mardi 24 septembre 2013

La famille est faite

C’est probablement le commentaire que nous recevons le plus souvent de la part des quidams que nous croisons dans la rue, à la pharmacie, chez le médecin, au parc ou au centre commercial lorsque nous sortons avec nos triplées : « La famille est faite ! » Après s’être exclamés « Oh ! mon dieu, trois, ça doit être de la job, vous êtes courageux ! », les gens nous servent presque automatiquement cette phrase cliché « En tout cas, votre famille est faite ! »

Mais qu’est-ce que vous en savez ?!

Pourquoi le fait d’avoir eu trois enfants en même temps signifierait-il automatiquement que nous n’en voulons pas d’autres ? Peut-être que c’est le contraire, peut-être que ça se passe bien et que ça nous a juste donné envie d’en faire encore et encore, des bébés ? Qui sont ces inconnus pour présumer combien d’enfants nous désirons et déclarer que trois, c’est bien assez ?

En vérité, F. et moi, nous ne le savons pas. Nous n’avons pas pris de décisions en ce sens. La  « shop » n’est pas encore officiellement fermée. En attendant, nous prenons d’autres mesures pour ne pas nous retrouver immédiatement avec un autre poupon tout frais sur les bras, mais dans deux ou trois ans, nous ne disons pas non. Nous verrons bien rendus là. Il se pourrait que nous préfèrerions nous « contenter » de nos trois merveilles, comme il se pourrait que nous nous lancions dans la folle aventure d’en avoir une ou deux autres.

Au Québec en 2011, l’indice synthétique de fécondité, c’est-à-dire la moyenne d’enfants par femme, était de 1,69. Un peu plus qu’un bébé et demi par madame. C’est ça, la note de passage. Si tu réussis à faire ça, tu passes ton cours d’individu socialement acceptable. Si t’en fais moins, tu vas te faire pointer du doigt et devras te taper des classes de rattrapage ; si t’en fais plus, tu seras catégorisée comme « bolée » et risque de souffrir d’ostracisme tout le reste de ta vie. J’exagère à peine.

Je connais des femmes dans la trentaine qui n’ont pas d’enfants et qui ne projettent pas en avoir ; chaque semaine, si ce n’est pas chaque jour, elles sont confrontées au jugement condescendant des autres femmes qui ne comprennent pas comment elles font pour se sentir complètes et accomplies sans avoir de descendants. On ne comprend pas POURQUOI. Pourquoi tu n’as pas fait de z’enfants ma pauvre ? T’as pas trouvé le bon avec qui les faire ? T’es pas fertile ? T’es trop égoïste ? T’as préféré tout miser sur ta carrière ? Tu trouves pas ça cute, les z’enfants ? En tout cas, y’a sûrement quelque chose qui cloche avec toi.

Pis moi, ben j’en ai fait un peu trop. 1,31 au-dessus de la moyenne. Non mais, qu’est-ce qui m’a pris ? Je me pense meilleure que les autres, c’est ça ? Dans mon cas, c’est légèrement différent, je n’ai pas tout à fait choisi d’avoir 3 enfants (si j’en fais plus par contre, là, je vais porter le blâme à 100 %), mais toutes ces femmes qu’on voit se trimballer avec deux, trois, quatre, voire cinq mini clones accrochés à leurs baskets, elles, elles l’ont cherché, le trouble. Pourquoi elles ont fait autant de bébés ? Elles voulaient juste toucher les allocations familiales du gouvernement et se payer des caisses de Coors Light avec les sous ? Elles ne savent pas que la contraception existe ? Elles ont été brainwashées par la religion ? Elles ne sont pas au courant que le féminisme est passé par ici et nous a libéré du joug patriarcal qui nous obligeait anciennement à accoucher comme des lapines jusqu’à ce que mort s’en suive ?

Je caricature. À peine.

On vit dans un monde où la norme est très forte et ne pas s’y conformer, d’un bord comme de l’autre, est considéré comme un acte rebelle. On cherchera automatiquement ce qui ne va pas avec nous si nous ne suivons pas les dictats de notre belle société donc ben ouverte sur la différence (sic).

