mardi 24 avril 2012

Lettre à notre mère


Maman,

       Nous avons bien reçu ta lettre de la semaine dernière. Tu dois te demander pourquoi alors nous n’en avons pas tenu compte et avons décidé de nous pointer le bout du nez le jour suivant son envoi. Laisse-nous t’expliquer.
        Nous avions l’intention au départ de rester encore quelques semaines dans ton ventre, cependant, une suite d’événements a fait en sorte que nous sommes devenues réellement impatientes de voir le monde extérieur, malgré tes conseils et ton invitation à demeurer encore un peu plus longtemps bien au chaud en ton sein.
         Premièrement, nous t’avouerons (« nous » incluant Léa et Béatrice) que nous commencions à être un peu tannées de nous faire piocher dessus par Alice ! Tu l’avais toi-même remarqué, c’est une petite hyperactive et elle n’avait de cesse de se mouvoir, d’organiser des spectacles de gymnastique et de nous demander de jouer avec elle. Cela commençait à être plutôt difficile de se reposer là-dedans, avec elle qui grouillait tout le temps. Bon, nous non plus nous ne donnions pas notre place parfois, mais avoue que nous étions tout de même plus sages la majeure partie du temps ?
           En ce qui me concerne (c’est Léa qui parle), j’étais de plus en plus à l’étroit et cela ne me plaisait guère. Les filles étaient installées par-dessus moi et je devais supporter leur poids constamment. Je m’excuse maman, j’ai flanché. Je suis sûre que tu comprendras. Il n’est pas toujours évident de porter le monde sur ses épaules, n’est-ce pas ? C’est moi qui ai déclenché tes contractions. À vrai dire, je n’ai pas fait exprès, c’est comme parti tout seul. Ma tête était appuyée sur le col de ton utérus et, soudainement, je me suis sentie glisser. Je sais que j’ai donné la frousse à ton médecin, qui ne voulait absolument pas que tu accouches naturellement ; tout ça s’est passé très vite et personne n’était prêt à nous recevoir. Finalement, ils se sont bien débrouillés et je me suis sentie convenablement accueillie quand je suis sortie. Au fait, je ne comprends pas trop une chose : comment se fait-il qu’ils ont découpé une porte dans ton ventre pour venir nous chercher alors que nous avions déjà une jolie fenêtre par laquelle nous échapper ? J’espère que ça ne fait pas trop mal, ce gros trou qu’ils t’ont fait dans le corps. Si jamais nous nous rendions compte que le monde n’est pas si excitant que cela finalement et que nous décidions de retourner dans ton ventre, crois-tu que nous pourrions emprunter ce chemin que les médecins ont tracé pour nous ?
             Moi (Alice), en tout cas, je ne suis pas sûre qu’on ait pris la meilleure décision en sortant de toi. C’est moi ou il fait vraiment froid dehors ? À propos, cette lampe qu’ils nous ont foutu au-dessus de la tête, à quoi elle sert ? Ils viennent de nous l’enlever en fait et cela m’arrange, je l’admets. Pourquoi nous aveugler avec cette intense lumière, jour et nuit ? Pas moyen de dormir en paix ! Disons que l’éclairage tamisé de ton intérieur me plaisait davantage. Et en dedans, nous n’avions pas ces espèces de bout de papier irritant sous les fesses pour recueillir notre urine. Une couche, que ça s’appelle, je crois. Quand elle est pleine, sérieusement, c’est trop désagréable ! Tu as vu l’autre jour comme je l’ai fait comprendre à l’infirmière qui prend soin de moi ?! Je pense qu’elle m’a trouvée bien drôle quand j’ai fait le pont, en poussant avec mes pieds sur le rebord de mon petit lit et en arquant le dos ; je ne pouvais pas supporter que mon fessier touche une seconde de plus à cette couche imbibée de pipi !
