lundi 12 septembre 2011

Vendanges, ronds-points et groupie


Voilà bientôt deux mois que F. et moi avons quitté le Québec pour venir nous installer sur le Vieux Continent. Je regarde derrière moi, j’observe tout ce que nous avons fait en si peu de temps et je me demande comment il est possible que je ne sois pas plus fatiguée ! Il faut dire que nous avons quand même eu quelques journées de repos où nous ne faisions rien, sinon quelques courses ou une promenade sur la piazza centrale de Carpi. Toujours est-il que nous en avons avalé des kilomètres durant ces huit semaines. De Montréal à Paris, de Paris à Carpi, de Carpi à San Vincenzo, puis à Fellicarolo, Cervia, Milano, Modena, Parma, Bologna, Mantova, Correggio, Lago di Garda (deux fois), Cinque Terre, Verona (récit à venir pour ces trois dernières destinations), et j’en oublie probablement. Malgré tout ce va-et-vient, nous avons eu le temps de profiter de Carpi, de nous approprier notre nouvelle ville et de nous construire un chez-soi.

Être chez soi, ce serait l’opposé d’être en vacances. Cela signifie avoir une routine ainsi que des obligations. On ne peut pas être chez soi et ne rien faire continuellement. On doit s’occuper, ou du moins faire semblant, travailler, cuisiner, faire le ménage. Que l’on se trouve à Montréal ou à Carpi, ça, ça ne change pas. Ce qui change, c’est la manière dont on accomplit toutes ces tâches, car à chaque pays ses façons de faire et son rythme. Pour notre part, cela fait à peine une semaine que nous sentons que nous avons réellement un quotidien, c’est-à-dire depuis que F. a commencé à travailler à la cantina (domaine où est produit le vin).

À quoi ressemble-t-il, ce quotidien tout frais ? Pour F. il s’agit de se lever à 6h45 tous les matins, d’enfiler ses vêtements et ses bottes de travail, de prendre un café et ensuite la voiture en direction de San Marino (une frazione« hameau »de Carpi, qui est à cinq minutes d’automobile de notre maison), là où se situe la cantina CIV&CIV. Il ne passe pas sa journée à récolter ou à piétiner le raisin – les vendanges sont faites mécaniquement depuis plusieurs années, oubliez ça les images romantiques de gars torse nu, bas de jeans roulés, qui marchent sur le raison avec leurs pieds virils! – non ; il travaille plutôt avec une immense machine qui filtre le jus de raisin et il effectue diverses tâches, dont pelleter des montagnes de résidus de raisins pendant deux heures parce qu’un de ses collègues a commis une erreur et qu’est survenu un incident du type ma-machine-capote-je-sais-pu-quoi-faire-il-y-a-du-raisin-partout-aidez-moi-quelqu’un ! Généralement entre 18h et 20h, F. rentre à la maison épuisé, les ongles sales et la voix éraillée (il passe sa journée à gueuler, à cause des bruyantes machines). Il répète cette opération six jours par semaine, soit du lundi au samedi. Le dimanche, il a enfin le droit de se reposer.

Et moi, que fais-je pendant que mon homme s’échine ainsi ? Je commence tranquillement à travailler sur mon projet de recueil de nouvelles, celui pour lequel j’ai reçu une subvention du Conseil des Arts du Canada. Jusqu’ici, j’ai surtout travaillé dans ma tête, car c’est aussi ça l’écriture : prendre des notes mentales, réfléchir, regarder le vide puis, soudain, avoir un éclair, peut-être pas de génie, mais à tout le moins d’inspiration. J’écris également ma chronique hebdomadaire pour Urbania – qui se terminera à la fin du mois de septembre, cela étant dit, puisque ça devient de plus en plus difficile pour moi de bloguer sur l’actualité québécoise alors que je me trouve à quelques six mille kilomètres de la Belle Province. Je m’oblige également à venir vous donner des nouvelles ici au moins une fois par semaine et j’essaie de retrouver un semblant de discipline en allant courir le matin (pas évident, avec cette canicule qui ne nous lâche pas).

La semaine dernière, mon petit quotidien tranquille a légèrement été bouleversé. Lundi fut une grosse journée pour moi : j’ai travaillé au magasin de ma gentille belle-maman, qui passait la journée à Rome pour un congrès professionnel. Elle m’avait demandé de tenir le fort avec l’autre employée qui travaille à la boutique à temps partiel. Durant la pause de l’après-midi (de 13 heures à 16 heures, les magasins sont fermés, on se le rappelle), je suis allée à mon tout premier cours de conduite. Oui, oui, vous avez bien lu : j’ai débuté mes cours de conduite automobile ! Enfin, diront certains ! Effectivement, à presque 28 ans, il n’était pas trop tôt. Mais vous me connaissez, je n’aime pas les choses trop faciles : j’ai préféré attendre de faire mon cours en italien, histoire d’avoir un défi supplémentaire. Jusqu’à présent, tout se passe bien. On verra rendu à l’examen si je ne change pas d’avis ! Pour ceux qui se demandent ce qui m’a motivée à m’inscrire à ce cours maintenant, la réponse est simple : ici, contrairement à Montréal, j’ai accès à une voiture – une jolie petite Mazda 2 toute neuve, quand même. J’aurai donc tout le loisir de m’aventurer dans les ronds-points, de m’exercer à ne pas frapper les cyclistes qui arrivent de partout et de me pratiquer à trouver le point de friction de la voiture – parce qu’en Europe, ou tu conduis manuel, ou tu ne conduis pas.