Dans la vie, il faut :

-       Étudier. Aller à l’université, si possible. Mais pas trop longtemps. Parce qu’un trentenaire qui traîne encore sur les bancs d’école n’est rien d’autre qu’un indésirable profiteur. Et surtout, il faut étudier « la bonne chose ». Un domaine utile. La comptabilité, tiens, ça, ça sert à quelque chose. Laisse faire la littérature mon p’tit pet, c’est pour les perdus sans ambition.
-       Se caser. C’est correct si tu te maries pas, c’est même mieux ainsi (sérieusement, les gens qui s’épousent encore aujourd’hui en 2013, ils ne sont pas un peu rétrogrades ?), mais arrange-toi pour t’accoter au moins. Pis attends pas à 37, 40 ou 42 ans pour le faire. Rendu là, tu vas avoir l’air d’un désespéré si tu oses encore cruiser dans les bars.
-       Avoir une bonne job. 30 000$ par année, c’est pas assez. Vise plus haut, sois idéaliste un peu, bon sang ! 40 000$, bof, 50 000 $, là tu commences à parler. Mais ne viens pas nous demander pourquoi il t’en reste à peine la moitié dans tes poches à la fin de l’année. On a des gouvernements conservateurs à faire rouler, nous.
-       Voyager. Mais pas trop, ça non plus. Oublie pas que tu dois travailler au moins 50 semaines par année pour être rentable. Tu ne voudrais pas avoir l’air d’un romanichel. Une p’tite semaine dans le Sud une fois par année, ça va te recrinquer. Change de pays à chaque année par contre, après la République Dominicaine, tu essaieras le Mexique, pis Cuba, pis la Jamaïque, pis Haïti, tiens, c’est rendu cool d’aller à Haïti maintenant, comme ça, tu vas pouvoir piner des punaises un peu partout sur la mappemonde accrochée dans ton bureau, ça va impressionner tes invités.
-       Faire des enfants. Pas trop jeune (tomber enceinte à 18 ans, c’est une plaie), ni trop vieux (39, ishhhh, t’es sûre que tes ovaires fonctionnent encore comme du monde ? Un trisomique c’est si vite arrivé, t’sais)
-       Etcetera, etcetera.

Il y a des exceptions à toutes ces règles, bien sûr. Il y a des gens qui vivent très bien tout en étant nomades, sans enfants, travailleurs autonomes et célibataires. Généralement, on les retrouve sur les cover des magazines à potins. On ne devrait pas essayer de les imiter à la maison. Ces gens-là, ils existent pour nous faire rêver, pas pour nous donner l’exemple.

Il y a aussi tous ceux qui s’en contrefichent de ce qu’on attend d’eux et qui font à leur tête. Ils se construisent une vie à leur image, loin de tout ce qu’on tente de leur imposer comme régime, mode, destin. J’en connais plein, de ces personnes. J’en suis devenue une, sans le vouloir. En faisant une maîtrise en littérature, en me mariant à 27 ans, en choisissant de devenir écrivaine, en n’ayant aucune sécurité d’emploi, en me choisissant pour compagnon de vie un Italien qui m’a fait trois bébés. Et je vous le confirme, ce n’est pas facile tous les jours de ramer à contre-courant.

Souvent, je me demande moi-même pourquoi je me la complique autant, la vie. En faisant toujours des choix contre-intuitifs, des choix pas du tout socialement responsables parce que chaque fois, ils m’éloignent du beau p’tit fil conducteur de la normalité. Je n’ai pas à chercher bien loin en fait pour savoir d’où me vient ce caractère « dissident ».