           Pour ma part, (je suis Béatrice, tu me reconnais ?), je voulais juste te dire que je trouvais ça plutôt sympa ici jusqu’à présent. Bon, je m’attendais à de la nourriture un peu plus variée – à force de t’entendre parler de bouffe et de voir tout ce qui passait par ton estomac au fil des derniers mois, j’avais espoir que nous aussi aurions droit à toutes ces victuailles –, mais j’ai cru comprendre qu’il nous faudrait attendre encore quelques mois avant de pouvoir goûter à autre chose qu’à du soluté ou à ton lait. Cela étant dit, j’ai commencé à être nourrie avec ton lait hier et je le trouve pas mal. C’est chaud, c’est réconfortant. Je sens que ça va me donner des forces pour affronter les jours à venir. Les médecins ont l’air de dire que nous aurons encore plusieurs petites épreuves à surmonter. Ne t’en fais pas, nous y parviendrons. Je sais qu’au début j’ai pu laisser croire que j’étais un peu plus paresseuse et moins battante que mes deux sœurs, or, c’est seulement que j’étais très fatiguée du voyage que nous venions d’accomplir. Je ne suis pas aussi énergique que Léa et Alice, moi : je préfère me prélasser, méditer, faire la grasse matinée. Je sais que tu es pareille, alors ne fais pas semblant de ne pas comprendre.
            Nous voulions te rassurer et te dire à quel point nous étions prêtes à tout pour demeurer ici, avec toi et papa. Il aurait probablement été plus sage de rester dans ta bedaine encore quelque temps, sauf que nous ne souhaitions pas abuser de ton hospitalité. Nous voyions bien que cet immense ballon que tu devais trimballer commençait à t’importuner joyeusement et que tu n’étais pas tout à fait heureuse avec cette obligation que le médecin t’avait imposée de te reposer et de bouger le moins possible.
Nous nous sommes concertées et nous avons convenu qu’il valait peut-être mieux sortir afin que tu puisses te reposer à la maison plutôt qu’à l’hôpital. Ainsi, dès que tu iras mieux, tu auras tout le loisir de compléter la décoration de notre chambre et l’achat des quelques meubles et objets dont nous aurons besoin et qui ne sont pas encore cochés sur ta liste. Nous croyons que de cette manière, tu seras réellement prête à nous accueillir au début de l’été, lorsque nous aurons à notre tour notre congé de l’hôpital. Et nous, nous continuerons notre croissance avec l’aide de toutes ces gentilles mesdames qui prennent si bien soin de nous à l’unité néonatale. Dis à papa de ne pas se faire de mauvais sang, tout se passera sans heurts.
          Dans ta lettre, tu disais que nous t’avions appris le vrai sens des mots patience et abnégation. Pour notre part, tu nous as déjà fait comprendre ce que voulaient signifier se battre, défendre ses idées, lutter pour les bonnes causes et ne jamais laisser tomber. Bref, nous prenons modèle sur toi pour mener notre bataille pour la vie, et c’est avec détermination que nous entamons cette intrigante aventure qu’est l’existence.
           
