mercredi 19 juillet 2017

Quand l'humanisme cède le passage au je-m'en-foutisme

Comme nous venons en Italie une fois par année, de séjour en séjour, je suis à même de constater ce qui a changé au fil des mois. En un an, les us et coutumes évoluent, des commerces ferment, d’autres ouvrent leurs portes, des habitudes se perdent, de nouvelles manies se développent. On remarque peu tous ces changements lorsqu’ils s’opèrent dans le lieu qu’on habite quotidiennement, puisqu’ils se font lentement, subtilement; ils nous sautent davantage au visage lorsqu’on rentre au bercail après une longue période d’absence. On est alors frappé par l’originalité et l’aspect pratique de quelques réalités nouvelles, tandis que la violence et l’absurdité d’autres façons de faire nous percutent de plein fouet.

À peine venais-je de mettre les pieds à Carpi que j’ai remarqué une chose étrange : nous étions arrêtés en voiture à un feu rouge et à ma droite, j’ai vu deux voitures ignorer délibérément le STOP qui les obligeait à s’arrêter. Ce n’était pas un cédez-le-passage, mais bien un arrêt – vous savez, ce panneau de forme octogonale, rouge vif, avec des lettres blanches écrites en majuscules?! Non seulement les deux conducteurs ne se sont pas arrêtés, mais ils ont à peine ralenti. Le plus étonnant, c’était que la première voiture était conduite par une principiante, c’est-à-dire une apprentie (en Italie, les apprentis conducteurs sont faciles à repérer puisqu’un énorme « P » est affiché dans la vitre arrière de leur automobile). C’est donc dire que même les jeunes qui n’ont pas encore leur permis et qui, normalement, devraient avoir frais en mémoire le Code de la route, ne respectent pas ce dernier. Ils suivent simplement l’exemple des conducteurs aguerris qui eux, n’en ont rien à cirer des règles et des panneaux de signalisation.

J’ai appris à conduire en Italie (on se rappelle à quel point ça a été compliqué pour moi d’obtenir mon permis québécois lorsque je suis rentrée au pays!) et j’ai souvent été derrière le volant sur les routes italiennes; je sais pertinemment que les automobilistes italiens ont toujours eu la réputation d’être téméraires et peu respectueux, mais là, il semble que la situation ait atteint des proportions invraisemblables. Pourtant, les lois sont de plus en plus sévères et les « punitions », toujours plus coercitives. Par exemple, dorénavant, un conducteur qui en tue un autre dans un accident est poursuivi au criminel et risque de croupir derrière les barreaux pendant des années. Qu’à cela ne tienne : les gens continuent de texter au volant et d’avoir le pied lourd sur l’accélérateur.

Mon beau-père me racontait également que pour conduire librement sans se soucier des  contraventions qu’ils pourraient recevoir, certains automobilistes se rendent dans les Balkans, entre autres en Bulgarie, pour y faire immatriculer leur voiture. Ne me demandez pas comment ils procèdent exactement, mais ils parviennent à obtenir leurs papiers dans ce pays dont ils ne sont ni citoyens ni résidents. La Bulgarie faisant partie de l’Union européenne, ce stratagème n’est apparemment pas si complexe à réaliser. Résultat : lorsqu’on leur colle un ticket pour excès de vitesse ou n’importe quelle autre infraction, ce dernier est envoyé en Bulgarie. Ils n’en voient jamais la couleur et ne payent évidemment jamais les amendes qui leur sont associées. Ils s’en contrefichent carrément.