Ma mère a eu quatre enfants et a été femme au foyer jusqu’à son divorce à la fin des années 90. Dans les années 80, c’était aussi sinon plus inhabituel qu’aujourd’hui. Le féminisme sans soutien-gorge des années 70 n’était pas bien loin et ma mère se faisait constamment dévisager par les femmes libérées qui l’entouraient. Celles qui travaillaient 60 heures par semaine et qui engageaient des femmes de ménage pour mettre en ordre leur belle maison de banlieue. Ma mère faisait de l’ordre toute seule. Elle cuisinait, nous accueillait à la maison pour l’heure du dîner, elle nous éduquait, nous cousait des vêtements quand elle avait un peu de temps libre. Et oui, une mère au foyer est occupée au point où elle aussi, elle en manque, du temps. Ma mère n’est ni paresseuse, ni anti-féministe, ni ultra-catholique, contrairement à ce que ses contemporains pouvaient penser d’elle. Elle était juste mère au foyer. La fière mère au foyer de quatre enfants qu’elle avait désirés de tout son cœur et qu’elle élevait du mieux qu’elle le pouvait. Aussi con que cela puisse paraître, cela faisait d’elle une anticonformiste.


Et moi, à ma manière, je suis sa voie. Ça fait que non, contrairement à ce que vous croyez, il est loin d’être certain que ma famille soit faite.




jeudi 19 septembre 2013

Walmart, le Kilimandjaro et les sandwiches en forme de fleurs


J’ai arrêté de courir.

Avant de tomber enceinte, je faisais du jogging. Dans mes bonnes périodes, je courais 7 km trois fois par semaine. J’adorais ça. Une fois en cloque, j’ai tout cessé, sous les conseils des médecins (conseils qui s’avèraient basés sur des suppositions davantage que sur des preuves scientifiques, ai-je su plus tard, mais ça, c’est un autre sujet). Après mon accouchement, j’avais hâte que ma plaie de césarienne guérisse pour enfin me remettre à la course. Cinquante jours après avoir donné naissance à mes filles, je réenfilais mes running, pimpante et motivée. Je me rappelle avoir parcouru 5 km, les premières 20 minutes en joggant sans interruption. J’étais super fière de moi, je me sentais revivre. Puis, quand j’avais dit ça à ma mère, elle m’avait rétorqué : « Il n’est pas un peu tôt ? Tu as encore des lochies (pertes de sang après l’accouchement), me semble que j’attendrais que ton utérus soit en meilleur état. » Elle avait raison. Je me suis freiné l’enthousiasme et j’ai mis mon projet de remise en forme sur hold en me disant, « je reprendrai dans quelques semaines ». Finalement, mes filles sont rentrées à la maison, après 4 mois en néonatalogie, et avec les nuits de merde que je me tapais, l’idée de me remettre à courir ne m’a plus du tout effleuré l’esprit.

Ensuite, il y a eu tout ce que je vous ai déjà raconté ici, les problèmes de santé, ceux de mes filles, les miens, l’épuisement, l’anxiété, etc. Cependant, au printemps dernier, l’envie de recommencer à courir m’est revenue et le cardiologue que j’avais vu au sujet de mes petits ennuis cardiaques m’avait encouragée à m’adonner à ce genre d’exercice. Avec F., on allait courir, les petites nous accompagnaient dans leur poussette, on a fait des intervalles d’abord, puis on a couru 5 km non stop, comme dans le bon vieux temps. Ça nous faisait une belle sortie de couple, ça nous réénergisait. Mais ça nous vidait, aussi.

Cet été, pendant un mois, je faisais trois sorties par semaine. J’avais retrouvé un bon rythme de course, j’étais hyper encouragée d’avoir parcouru 80 km en quatre semaines, en incluant les promenades à pieds qu’on faisait avec les petites. Puis, un matin après être allée courir, alors que les filles faisaient une sieste, j’ai décidé de m’asseoir tranquille, de me faire un bol de café au lait et de profiter de ce moment de calme et de solitude pour penser à moi.

À ce moment exact, j’ai fait une crise d’anxiété.

Mon cœur s’est emballé, ma respiration allait tout croche, j’avais l’impression que j’étais en train de devenir folle. Sur le coup, je n’ai pas compris pourquoi. Évidemment, quand on fait une crise de panique, au moment même où elle survient, on n’est pas capable de raisonner logiquement, de saisir ce qui se passe et les raisons du comment.