            Donne un bisou à papa de notre part,

                                                                     Léa, Alice et Béatrice

vendredi 20 avril 2012

Les plaisirs insoupçonnés



Le quotidien est une réalité qui en rebute plusieurs. Nombre de gens cherchent à défier la routine de toutes les manières possibles, à éviter les pièges d’une vie trop régulière et prévisible. Pourtant, le quotidien a quelque chose de merveilleux, quand on y pense. Depuis que je suis enceinte, et particulièrement depuis que je suis au repos forcé en raison des risques que représente ma grossesse, le quotidien n’a plus la même signification pour moi. Les gestes, les paroles et les événements les plus banals ont pris un tout autre sens.

Quand on est autorisé à quitter son lit ou son divan uniquement pour aller aux toilettes ou prendre une douche rapide, on vient à s’ennuyer de l’époque où l’on pouvait faire le ménage, les courses et le souper sans restriction ! On découvre que le bonheur se trouve véritablement dans les petites choses. Un verre de lait au chocolat, un morceau de pain aux bananes fait maison ou un yogourt Activia suffisent parfois à faire notre journée.

Tout le monde connaît les publicités d’Activia, dans lesquelles on nous encourage à manger un yogourt par jour afin de bénéficier de tous les bienfaits des probiotiques. Je dirais que je ne suis pas vraiment du genre à être influencée par la pub de façon générale, cependant, quand un produit est bon, il est bon, et je n’hésite pas à me le procurer et à en parler en bien. C’est pourquoi quand Danone m’a approchée pour savoir si j’accepterais de parler de leur produit sur mon blogue, je n’ai pas hésité.

Depuis plusieurs mois, les petits pots verts de Danone m’accompagnent dans ma routine de future maman de triplés et ponctuent mes journées de volupté. Que ce soit au déjeuner, comme collation ou pour dessert, au moins une fois par jour, je mange un « yaourt », comme disent les Français. Je laisse la substance douce et crémeuse fondre sur ma langue, savoure sa texture lisse et onctueuse, croque dans les gros morceaux de fruits parfois cachés à l’intérieur avec délectation ; ce petit moment devient pour moi l’occasion de renouer avec mes sens, de me réapproprier mon corps.

Effectivement, j’ai souvent l’impression que mon corps ne m’appartient plus, que je ne suis plus qu’une usine à bébés et qu’il n’y a plus que mon immense bedaine qui compte, au détriment de mes besoins et de mes envies propres. Par contre, quand je mange mon Activia, c’est pour moi que je le fais, pas pour qui que ce soit d’autre. Et je me dis que malgré tout, la vie goûte bon.



