Voilà bientôt deux mois que F. et
moi avons quitté le Québec pour venir nous installer sur le Vieux Continent. Je
regarde derrière moi, j’observe tout ce que nous avons fait en si peu de temps
et je me demande comment il est possible que je ne sois pas plus
fatiguée ! Il faut dire que nous avons quand même eu quelques journées de
repos où nous ne faisions rien, sinon quelques courses ou une promenade sur la piazza centrale de Carpi. Toujours
est-il que nous en avons avalé des kilomètres durant ces huit semaines. De
Montréal à Paris, de Paris à Carpi, de Carpi à San Vincenzo, puis à
Fellicarolo, Cervia, Milano, Modena, Parma, Bologna, Mantova, Correggio, Lago di
Garda (deux fois), Cinque Terre, Verona (récit à venir pour ces trois dernières
destinations), et j’en oublie probablement. Malgré tout ce va-et-vient, nous
avons eu le temps de profiter de Carpi, de nous approprier notre nouvelle ville
et de nous construire un chez-soi.
Être chez soi, ce serait l’opposé
d’être en vacances. Cela signifie avoir une routine ainsi que des obligations.
On ne peut pas être chez soi et ne rien faire continuellement. On doit
s’occuper, ou du moins faire semblant, travailler, cuisiner, faire le ménage.
Que l’on se trouve à Montréal ou à Carpi, ça, ça ne change pas. Ce qui change,
c’est la manière dont on accomplit toutes ces tâches, car à chaque pays ses
façons de faire et son rythme. Pour notre part, cela fait à peine une semaine
que nous sentons que nous avons réellement un quotidien, c’est-à-dire depuis
que F. a commencé à travailler à la cantina
(domaine où est produit le vin).
À quoi ressemble-t-il, ce
quotidien tout frais ? Pour F. il s’agit de se lever à 6h45 tous les
matins, d’enfiler ses vêtements et ses bottes de travail, de prendre un café et
ensuite la voiture en direction de San Marino (une frazione – « hameau » – de Carpi, qui est à cinq minutes d’automobile de notre maison),
là où se situe la cantina CIV&CIV. Il ne passe pas
sa journée à récolter ou à piétiner le raisin – les vendanges sont faites
mécaniquement depuis plusieurs années, oubliez ça les images romantiques de
gars torse nu, bas de jeans roulés, qui marchent sur le raison avec leurs pieds
virils! – non ; il travaille plutôt avec une immense machine qui filtre le
jus de raisin et il effectue diverses tâches, dont pelleter des montagnes de
résidus de raisins pendant deux heures parce qu’un de ses collègues a commis
une erreur et qu’est survenu un incident du type
ma-machine-capote-je-sais-pu-quoi-faire-il-y-a-du-raisin-partout-aidez-moi-quelqu’un !
Généralement entre 18h et 20h, F. rentre à la maison épuisé, les ongles sales
et la voix éraillée (il passe sa journée à gueuler, à cause des bruyantes
machines). Il répète cette opération six jours par semaine, soit du lundi au
samedi. Le dimanche, il a enfin le droit de se reposer.
Et moi, que fais-je pendant que
mon homme s’échine ainsi ? Je commence tranquillement à travailler sur mon
projet de recueil de nouvelles, celui pour lequel j’ai reçu une subvention du
Conseil des Arts du Canada. Jusqu’ici, j’ai surtout travaillé dans ma tête, car
c’est aussi ça l’écriture : prendre des notes mentales, réfléchir,
regarder le vide puis, soudain, avoir un éclair, peut-être pas de génie, mais à
tout le moins d’inspiration. J’écris également ma chronique
hebdomadaire pour Urbania – qui se terminera à la fin du mois de septembre,
cela étant dit, puisque ça devient de plus en plus difficile pour moi de
bloguer sur l’actualité québécoise alors que je me trouve à quelques six mille
kilomètres de la Belle Province. Je m’oblige également à venir vous donner des
nouvelles ici au moins une fois par semaine et j’essaie de retrouver un
semblant de discipline en allant courir le matin (pas évident, avec cette
canicule qui ne nous lâche pas).
La semaine dernière, mon petit
quotidien tranquille a légèrement été bouleversé. Lundi fut une grosse journée
pour moi : j’ai travaillé au magasin de ma gentille belle-maman, qui
passait la journée à Rome pour un congrès professionnel. Elle m’avait demandé
de tenir le fort avec l’autre employée qui travaille à la boutique à temps
partiel. Durant la pause de l’après-midi (de 13 heures à 16 heures, les
magasins sont fermés, on se le rappelle), je suis allée à mon tout premier
cours de conduite. Oui, oui, vous avez bien lu : j’ai débuté mes cours de
conduite automobile ! Enfin, diront certains ! Effectivement, à presque 28 ans,
il n’était pas trop tôt. Mais vous me connaissez, je n’aime pas les choses trop
faciles : j’ai préféré attendre de faire mon cours en italien, histoire d’avoir
un défi supplémentaire. Jusqu’à présent, tout se passe bien. On verra rendu à
l’examen si je ne change pas d’avis ! Pour ceux qui se demandent ce qui m’a
motivée à m’inscrire à ce cours maintenant, la réponse est simple : ici,
contrairement à Montréal, j’ai accès à une voiture – une jolie petite Mazda 2
toute neuve, quand même. J’aurai donc tout le loisir de m’aventurer dans les
ronds-points, de m’exercer à ne pas frapper les cyclistes qui arrivent de
partout et de me pratiquer à trouver le point de friction de la voiture – parce
qu’en Europe, ou tu conduis manuel, ou tu ne conduis pas.