Mais j’ai fini par avoir une petite idée de ce qui s’était passé : je m’en mettais trop sur les épaules. J’avais recommencé à courir supposément pour moi, pour me sentir bien, cependant, je le faisais aussi beaucoup (surtout ?) parce que je sentais une certaine pression sociale à l’effet que je devais être top shape, qu’une femme accomplie avait le devoir de se tenir en forme, d’être bien dans sa peau, de s’accorder du temps de qualité même si du temps, elle n’en a pas, car elle passe déjà 200 heures par semaine à changer des couches, préparer des purées, donner des biberons, moucher des petits nez, donner des bains, faire la vaisselle, des brassées de lavage, l’amour à son chum, peut-être. Oui, je le sais, il n’y a que 168 heures dans une semaine. Justement. Je n’y arrivais pas. Débloquer un « budget » de 5 heures par semaine pour faire de l’exercice, c’était trop me demander. Je n’avais pas ce lousse dans ma bourse à minutes. Au lieu de courir, j’aurais dû dormir.

Oui, mais ! Les magazines féminins regorgent de portraits de superwomen monoparentales qui travaillent 50 heures par semaine, s’occupent de leurs trois enfants avec tendresse et patience, leur cuisinent les meilleurs petits plats qui soient, repassent leurs chemises à trois heures du matin en écoutant leur CD « Parlez espagnol en douze leçons faciles », font du bénévolat pour les personnes âgées, voient leurs amies pour un 5 à 7 tous les jeudis, sont inscrites à des cours de zumba, de pilates et de spinning, sont présidentes du conseil de parents de l’école secondaire de leur fils et détiennent la meilleure moyenne de la ligue de bowling dont elles font partie. Le tout après avoir survécu à un cancer du sein ou à un grave accident de moto. Pourquoi ces femmes réussiraient-elles à être aussi multitask, à ne dormir que trois heures par nuit, à se donner corps et âme à leur famille, à leur communauté et à leur petit bonheur, pis pas moi ? Ça a l’air facile, ça a l’air normal, donc pourquoi je n’y parviendrais pas moi itou ?

Peut-être parce que non, ce n’est pas normal. Et ce n’est pas normal de trouver ça normal.

C’est rendu banal de faire un demi marathon, vous rendez-vous compte ? N’importe qui à c’t’heure se tape 21 km de jogging. Y’a qu’à s’acheter de bons souliers et trois-quatre livres sur « comment devenir marathonien en 8 semaines ». C’est faux. Courir 21 km, ce n’est absolument pas fait pour tout le monde. Nous n’avons pas tous la même constitution, la même endurance, les mêmes possibilités physiques et mentales. Or, on vit dans un monde qui essaie de nous faire croire le contraire.

Au printemps dernier, vous en avez peut-être entendu parler, se tenait le concours « Maman de l’année Walmart ». Au départ, cette initiative m’apparaissait louable. Je croyais que le but était de rendre hommage à ces femmes de l’ombre dont on n’entend jamais parler, ces mamans qui se démènent au quotidien pour faire faire leurs devoirs à leurs enfants, leur préparer des sandwiches en forme de fleurs pour leurs lunchs, repriser leurs mitaines, les amener chez le médecin lorsqu’ils ont mal à la gorge ou aux oreilles, ces mères qui manquent des dizaines de journées de travail par année parce que leur petit dernier se tape une gastro ou que leur pré-ado a des poux, ces femmes qui, le soir venu, n’ont plus l’énergie de faire rien d’autre que de s’asseoir devant leur tv pour regarder leur téléroman favori, seul divertissement accessible à leur portefeuille de gestionnaire qui ne sait plus où couper pour arriver à la fin du mois. Je pensais sincèrement et naïvement que c’était à ces « petites grandes dames » qu’on souhaitait donner une tape dans le dos. Souligner leur courage quotidien, leur résilience, leur abnégation.

Gros doigt dans l’œil que je m’étais foutu là.

J’ignore qui a remporté le concours finalement, mais j’étais allée voir, curieuse, qui étaient les finalistes. C’étaient toutes des femmes qui avaient des enfants handicapés ou atteints d’un cancer, qui avait mis sur pieds une fondation pour venir en aide aux familles dont l’un des enfants était atteint du syndrome X (une quelconque maladie rare dont leur aîné était lui-même mort quelques années plus tôt), qui travaillaient à temps plein, qui s’entraînaient pour faire l’ascension du Kilimandjaro pour une troisième fois afin d’amasser des fonds pour la recherche sur Y maladie, qui étaient très impliquées dans la vie sociale et culturelle de leur petit village du fin fond de l’Alberta et qui avait pour projet de retraite de construire une école en Asie où seraient accueillis tous les orphelins délaissés par le système d’adoption internationale.