mardi 17 avril 2012

Lettre à Léa, Alice et Béatrice


Mes petites, mes filles, mes amours,

         Il y a cinq mois (cinq mois « civils », selon le calendrier grégorien, non pas cinq mois de grossesse – je sais, c’est mêlant, mais ce n’est pas tout à fait la même chose), j’ai appris une nouvelle qui a changé ma vie : j’ai su que j’étais enceinte. Votre père et moi désirions au plus haut point avoir un enfant alors cette annonce nous a grandement réjouis, bien que surpris un peu, puisque nous venions tout juste de commencer à essayer de nous « reproduire ».
Je me revois encore dans la salle de bains, à 5 h 00 du matin (je sais, il était tôt, mais on dit qu’il est mieux d’effectuer le test de grossesse avec la première urine de la journée ; j’avais terriblement envie et je ne voulais pas gaspiller mon précieux premier pipi du matin !). J’essayais tant bien que mal de sortir le test de son emballage – je tremblais, j’étais si excitée de connaître la réponse, j’avais de la difficulté à contenir mes mains nerveuses. La réponse fut extrêmement rapide et sans équivoque ; à peine deux secondes après avoir trempé le bâtonnet dans mon urine, un symbole « + » y est apparu.
J’ai couru jusqu’à la chambre pour montrer le résultat à votre papa, qui ne comprenait rien de ce qui se passait, tout endormi qu’il était encore. C’est positif mon amour, je suis enceinte. – Hein !? – On va avoir un bébé ! Sa joie était si intense, elle illuminait la pièce en entier, comme si déjà le jour s’était levé. Il faisait pourtant toujours nuit et il était trop tôt pour que nous puissions partager notre excitation avec qui que ce soit. Il est si pénible de garder un bonheur aussi grand uniquement pour soi – cela fait presque mal.
Huit semaines plus tard, nous avons appris une autre nouvelle qui a complètement bouleversé notre existence : lors de la première échographie de routine, on nous a annoncé que nous attendions non pas un, mais bien trois bébés. Le choc fut immense. Nous avons mis une dizaine de jours à nous en remettre, à comprendre ce qui venait d’arriver. Les miracles, aussi merveilleux soient-ils, sont toujours un peu difficiles à avaler. L’humain n’est pas habitué à ainsi perdre le contrôle de sa vie, lui qui se croit supérieur à tous les autres êtres vivants. Lorsque survient un événement relevant d’une entité vraisemblablement plus puissante que lui, il peut éprouver de la difficulté à accepter son sort et, surtout, son statut d’être aussi faible et impuissant que les autres.
Quelle entité a décidé de mettre trois bébés plutôt qu’un dans mon ventre, je l’ignore. Certains l’appelleront Dieu, d’autres, tout simplement « la Nature » ou « la Vie » – une chose est sûre : les phénomènes que nous ne saisissons pas toujours bien, nous aimons beaucoup les affubler de noms qui s’écrivent avec la majuscule au début. Pour ma part, j’aime bien croire que c’est vous-mêmes qui avez décidé de venir au monde toutes en même temps. De faire de mon ventre votre refuge. Votre maison de poupées.
Lorsque vous serez plus grandes, vous vous poserez certainement beaucoup de questions, tant sur vos origines que sur le sens de la vie, les raisons de votre présence sur Terre – si vous êtes comme moi, ces grands questionnements existentiels risquent de survenir assez tôt… Malheureusement, je n’aurai pas beaucoup de réponses à vous fournir, car je suis moi-même en quête de sens constante.
Je n’arrive toujours pas à dire si je crois en Dieu ou non – je peux seulement vous confirmer que je ne crois pas aux dieux que les hommes se sont inventés pour mieux dominer le monde, ceux aux noms de qui ils s’entretuent et se font la morale. Je sais qu’il existe plusieurs formes d’énergie, dont certaines dépassent notre entendement, ô nous qui avons besoin de voir pour croire. Je sais que les morts ne meurent jamais complètement – au minimum restent-ils vivants dans nos cœurs et dans nos esprits. Je sais aussi que nous ne sommes pas que des corps, des enveloppes charnelles qui se décomposent tranquillement, jusqu’à ce que vienne le moment de retourner dans la terre.
Qu’y a-t-il d’autre que ce corps que nous trimballons, de la naissance à la mort ? D’aucuns utiliseront le mot « esprit », tandis que d’autres parleront plutôt d’« âme ». Vous entendrez peut-être aussi des personnes prononcer les mots « chacras », « troisième œil » ou je ne sais quoi encore. Honnêtement, le terme m’importe peu. Ce qui compte, c’est ce que je ressens. Et je sais qu’en moi circule une énergie qui n’a rien à voir avec le sang ou un quelconque autre fluide corporel.