Mercredi passé fut également une
journée bien remplie. Après mon cours de conduite (je dois me rendre à l’école
de conduite tous les jours de semaine de 14h à 15h durant six semaines pour
suivre un total de 30 heures de cours théoriques), j’ai couru jusqu’à la station
de train afin de prendre une liaison pour Mantova, où se tenait, du 7 au 11
septembre, le Festivaletteratura. Ce
festival de littérature accueille chaque année plusieurs écrivains,
principalement italiens mais également étrangers, pour différentes conférences
et activités. Parmi les conférences proposées cette année, il y avait celle
d’Alessandro Baricco sur Walter Benjamin, le mercredi 7 septembre à 19 heures.
Baricco étant l’un de mes auteurs fétiches, je ne pouvais absolument pas manqué
ça ! J’ai cru à un certain moment ne pas pouvoir y assister, car le 7
septembre, c’était aussi la date à laquelle D. et G., des amis de Montréal,
débarquaient à Carpi pour nous rendre visite, mais finalement, nous avons
trouvé un moyen de faire concorder les deux événements.
La conférence de Baricco portait
sur un essai de Benjamin écrit en 1936 et intitulé « Le
narrateur ». Cette année, la maison d’édition italienne Einaudi a
publié une version commentée par Baricco dudit essai et la conférence se
voulait en quelque sorte l’extension des commentaires de lecture de Baricco.
C’était vraiment fort intéressant – ne me demandez pas de résumer par contre,
déjà que j’ai réussi à tout comprendre, c’est un exploit, s’il avait fallu que
je mémorise les grandes lignes de la présentation, mon cerveau aurait bien fini
par exploser ! À la fin de la conférence, Baricco s’est prêté à une séance
de signatures. J’ai donc fait la file pour faire autographier ma copie de
l’essai Il narratore – je n’avais pas
du tout pensé amener mon exemplaire d’Océan
Mer ou de Soie. Qu’importe, mon
but réel était plutôt de lui parler et de lui dire à quel point son travail
m’inspirait. En temps normal, je me laisse peu impressionner par les vedettes,
qu’elles soient comédiennes, chanteuses, auteures, mais là, le fait de devoir m’adresser
à mon idole en italien rajoutait une certaine dose de stress. Je me suis
finalement présentée devant Baricco en lui disant à peu près ceci :
« Je m’excuse pour mon accent, mais je suis canadienne. Je suis également
une jeune auteure et je dois vous dire que vous avez toujours été un exemple
pour moi. » C’est à ce moment-là qu’il s’est exclamé
« Bravvvvvvvissssssssimmmmaaaa!!!! », en flattant ma joue gauche de
sa main droite. Vraisemblablement, mon italien de fortune a réussi à le charmer !
Il a conclu en me serrant la main et en me disant « J’espère avoir
l’occasion de te revoir ici ou là, dans un événement littéraire. » Ce
soir-là, je me suis découvert un petit côté groupie jusqu’ici insoupçonné. Je
suis sortie de l’enceinte où avait lieu la conférence les jambes molles, les
joues rouges et le cœur léger.
Après mon rendez-vous galant avec
Alessandro, je suis allée rejoindre D. et G., qui débarquaient tout juste
d’Autriche et qui venaient me retrouver au centre-ville de Mantova afin qu’on
mange une pizza et qu’on se rende ensuite à la maison ensemble. Le prochain
billet portera sur les petites virées que D., G. et moi avons faites au cours
des derniers jours (sans F., malheureusement, qui était occupé à pelleter des
montagnes de raisins).
Je terminerai pour l’instant ce
billet en vous disant ceci : peu importe où vous vous trouvez dans le
monde, évitez de parler québécois en croyant que personne ne comprend ce que
vous dites parce qu’il n’y a pas de francophones dans le pays que vous visitez
et encore moins de gens qui comprennent votre accent du
Saguenay–Lac-Saint-Jean. Vous ne savez JAMAIS quand vous allez tomber sur un
Québécois. Jamais. Voyez, j’étais convaincue que j’étais la seule fière
représentante du Québec à Carpi, mais je me trompais. L’autre soir, nous sommes
allés à la pizzeria et qui c’est qui n’était pas assis à la table derrière la nôtre :
un p’tit gars de Repentigny. Je n’ai pas pu m’empêcher d’aller le voir à la fin
du repas pour lui demander ce qu’il foutait là – c’est pas comme si Carpi était
une destination touristique très prisée. Eh bien, le gentil garçon travaille
pour BRP (les produits récréatifs de Bombardier) et son entreprise envoie
fréquemment des employés dans une usine de Carpi où sont fabriquées certaines
pièces de Skidoo, Seadoo et autres bibittes à moteur. Que cette anecdote vous
serve d’exemple : vous n’êtes jamais seuls à comprendre la langue que vous
parlez, rappelez-vous le !
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