Pour être une bonne maman, il faut donc accomplir tout ça ? Sinon quoi, on est des bonnes à rien, des moitiés de mère, des épouses honteuses, des sans ambition ? « Bien sûr que non Mélissa, c’est un concours, ces femmes sont des exceptions et c’est justement pour souligner leur côté exceptionnel qu’on a pensé créer un tel prix », me répondrez-vous. OK, mais à moi, ça me renvoie quand même l’image que si l’idée de faire du travail humanitaire en Afrique ou celle d’avoir au moins un enfant atteint d’une maladie incurable (comme si c’était un objectif en soi, oui) ne nous ont pas traversé l’esprit, nous ne sommes pas vraiment de bonnes mères. Nous n’avons pas le cœur à la si bonne place et il nous manque décidément de compassion.

Je réfléchis probablement tout croche, sauf que c’est ainsi que ça me fait sentir, les concours de maman de l’année. Exactement comme les clubs de course Châtelaine et l’idée reçue que tout le monde devrait courir un demi marathon au moins une fois dans sa vie. Faible et incomplète.

Je sais que ce n’est pas le cas, que j’en fais beaucoup moi aussi, trop même parfois, que c’est normal que je sois fatiguée, que je n’ai pas à penser que je suis moins bonne qu’une autre parce que je ne suis pas une potentielle maman Walmart, sauf que.

Ça me donne quand même envie de partir mon propre concours, celui qui mettrait en valeur des gens banaux, sans prétention, qui font les choses avec amour, lenteur, sans mettre la barre trop haute. Le concours de la maman ou du papa qui fait les plus belles sandwiches en forme de fleurs, celles avec des tranches de fromage jaune dedans, parce que c’est bien beau manger santé, éviter les produits transformés, pis toute, pis toute, mais bordel, y’a des jours où ça ne nous tente juste pas de nous casser la tête. Le concours du parent qui au lieu d’aller au gym dès qu’il a un trou de 45 minutes dans son horaire de mongole en profite pour s’écraser sur son divan et manger les restes de bonbons d’Halloween de l’an dernier. Sans remords.





vendredi 6 septembre 2013

Le syndrome de l'effrondrement

Syndrome d’effondrement. Une à une, les abeilles tombent, comme des mouches, avec qui on les confond parfois. Pourtant, tout ce qui vole n’est pas libre. Tombent les abeilles, les hommes, leurs certitudes, les feuilles à l’automne, les gouttes de pluie au printemps. La terre est un aimant qui attire la vie vers son centre. Elle se déploie généreusement sous le poids des corps qui choient.
Dans un bruissement à peine audible, chuter vers le sol qui n’en finit plus d’arriver. Le choc sera brutal, on l’anticipe, on ferme les yeux pour ne pas voir à quoi ressemble sa peur. L’effondrement, ou tomber encore plus bas que ce qu’on aurait cru possible. Au fond des choses, dans le magma mystérieux des origines. La course se termine où elle a commencé.
Sentir la fin, s’affaisser, s’affaler, de tout de son long, sur le sol. Là, vidé, las, n’avoir plus rien à perdre, alors recommencer à croire que ça vaudrait la peine d’essayer. Couché sur les cailloux, voir le ciel. L’immensité de l’univers, les étoiles qui ont l’air de se toucher et qui pourtant sont si loin les unes des autres. Lentement, se ramasser, recoller les morceaux encore utilisables et se refaire un corps en forme de courtepointe. Même si on tombait encore, ça ne ferait pas si mal, on est déjà au plus profond de l’entaille. S’agit seulement de trouver une manière de remonter. L’endroit sur la paroi qui semble le moins glissant, un point où s’agripper. Visualiser le chemin à parcourir pour atteindre la surface, un mouvement à la fois. Surtout, ne jamais regarder en bas pour constater la distance parcourue. Le vertige nous prendrait et on risquerait de tomber à nouveau. De stupéfaction cette fois.
Saisi par la force dont un être peut faire preuve, par la vitesse à laquelle il parvient à se remettre debout après le grand tremblement qui l’a ébranlé.

