer une descendance ; il faut fréquenter les événements mondains.

Aux dires de ces deux personnes qui savent supposément de quoi elles parlent parce qu’elles sont elles-mêmes parents, il est plus socialement acceptable d’être lendemain de veille parce qu’on a bu trop de daïquiris dans un party que de mettre au monde un bambin. Je n’exagère rien, ce sont eux-mêmes qui l’ont dit.

J’ai de la difficulté à commenter tellement je trouve ces assertions grossières. Encore une fois, je le répète, je comprends que cela est censé faire rire, que ça ne reflète pas nécessairement la pensée de Théorêt et Soutière, or, normalement, les blagues font rire parce qu’elles renferment une grande part de vérité – la foule se bidonne parce qu’elle se reconnaît dans ce dont l’humoriste parle. J’en conclue donc que ces jokes de parents jet set reposent en grande partie sur une conception réelle de la parentalité : ayons des enfants, oui, mais à condition que ça ne paraisse pas trop. Que ça ne vienne pas changer ce que nous sommes, ce que nous faisons et la manière dont nous le faisons.

Si vous adhérez à cette vision des choses, eh bien, j’ai des petites nouvelles pour vous : procréer, ÇA BOULEVERSE une vie. Après, il n’y a plus rien de pareil. Si vous comptez que votre train de vie post-accouchement soit semblable en tous points à celui pré-accouchement, vous vous enlignez tout droit vers une dépression. Vous allez vous brûler. Il faut faire des choix à un certain moment dans une existence : soit on est branché parce qu’on ne rate aucun lancement, cocktail ni autre activité glamour, soit on devient rangé, on est heureux d’avoir du temps pour regarder un film à TVA un vendredi soir et on considère que se lever à 7h30, c’est faire la grasse matinée.

Il n’y a pas un mode de vie mieux que l’autre. C’est-à-dire qu’il est tout à fait correct qu’une certaine tranche de la population décide de vivre librement, sans enfants et de mettre toute son énergie dans sa carrière et ses amitiés, tandis que d’autres choisissent de fonder des familles et d’avoir des plaisirs un peu moins éclatants. Les deux sont légitimes, les deux se respectent. Il faut toutefois arrêter de faire croire à ceux qui font partie de la deuxième catégorie qu’ils pourront continuer d’appartenir à la première à temps partiel. C’est de la grosse bullshit. Non seulement ça ne sera pas possible, mais en vérité, ça ne risque même pas de vous tenter.

Alors pourquoi continuer de nous faire feeler cheap parce qu’on ne sort jamais, parce qu’on n’est pas au courant des derniers potins du Plateau ou du Mile-End, parce qu’on vit comme des ermites ? Et pourquoi nous traiter comme si, en même temps que parents, nous étions devenus débiles ? Pour en revenir à l’extrait radio qui m’a fait sortir de mes gonds, Théorêt et Soutière poursuivent leur délire en tâchant d’éduquer les pauvres parents et en leur montrant comment tenir « une conversation d’adultes » – c’est-à-dire une conversation qui ne tourne pas autour des enfants.

Selon eux, les jeunes parents n’ont pas le temps de se forger d’opinion sur l’actualité et sur tout ce qui se passe dans le monde, alors cela fait d’eux des êtres insignifiants qui n’ont rien à dire. « Un jeune parent, ce que ça n’a pas dans la vie, c’est une opinion sur la charte », dixit Théorêt. Pardon ? Je suis maman de triplées et, c’est drôle, j’en ai une, une opinion sur la charte (des valeurs québécoises, je précise, pour les jeunes parents dans l’assistance qui n’auraient pas eu le temps de s’informer dernièrement.) Avoir des bébés n’a pas fait de moi une ignare inculte qui est incapable de saisir les enjeux sociaux et d’en penser quoi que ce soit de pertinent. Mon QI n’a pas baissé parce que j’ai mis au monde des rejetons. D’accord, je n’ai pas beaucoup de temps libres pour étoffer mes opinions et approfondir les sujets qui m’intéressent, mais je connais bien des gens qui n’ont pas d’enfants qui ne prennent pas cette peine non plus. Ça n’a donc rien à voir avec la disponibilité des temps libres, mais concerne plutôt l’intérêt que nous avons à la base, comme individu, pour ce genre de choses.