Mercredi passé fut également une journée bien remplie. Après mon cours de conduite (je dois me rendre à l’école de conduite tous les jours de semaine de 14h à 15h durant six semaines pour suivre un total de 30 heures de cours théoriques), j’ai couru jusqu’à la station de train afin de prendre une liaison pour Mantova, où se tenait, du 7 au 11 septembre, le Festivaletteratura. Ce festival de littérature accueille chaque année plusieurs écrivains, principalement italiens mais également étrangers, pour différentes conférences et activités. Parmi les conférences proposées cette année, il y avait celle d’Alessandro Baricco sur Walter Benjamin, le mercredi 7 septembre à 19 heures. Baricco étant l’un de mes auteurs fétiches, je ne pouvais absolument pas manqué ça ! J’ai cru à un certain moment ne pas pouvoir y assister, car le 7 septembre, c’était aussi la date à laquelle D. et G., des amis de Montréal, débarquaient à Carpi pour nous rendre visite, mais finalement, nous avons trouvé un moyen de faire concorder les deux événements.

La conférence de Baricco portait sur un essai de Benjamin écrit en 1936 et intitulé « Le narrateur ». Cette année, la maison d’édition italienne Einaudi a publié une version commentée par Baricco dudit essai et la conférence se voulait en quelque sorte l’extension des commentaires de lecture de Baricco. C’était vraiment fort intéressant – ne me demandez pas de résumer par contre, déjà que j’ai réussi à tout comprendre, c’est un exploit, s’il avait fallu que je mémorise les grandes lignes de la présentation, mon cerveau aurait bien fini par exploser ! À la fin de la conférence, Baricco s’est prêté à une séance de signatures. J’ai donc fait la file pour faire autographier ma copie de l’essai Il narratore – je n’avais pas du tout pensé amener mon exemplaire d’Océan Mer ou de Soie. Qu’importe, mon but réel était plutôt de lui parler et de lui dire à quel point son travail m’inspirait. En temps normal, je me laisse peu impressionner par les vedettes, qu’elles soient comédiennes, chanteuses, auteures, mais là, le fait de devoir m’adresser à mon idole en italien rajoutait une certaine dose de stress. Je me suis finalement présentée devant Baricco en lui disant à peu près ceci : « Je m’excuse pour mon accent, mais je suis canadienne. Je suis également une jeune auteure et je dois vous dire que vous avez toujours été un exemple pour moi. » C’est à ce moment-là qu’il s’est exclamé « Bravvvvvvvissssssssimmmmaaaa!!!! », en flattant ma joue gauche de sa main droite. Vraisemblablement, mon italien de fortune a réussi à le charmer ! Il a conclu en me serrant la main et en me disant « J’espère avoir l’occasion de te revoir ici ou là, dans un événement littéraire. » Ce soir-là, je me suis découvert un petit côté groupie jusqu’ici insoupçonné. Je suis sortie de l’enceinte où avait lieu la conférence les jambes molles, les joues rouges et le cœur léger.

Après mon rendez-vous galant avec Alessandro, je suis allée rejoindre D. et G., qui débarquaient tout juste d’Autriche et qui venaient me retrouver au centre-ville de Mantova afin qu’on mange une pizza et qu’on se rende ensuite à la maison ensemble. Le prochain billet portera sur les petites virées que D., G. et moi avons faites au cours des derniers jours (sans F., malheureusement, qui était occupé à pelleter des montagnes de raisins).

Je terminerai pour l’instant ce billet en vous disant ceci : peu importe où vous vous trouvez dans le monde, évitez de parler québécois en croyant que personne ne comprend ce que vous dites parce qu’il n’y a pas de francophones dans le pays que vous visitez et encore moins de gens qui comprennent votre accent du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Vous ne savez JAMAIS quand vous allez tomber sur un Québécois. Jamais. Voyez, j’étais convaincue que j’étais la seule fière représentante du Québec à Carpi, mais je me trompais. L’autre soir, nous sommes allés à la pizzeria et qui c’est qui n’était pas assis à la table derrière la nôtre : un p’tit gars de Repentigny. Je n’ai pas pu m’empêcher d’aller le voir à la fin du repas pour lui demander ce qu’il foutait là – c’est pas comme si Carpi était une destination touristique très prisée. Eh bien, le gentil garçon travaille pour BRP (les produits récréatifs de Bombardier) et son entreprise envoie fréquemment des employés dans une usine de Carpi où sont fabriquées certaines pièces de Skidoo, Seadoo et autres bibittes à moteur. Que cette anecdote vous serve d’exemple : vous n’êtes jamais seuls à comprendre la langue que vous parlez, rappelez-vous le !

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