jeudi 9 janvier 2014

Éloge de l'indignité

J’ai survécu au temps des Fêtes. Je retrouve maintenant le calme de la routine et la prévisibilité du quotidien avec un plaisir qui m’étonne moi-même. En fait, c’est une toute nouvelle routine qui s’entame pour ma famille et moi, puisque lundi le 6 janvier, F. commençait un nouveau boulot à temps plein (en vérité, il est retourné à l’endroit où il a travaillé en 2012 lorsque nous sommes revenus d’Italie) et les triplettes débutaient officiellement la garderie. Du gros changement.

Mes heures de sommeil ont drastiquement diminué. Pourtant, je ne me suis pas sentie aussi en forme depuis vraiment très longtemps.

F. et moi nous levons à 5h15, réveillons les petites 20 minutes plus tard, après nous être préparés et avoir chauffé l’eau pour le thé. Dans les rues comme dans la maison, il fait nuit. Nous devons nous activer malgré la noirceur, faire croire aux enfants que le jour viendra. Les convaincre que cette journée en sera une bonne. À 6h30, tout le monde embarque dans la voiture. Je joue les taxiwoman et vais déposer papa au travail ainsi que les bébés à la garderie, ce après quoi je reviens à la maison pour commencer ma propre journée. Tâches ménagères, courriels, lecture, écriture, préparation de nombreux projets. Je ne vois pas le temps passer.

Et je me sens comme il y avait longtemps que je ne m’étais pas sentie : bien. Juste bien.

Je me sens libre.

Après deux années entièrement dédiées à ma grossesse, à mes bébés hospitalisés, à mes poupons enfin à la maison, à mes petites, aux soins qu’elles nécessitaient, voilà que j’ai enfin du temps pour moi. Huit heures par jour, cinq jours par semaine, je me sens en vacances. Je pense à mes filles, bien sûr, mais je ne m’ennuie pas d’elles.

J’ai trop l’impression de revivre pour avoir le temps de m’ennuyer de qui que ce soit.

Cela fait-il de moi une mère indigne ? J’en doute. Récemment, Pierre Foglia publiait un papier sur ces parents qui « parkent » leurs enfants dans des garderie dix heures par jour et qui remettent leur éducation entre les mains des employés desdites garderies. Il s’insurgeait contre ces gens qui abandonnent presque leur progéniture et contre le mode de vie de ces personnes. Ce qu’il ne considérait toutefois pas, c’est que beaucoup de ces individus sont de très bons parents, toutefois, ils ne sont pas conçus pour être hommes ou femmes au foyer. Ils ont besoin d’avoir une vie en dehors de leur rôle de parents et le fait de se « départir » de leurs enfants 5 jours par semaine leur permet d’aller s’épanouir ailleurs, autrement, et d’être d’encore meilleurs papas et mamans lorsqu’ils retrouvent leurs petits. Le temps qu’ils passent avec eux le soir et la fin de semaine devient précieux et sa qualité augmente bien souvent.

Quand je retourne chercher Léa, Alice et Béatrice, je suis tellement heureuse de les voir. Elles me sautent au cou et ne veulent plus me lâcher. Tout cet amour me comble, m’insuffle de l’énergie. Lorsqu’elles étaient à la maison avec moi 24 heures sur 24, je n’avais que très rarement droit à de tels élans d’affection. Je devais surtout supporter leurs sautes d’humeur, leurs cris, leurs pleurs, leurs niaiseries, et me concentrer sur la préparation des repas, les changements de couche, le nettoyage, etc. Maintenant, durant les quelques heures par jour qu’on passe ensemble, bien sûr, je dois les nourrir, leur donner leur bain, etc., mais ces activités routinières deviennent des occasions pour nous amuser, chanter des chansons, partager de belles et bonnes choses. Je n’ai plus envie de les chicaner parce qu’elles jettent la moitié de leur plat par terre, de leur crier d’arrêter d’envoyer de l’eau partout lorsque je tente vainement de les nettoyer ; j’ai plus de patience, je tolère davantage leurs comportements enfantins, leur fais comprendre avec beaucoup plus de douceur que leur attitude est inadéquate. Parce que je n’ai pas passé la journée à faire la police, à ramasser des dégâts et à gérer des crises.

J’ai plutôt passer la journée à faire avancer des projets qui me tiennent à cœur, à entretenir la partie de moi qui a besoin de créer, de socialiser (avec des personnes de 18 ans ou plus qui ne prennent plus la suce ou le biberon, mettons), de se sentir utile et compétente (dans d’autres domaines que celui de l’érythème fessier ou de l’administration d’antibiotiques contre les otites). Tout en sachant que mes triplettes chéries sont là-bas, à se divertir, à apprendre de nouvelles choses que je n’aurais pas pu leur enseigner moi-même – la socialisation, le contact avec d’autres enfants, d’autres adultes, d’autres sources d’autorité –, qu’elles sont en train de devenir de vraies petites filles, avec leur cheminement propre, leur individualité. Que leur vie ne dépend plus seulement de la mienne.

Ces 8 heures par jour qui m’appartiennent, où je suis maître de mon temps et de mes activités, j’ai le choix de les passer à écouter la radio, un de mes plus grands petits plaisirs (que j’avais dû abandonner dès l’arrivée des triplettes à la maison, parce que ces dernières gueulent plus fort que Catherine Perrin et que la voix de Patrick Masbourian aurait risqué de les réveiller durant la sieste), ou dans le silence le plus complet – un plaisir encore plus impossible dans ma vie depuis un an et demi.

Depuis le 6 janvier, le silence est redevenu envisageable et l’avenir, prometteur.

Je suis moi à nouveau. Plus heureuse que jamais de pouvoir jouir de ma solitude.