Parmi les solutions qu’ils nous proposent pour pallier notre ignorance, il y a celle de faire sentir aux autres qu’ils sont caves pour dissimuler notre propre incompétence, avoir recours à des applications mobiles du genre Conversation starter pour se trouver des idées de sujets vraiment intéressants ou employer la technique de la chèvre myotonique et feindre de s’évanouir lorsque nous sommes à court d’arguments pour ainsi gagner la sympathie de nos interlocuteurs. J’imagine que c’est ici que j’étais censée m’esclaffer et dire « AHAHA ! Mais comme ils sont rigolos ces gens dans ma radio. » J’ai plutôt eu envie d’écrire une plainte à Radio-Canada.

« C’est juste une chronique dans une émission de radio Mélissa, calme-toi le pompon. » Certes, je pourrais le prendre moins personnel, toutefois, je ne peux m’empêcher de croire qu’une telle intervention est symptomatique de toute une culture bel et bien réelle du « faisons-des-enfants-tant-que-ça-ne-nuit-pas-trop-à-notre-individualité-et-jugeons-ceux-qui-ne-parviennent-pas-à-rester-aussi-trendy-que-nous-en-ayant-des-mômes ».

Un truc que les deux clowns ont oublié de mentionner, c’est celui-ci : allez porter vos enfants à la garderie dès l’ouverture à 7h le matin et n’allez les chercher que quelques minutes avant la fermeture, le plus tard possible. Comme ça, vous devriez être bons pour avoir 50 heures de libres dans votre semaine pour aller travailler, oui, mais surtout pour penser à vous et ne pas vous laissez influencer par cette sale marmaille qui vous rend mous et apathiques. Faites des enfants mais ne vous en occupez pas. C’est le meilleur moyen pour rester hip tout en pouvant recevoir des crédits d’impôt pour le soutien aux enfants du gouvernement.

***


C’est à la toute fin, vers 1h27, me semble-t-il.





jeudi 10 octobre 2013

J'ai trente ans depuis si longtemps



Hier, je fêtais mes trente ans. Pour l’occasion, j’ai passé la majeure partie de ma journée à l’hôpital avec mes filles, car elles avaient des rendez-vous de suivi avec des spécialistes. Le gros high light de ma journée a été de boire une demie bouteille de vin rouge au repas. Un soir de semaine, imaginez comme je suis wild. Il n’était pas très bon en fait. C’était un Bourgogne, que j’avais choisi moi-même, je ne sais pas trop pourquoi, puisque je préfère les italiens. Ils sont moins acides. Enfin, quand je dis que j’ai fêté, vous comprenez tout de suite que j’exagère.

J’aurais plutôt dû dire « Hier, j’ai eu trente ans. » Point.

À vrai dire, j’ai l’impression que j’ai eu trente ans il y a déjà longtemps. Avec tout ce qui s’est passé dans ma vie au cours des dernières années, je crois que mon corps, mon cœur et ma tête ont vieilli en accéléré. Ce que je célébrais hier, c’était un chiffre, cependant, l’état d’esprit qui vient normalement avec, il y a des lustres que je l’avais atteint.

Le 9 octobre 2013, c’était donc une journée comme les autres. Plus on vieillit, plus les anniversaires deviennent des journées comme les autres, j’imagine. On n’est pas pressé de se faire rappeler que nous avons un tour de plus au compteur ni que notre face affiche sans cesse plus de rides et autres marques du temps. On n’en fait plus un plat si les gens oublient de nous appeler ou de nous envoyer une carte. On se contente des cinquante messages de semi-inconnus sur notre babillard Facebook et on se dit qu’au fond, on n'en a rien à foutre.