Quand vient le temps d’expliquer pourquoi une certaine proportion de la population italienne a développé une forme exacerbée de je-m’en-foutisme, on se doit d’analyser la situation du pays dans son ensemble, et pas seulement par rapport à son Code de la route… L’Italie, à l’instar de la Grèce, ne s’est jamais remise de la crise économique de 2008. Pendant qu’au Canada on augmente le taux directeur sous prétexte que l’économie va bien, ici, dans la République italienne, on cherche de peine et de misère à se garder la tête hors de l’eau. Si les économistes italiens observent une légère amélioration dans leurs tableaux pleins de chiffres, la vérité, c’est que dès que les affaires semblent vouloir reprendre, le gouvernement augmente le fardeau fiscal des contribuables. En réalité, la capacité de payer des citoyens reste donc au beau fixe. En Italie, le taux de chômage est actuellement de 12% dans la population en général, mais de 34% chez les jeunes de moins de 25 ans. En parallèle, l’État, qui n’arrive pas à venir en aide à ses propres citoyens, doit déployer des moyens extraordinaires pour rescaper les milliers d’arrivants illégaux qui cherchent à mettre les pieds en Europe en transigeant par la Sicile. Depuis le 1er janvier 2017, ce sont 85 000 personnes qui ont été secourues en mer par les autorités italiennes. Pendant ce temps, le reste de l’Europe propose peu de solutions. Les Italiens vivent donc avec un profond sentiment d’abandon et ne voient pas quand ni comment cette crise va se régler.

Quel est le rapport avec le fait que les Italiens conduisent de plus en plus mal? Eh bien, quand on a le sentiment que nos gouvernements ne peuvent plus rien pour nous, que la société est en perdition et que c’est la loi du plus fort qui prévaut, voilà ce qu’on fait : on s’arrange pour être le plus fort. On fait ce que bon nous semble quand bon nous semble, parce que de toute façon, les personnes qu’on a mandatées pour prendre soin du bien commun et assurer l’harmonie sociale ne sont vraisemblablement pas en mesure de remplir leurs devoirs. Il semble qu’elles ne font que prendre toujours plus d’argent dans nos poches sans nous donner davantage de services. Aucune amélioration n’est observée à aucun niveau. Ça fait que leurs règlements, leur ci, leur ça, ils peuvent bien se les foutre là où vous pensez. Dorénavant, ce sera chacun pour soi. Et aux prochaines élections, on votera pour la Ligue du Nord (parti nationaliste et xénophobe) et le Mouvement 5 étoiles (antisystème et hostile à l'immigration).

Ça, c’est ce qui se passe dans la tête de l’Italien moyen (et qui n’est pas si loin, quand on y pense, de ce que croit le Québécois lambda, dans une moindre mesure). Et dans la tête de la vacancière-humaniste que je suis, le désespoir commence à s’installer. Quel avenir nous attend si en tant que peuples, nous ne croyons plus dans les institutions dont nous nous sommes dotés?


mardi 18 juillet 2017

La pureté de l'étranger

Nous voilà de retour en Italie, F., les triplettes et moi, pour un séjour de cinq semaines. C’est la troisième année de suite que nous passons une partie de notre été au pays du prosciutto. Plusieurs nous demandent comment nous faisons pour nous payer d’aussi longues vacances, mais il faut savoir que pendant ce temps, je continuerai de travailler à distance. De plus, la famille de F. nous aide à payer les billets d’avion pour les enfants et ici, comme nous sommes logés, nos dépenses sont plutôt limitées. Bref, n’allez surtout pas croire que je suis devenue riche à la suite de la publication de mon dernier livre (bien au contraire – mais ça, c’est une autre histoire.)

Je précise tout ça non pas parce que je me sens obligée de justifier mon mode de vie et les décisions que je prends, mais plutôt pour faire valoir une chose : ça ne sert à rien de jalouser les gens, d’envier ce qu’ils possèdent ou de penser que leur existence est plus agréable et facile que la sienne. C’est généralement faux. La vérité, c’est que chacun fait des choix, possède une échelle de priorités et se débrouille avec ce qu’il a.