C’est cette énergie qui me permet d’entrer en contact avec les gens qui m’entourent, d’éprouver des sentiments pour eux, de développer des relations sincères et profondes, basées sur bien plus que l’aspect physique ou matériel de notre réalité humaine. C’est également cette énergie qui me pousse à écrire, toujours dans l’espoir d’entrer en contact avec le monde qui m’entoure. Les mots me viennent parfois beaucoup trop naturellement pour que je puisse croire qu’ils sont l’unique fruit du travail de mon cerveau. Une vulgaire connexion entre deux synapses hyperactifs. Les mots me viennent de beaucoup plus loin, d’un lieu chaud et mystérieux. D’un endroit paisible et insaisissable. Les mots viennent du même endroit que vous. Mes trois petites, mes trois filles, mes trois amours.
Quand j’ai appris que j’étais enceinte, j’étais en Italie, le pays où est né votre papa. Là-bas, je travaillais à l’écriture de mon deuxième livre, tout en me gardant du temps pour visiter mon coin de pays adoptif et en découvrir la langue et la culture. Pour me garder en forme, j’allais souvent courir dans la campagne de l’Émilie-Romagne, généralement en fin de journée. Je me revois gambadant entre les champs de vignes, le soleil de dix-sept heures chauffant doucement ma peau de rouquine, l’humidité s’accrochant à mes muscles endoloris. J’observais le paysage en me disant que je vivais là quelque chose d’unique, que j’avais beaucoup de chance d’être là où j’étais, entourée de toute cette beauté. Je me répétais souvent que cette année passée en sol italien serait « ma grande année de création ». Au fond de moi, j’étais convaincue qu’au cours de ces mois d’exil je parviendrais non seulement à terminer mon projet de livre, mais également à concevoir un tout nouveau petit être avec l’homme de ma vie. Ma grande année de création… Jamais je n’aurais cru si bien dire !
Aujourd’hui, de retour au Québec, me voilà en train de terminer la confection de trois petites demoiselles déjà tout excitées à l’idée de venir au monde. Maintenant que le premier jet de mon projet d’écriture est effectivement terminé, c’est tout ce à quoi j’occupe mes journées : vous faire grandir, mes bébés ; vous donner tout ce dont vous avez besoin pour vous développer, croître, vous épanouir.
Mes chéries, comme moi, il semble que vous soyez quelque peu impatientes et que vous ayez très hâte de voir de quoi il a l’air, le monde extérieur ; vous faites de plus en plus de pression sur mon pauvre petit utérus et celui-ci a déjà commencé à se déployer, afin de vous laisser sortir. Cependant, il est encore un peu tôt pour vous permettre de vous pointer le bout du nez. Si vous deviez naître maintenant, les médecins réussiraient sans aucun doute à vous sauver – ils parviennent à faire des choses incroyables avec la technologie actuelle. Toutefois, il serait mieux pour votre santé que vous teniez le coup encore quelques semaines. Que vous continuiez de m’écraser la vessie, de me donner des coups dans les côtes et de me virer les viscères à l’envers au moins un mois et demi.
Afin que votre arrivée parmi nous ne soit pas trop précipitée, vendredi dernier, mon médecin a décidé de m’hospitaliser. Je passe maintenant mes journées couchée – j’ai le droit de me lever uniquement pour aller me vider la vessie sur laquelle vous vous amusez à piocher si joyeusement. De ma chambre, je vois le ciel bleu et un immense mur de béton sans fenêtre – le bloc opératoire de l’hôpital. J’imagine qu’il fait chaud, par contre, je ne peux pas le confirmer en ouvrant ma fenêtre (les hôpitaux sont si déprimants qu’on s’assure toujours que leurs fenêtres ne puissent pas s’ouvrir, afin qu’aucun patient ne décide de se défenestrer, dans un geste d’ultime désespoir). J’entends des gens circuler dans les corridors, mais je ne les vois pas. Votre papa vient me visiter le plus souvent qu’il le peut. Il s’occupe de moi avec tendresse et dévotion, ce qui me fait l’aimer chaque jour encore plus. Cela me manque de pouvoir dormir collée avec lui…
Plusieurs autres choses me manquent évidemment, mais j’essaie de ne pas trop y penser. Je me concentre plutôt sur vous, sur votre bien-être. Je vous parle souvent, est-ce que vous m’entendez ? Je le souhaite. J’espère que mes paroles se rendent à vous. J’espère que vous réalisez tout ce que je suis prête à faire pour vous. Vous n’êtes pas encore tout à fait là, or, vous m’avez déjà appris le sens réel des mots patience et abnégation.