C’était ainsi que je me sentais hier en tout cas. Je m’en foutais. Sincèrement. J’ai déjà souvent fait semblant de ne pas être concernée par des choses qui en fait me touchaient, mais là, ce n’était pas du fake. Je n’en avais cure. Ce qui fait en sorte que j’ai passé l’un des plus beaux anniversaires de ma vie. Même si je me suis couchée à 21h45, que j’ai dû me taper les hôpitaux et ce con dans le stationnement qui ne comprenait pas ce que signifiait « sens unique ».

C’était le plus bel anniversaire de ma vie parce que j’étais entourée de ceux qui comptent le plus au monde pour moi. Mon mari, mes enfants. Nous sommes heureux ensemble. Nous formons une famille unie, ricaneuse, curieuse, amoureuse. Que pourrions-nous demander de plus ? Que pourrais-je exiger d’autre comme cadeau d’anniversaire ? Un cadeau qui s’offre à moi tous les jours, qui plus est.

Je dois sonner ultra kitsch. Et ça aussi je m’en fous. Le cynisme, j’en ai marre. Je laisse les autres s’amuser à trouver ridicules les bonheurs simples. À partir de maintenant, pour ma part, ce sont uniquement ces plaisirs que je chercherai à cultiver.

J’aimerais avoir plus de temps pour voir mes amis. Je me suis involontairement éloignée de plusieurs d’entre eux depuis que j’ai eu mes triplées, pour des raisons qui m’apparaissent évidentes et qui n’ont rien à voir avec un quelconque manque de loyauté, de reconnaissance ou de respect. J’aimerais pouvoir sortir le vendredi ou le samedi soir, aller au cinéma ou prendre un verre entre copines. Dans ma vie actuelle, ça ne se peut pas. J’aimerais être assez en forme et avoir suffisamment d’argent pour faire du sport plus sérieusement, aller plus souvent au musée, recommencer à aller au théâtre, lire davantage, acheter plus de livres et de musique, cuisiner toutes ces recettes que je me suis un jour promis d’essayer. Ce n’est pas possible. Pas pour l’instant. J’aimerais pouvoir mettre davantage d’énergie dans ma carrière, écrire encore plus, trouver de nouvelles voies pour exercer l’écriture, en vivre. Je dois remettre ça à plus tard. Il y a bien quelques moments où cela me pèse, de ne pas toujours pouvoir faire ce dont j’ai envie quand j’en ai envie. Mais honnêtement, la majorité du temps, cela ne me cause pas problème.

Car je suis riche d’une richesse unique et inestimable qui fait de moi une des femmes les plus chanceuses au monde. Je suis entourée d’amour. Encore du quétaine. Eh oui. C’est cet effet que me cause la trentaine. Je deviens fleur bleue. Et j’emmerde tous ceux qui croient qu’être romantique, ou tendre, ou sentimentale, ou simplement heureux, c’est signe de faiblesse ou de manque d’intelligence – car notre monde déborde de ces gens qui se pensent plus intelligents que les autres parce qu’ils détestent la Saint-Valentin, Céline Dion et tout ce qui rend heureux le supposé petit peuple et parce qu’eux, ils sont anxieux, vivent des amours compliqués et lisent de la vraie poésie.  

Bref, j’aborde (ou, du moins, je tente d’aborder) la trentaine avec sérénité et optimisme (à part en ce qui concerne ma hargne des cyniques finis, que voulez-vous, j’ai encore du travail à faire !). J’essaie de ne plus me mettre de pression, de me concentrer sur ce qui est essentiel et qui me fait du bien. Donc oui, il y a aussi un peu d’égoïsme dans ma manière d’accueillir cette nouvelle décennie. Je compte bien penser à moi et prendre mon temps. Prendre mon temps pour me remettre complètement sur pieds, prendre mon temps pour faire des choses en apparences inutiles qui ne servent aucun but précis, prendre mon temps pour ne rien faire du tout.

Tout à l’heure, j’ai fait une sieste d’une heure et demie en même temps que mes filles. Léa pleurait, elle s’est endormie dans mes bras, tandis que les deux autres dormaient paisiblement dans leur lit. La maison était calme. C’était le bonheur.

Je veux que ma vie de trentenaire ressemble à cela. À une maison dont les résidants sont occupés à se reposer par un bel après-midi d’automne.