mardi 30 juin 2015

Une île au milieu de l'Atlantique




            La vie est un grand dilemme : faire une chose ou son contraire, dire oui ou non, partir ou rester, essayer de se battre ou se laisser abattre. Opter pour un objet plutôt qu’un autre, c’est faire le deuil de ce dernier, assumer que notre existence se poursuivra sans lui. Pour plusieurs personnes (une majorité ?), faire des choix est une épreuve difficile pour cette exacte raison : elles ont de la difficulté à accepter qu’on ne puisse pas avoir le beurre et l’argent du beurre, comme le dit le vieux dicton de maman qui a toujours raison et qui fait donc chier. J’ignore si le syndrome du « j’ai-peur-de-tout-rater-de-me-tromper-de-prendre-la-mauvaise-décision-et-de-passer-à-côté-d’une-grande-occasion » est typique de notre époque, nourri entre autres par les réseaux sociaux et autres applications disponibles sur nos téléphones intelligents, mais je l’observe fréquemment – chez moi la première.


J’ai peur de choisir. Une fois que le choix est fait, je l’assume généralement très bien ; je ne suis pas du genre à entretenir des tonnes de regrets. Ce n’est donc pas le « après » qui me pose problème, mais le « avant ». Les périodes précédant une prise de décisions en sont de grandes angoisses. Comme il nous faut faire des choix au quotidien, nul besoin de préciser que je vis perpétuellement dans une forme ou une autre d’anxiété…

Objectivement, je trouve moi-même cette peur ridicule, mais je n’y peux rien, elle est plus forte que moi et revient sans cesse. Comme n’importe quelle autre peur. Me demander d’arrêter d’angoisser au sujet du futur serait comme me demander d’arrêter d’avoir le vertige. J’aimerais ne pas craindre les hauteurs tout comme j’aimerais ne pas avoir le cerveau qui s’englue dans les scénarios catastrophes et les questionnements inutiles par rapport à demain et à la journée suivante, toutefois, à part vivre sous hypnose pour le reste de mes jours, j’ignore comment je pourrais bien y parvenir. 

Il y a deux mois environ, je suis allée chez l’ostéopathe et à la fin du traitement, elle m’avait dit un truc du genre : « C’est comme si une partie de ton corps allait dans une direction et que l’autre partie tirait en sens opposé. » Même mon corps vit le dilemme, le supporte, le métabolise, l’exprime. Bref, je suis loin de la zénitude.

Un de mes plus grands déchirements est de nature continentale : avec F., nous ignorons sur quel continent nous avons envie de nous établir. Nous sommes littéralement divisés entre le Québec et l’Italie, constamment en train de trouver des raisons pour nous établir d’un côté ou de l’autre de l'océan, contredisant nous-mêmes nos propres arguments chaque deux semaines. Nous savons pertinemment qu’il n’existe pas d’endroit parfait, que le pays idéal est, par définition, inaccessible ; nous désirons simplement poser nos pénates dans le lieu qui nous convienne le mieux, qui nous ressemble le plus. Comment prévoir où nous serons le plus heureux – ou le moins malheureux ? (Je n’aime pas trop les concepts de bonheur/malheur, mais je ne trouve pas de meilleurs termes pour expliquer l’idée.) Notre réflexion à ce sujet est un long combat entre la tête et le cœur. Car bien souvent, ce que nous dit la première entre en totale contradiction avec ce que réclame le second.

Il y a des jours où je me dis qu’il serait plus simple d’aller nous installer dans une tierce contrée : déjouer l’équation en ajoutant une variable tout à fait imprévisible. Du type déménager au Costa Rica, aller faire de l’aide humanitaire au Burkina Faso ou prendre un billet aller simple pour l’Australie. Ce dont je rêve, en fait, c’est d’une île au beau milieu de l’Atlantique, à équidistance entre Carpi et Lévis. Il me semble que seul ce paradis invisible sur les cartes nous permettrait d’atteindre l’équilibre véritable entre espoir et réalité, avenir et passé, ici et là-bas.


Peut-être me faudrait-il appliquer cette méthode à tous les dilemmes auxquels je suis confrontée : pâte ou pizza ? Omelette. Gauche ou droite ? Devant. Rose ou bleu ? Jaune. Contourner la peur de se tromper en empruntant un chemin qui n’apparaissait même pas dans les plans.