Oui, il s’avère que quelque part en 2009, j’ai rencontré un Italien, que j’ai ensuite marié et avec qui j’ai eu trois magnifiques filles. Grâce à cette union, j’ai beaucoup voyagé dans la péninsule italienne et je continue de le faire. Mais il y a en contrepartie un tas de trucs que je n’ai jamais faits ou qui sont plus compliqués à réaliser pour ma famille mi-québécoise, mi-italienne que pour la majorité des familles « pure laine » (en admettant qu’un tel concept de pureté puisse réellement exister). Je n’ai pas l’intention de m’étendre sur ce sujet en particulier aujourd’hui, mais en tant qu’immigrant, F. ne l’a pas toujours eue facile, loin de là. Et il est marié à une Canadienne, alors je n’ose même pas imaginer à quel point ça peut être complexe pour un ressortissant « 100% » étranger (notez les gros guillemets ici, puisque je ne crois pas qu’il y ait des gens plus étrangers que d’autres – nous sommes tous l’étranger de quelqu’un, de toute façon).

De l’extérieur, il est facile de juger la situation des personnes qui nous entourent, de croire que certaines d’entre elles ont tout cuit dans le bec, que d’aucunes sont privilégiées ou que ce sont toujours les mêmes qui ont tout. Mais que savons-nous réellement du chemin qu’ont parcouru ces gens pour arriver là où ils sont?

Le raisonnement fonctionne à l’inverse aussi, c’est-à-dire qu’on peut très bien l’appliquer à notre manière de percevoir ceux qui n’ont rien. Les sans-abri, les réfugiés, les assistés sociaux, les malades (surtout mentaux), etc. : nous sommes toujours prompts à les rendre responsables de leur déchéance, à justifier leur misère par leur mauvais comportement, leur manque de prudence, leur incapacité à prendre les bonnes décisions. Mais que sait-on de ce qui les a menés là où ils sont, des souffrances qu’ils ont endurées, de la malchance qui s’est abattue sur eux à répétition? Rien. Ou si peu. Que ce soit par rapport aux personnes bien nanties qui roulent supposément sur l’or et qu’on envie jalousement ou à celles que nous détestons plus ou moins silencieusement sous prétexte qu’elles sont faibles et qu’elles se font vivre par le reste de la société, dans les deux cas, si l’on prenait davantage la peine de les écouter, d’apprendre à les connaître, elles et leur histoire, on serait certainement moins enclin à les juger et à les croire si différentes de soi.



C’est drôle, ce n’est pas du tout de ça que je voulais parler aujourd’hui pour inaugurer ce blogue (après deux ans de mutisme, je pense qu’on peut bel et bien parler d’inauguration!) Mais je me rends compte que ces considérations sur la perception que nous avons d’autrui me hantent et sont rattachées à plusieurs sujets qui font chaque jour les manchettes. Le rejet du projet de cimetière musulman par les gens de Saint-Apollinaire, la crise des migrants qui va en s’empirant partout en Europe (mais surtout en Italie), voire le comportement erratique de Donald Trump ont tout à voir avec cette méconnaissance de l’Autre et la peur qui s’en suit. Comme un cancer, cette peur s’installe en vous, grandit et gruge tous les bons tissus dont vous êtes faits – l’amour, la tolérance, l’ouverture, la bonne foi, la générosité, elles y passent toutes. Vous devenez des êtres fermés, obtus, radins, bornés et suspicieux. Et vous finissez par ne faire confiance qu’aux gens qui vous ressemblent (du moins, en surface). Ainsi naissent les groupes comme les Proud Boys, qui pensent qu’en forçant les jeunes hommes à arrêter de se masturber (!!), on va éradiquer tous les problèmes de la civilisation occidentale. Eh bien, par où commencer…


Pour ma part, j’ai décidé de profiter du fait que j’aurai un peu de temps pour moi au cours des prochaines semaines pour réanimer ce blogue, que j’utiliserai comme un outil d’échange et de dialogue. Bien à vous, donc, de l’utiliser à votre tour en y laissant des commentaires (toujours respectueux, nul besoin de le préciser) afin que ces humbles chroniques deviennent de véritables conversations. Parce que je pense qu’il est vraiment temps qu’on recommence à se parler.