Votre mère

mercredi 4 avril 2012

Un monsieur et une madame


J’ai beaucoup parlé de la grossesse ces derniers temps. Difficile de faire autrement quand ton quotidien t’est dicté par ta bedaine, que tu n’es plus libre de faire ce que tu veux quand tu le veux parce que tu es occupée à fabriquer des bébés. Cependant, j’ai très peu parlé d’un des principaux « coupables » de ma situation : F. Car oui, je vous le confirme, pour ceux qui l’ignoraient ou qui en doutaient encore, pour faire des enfants, ça prend un monsieur et une madame – généralement, les résultats sont plus concluants en tout cas. Bref, tout ce qui m’arrive, c’est un peu de la faute à F. Mais vous savez quoi ? Je ne lui en veux pas deux secondes. En fait, je ne lui serai jamais assez reconnaissante.

Reconnaissante de quoi ? De m’avoir transformée en usine à fœtus, d’avoir fait de moi une grosse madame qui passe ses journées sur le divan, d’avoir implanté en moi ce fruit qui grandit à vue d’œil et que ma peau étirée a de plus en plus de difficulté à contenir, tant et si bien que j’ai l’impression que c’est par les oreilles que je finirai par accoucher ? Non. Ce n’est pas pour cela que je suis reconnaissante envers F.

Je le suis plutôt car il y a de cela bientôt deux ans, il a accepté de sceller son destin avec le mien en m’épousant et que cet engagement ne lui a pas suffi ; il a voulu faire de notre amour une œuvre encore plus grande : il a souhaité que de nos sentiments réciproques naissent de nouvelles formes de vie. Que le respect et la tendresse que nous éprouvons l’un pour l’autre s’enracinent dans la terre et se transforment en un chêne immense aux branchages infinis. Le début d’un nouvel arbre généalogique, qui servirait de pont entre nos deux terres natales. C’est de cela que je suis reconnaissante à F. De son dévouement, de sa volonté de construire quelque chose de durable, de sa confiance, de sa présence inconditionnelle.

En plus de travailler à temps plein, F. doit présentement s’occuper du lavage, du ménage, de la préparation des repas, des courses et de l’épicerie. Comme si ce n’était pas assez, le soir, lorsque je souffre de terribles maux de dos, il doit me masser pour calmer mes muscles endoloris et me permettre de m’endormir. Il nettoie la baignoire lorsque je désire prendre un bain et me tient compagnie durant ce moment de détente. Chaque matin, il se lève à 6h00 et vient m’embrasser avant de quitter la maison, prenant la peine à toutes les fois de me dire « Repose-toi ma chérie, tu en as besoin » – comme si lui n’en avait pas besoin. Le midi, il prend dix minutes sur les trente qui lui sont accordées pour le lunch pour m’appeler et s’informer de mon état. Lorsqu’il est à la maison, il est à l’écoute de mes moindres besoins et me réprimande si j’ai osé faire une chose par moi-même alors qu’il était tout près et qu’il aurait très bien pu s’en charger. Et parfois, inquiet, il me demande « Est-ce que tu trouves que j’en fais assez ? » Mon cœur fond, et je ne peux lui répondre que par un baiser éperdu.

Je ne me fatiguerai jamais de répéter à quel point F. est un homme extraordinaire. Je prends la peine de le lui rappeler tous les soirs avant qu’il ne s’endorme, mais ce n’est pas suffisant. Il me faudrait pouvoir le lui murmurer à l’oreille à chaque seconde du jour et de la nuit. Ainsi, peut-être finirait-il par comprendre à quel point il est exceptionnel.

Le 26 octobre 2011, j’affirmais sur ce blogue que j’étais tombée de nouveau amoureuse de F. lors de notre petite escapade dans la ville de Lucca et que Luca m’était alors apparu comme un joli prénom pour un garçon, laissant ainsi sous-entendre que j’envisageais de faire des enfants avec F. dans un avenir rapproché. Ce que j’ignorais, c’est que j’étais déjà enceinte de lui. Depuis trois jours. Trois jours après la fécondation, c’est normalement à ce moment qu’un de mes ovules s’est divisé pour former deux embryons. Nos deux petites jumelles identiques. Et juste à côté, un autre ovule avait aussi été fécondé. Nos triplettes étaient déjà bien en place. Et cette aventure, je n’aurais pas pu la vivre avec quelqu’un d’autre que F.