***

Pourquoi cet élan poétique ?
Vous comprendrez lorsque vous lirez mon prochain roman...


***

mercredi 4 septembre 2013

L'inflation des dents de lait ou l'art d'éduquer ses enfants

           
Aucun mode d’emploi n’existe pour nous détailler la meilleure manière d’élever des enfants. C’est une chose qu’on doit apprendre « sur le tas ». Il existe une trâlée de livres de psychologie populaire pour nous renseigner sur la façon dont on devrait leur apprendre à faire ceci ou cela, des bouquins boboches sur les relations père-fille manquées, des tonnes de Coups de cœur Renaud-Bray pour nous conforter dans nos angoisses de parents perfectionnistes ayant mis au monde des enfants pas du tout parfaits. En vérité, aucun de ces ouvrages ne peut réellement nous aider à devenir une bonne mère ou un bon père. On doit se construire seul. Apprendre de ses erreurs, faire preuve de gros bon sens et espérer que ses maladresses ne laisseront pas trop de séquelles dans la vie de sa progéniture.

            Aucun livret explicatif ne vient avec ses bébés, cependant, une certaine dose de logique et un instinct bien développé peuvent être d’un grand secours dans toutes sortes de situations. Devrais-je acheter un iPad à mon enfant de six ans ? Est-ce adéquat pour mon bambin de 18 mois de passer ses journées scotché au téléviseur ? Est-ce une bonne idée de donner des chips comme collation à mon p’tit pou de quatre ans ? Ma fillette de huit ans veut porter des g-string ; devrais-je succomber à ses supplications et lui en acheter un paquet de dix au Walmart ? On ne sait jamais à 100 % si on prend la bonne décision, mais il y a certainement des choix plus sensés que d’autres.

            Toutefois, j’ai l’impression que nous vivons dans un monde où une (grande?) partie des parents ont perdu leur GBS. Beaucoup de mamans et de papas se laissent mener par le bout du nez par leurs enfants, ils accusent leurs éducatrices à la garderie ou leurs professeurs d’école de ne pas les éduquer convenablement alors que c’est à eux que cette tâche incombe, ils gèrent leur relation avec leurs enfants en appliquant les lois du marché. Je suis tombée sur cet article plus tôt cette semaine, dans la section « Insolite » du journal, qui nous parle des cours de la bourse sur le marché des dents de lait.

En gros, on y raconte qu’aux États-Unis, la Fée des dents est de plus en plus généreuse et que certains enfants reçoivent jusqu’à 100 $ parce qu’ils ont perdu une canine – comme si c’était un exploit. Les pauvres parents vivent un stress indescriptible parce qu’ils ne savent plus quel montant vaut une molaire et comment agir lorsque leur plus jeune se retrouve édenté. Cinq dollars, c’est-tu assez ? Qu’est-ce que ses amis vont penser s’ils apprennent qu’on lui a donné JUSTE deux piastres pour sa dent ? Ils vont sûrement le juger et le rejeter. On ne voudrait pas que son enfant soit ostracisé parce que la Fée des dents n’a pas été assez généreuse avec lui, donc on va lui donner 20 piastres.

            ON ME NIAISE ? Depuis quand la Fée des dents est sujette à l’inflation et ses prix sont-ils influencés par les cours de la bourse ? Les parents sont-ils rendus à ce point faibles qu’ils ne sont même pas capables de faire comprendre à leurs descendants qu’une dent de lait, ça vaut une piastre, pas plus, pis qu’ils peuvent même se compter chanceux de recevoir un beau dollar tout rond parce que sérieusement, perdre une dent, ça n’a rien d’extraordinaire ? La légende de la Fée des dents, c’est cute. Je n’ai rien contre cette mignonne fable qu’on raconte aux garçons et aux fillettes pour leur faire oublier qu’ils ont du sang plein la gueule, au contraire. Tant qu’elle reste en dehors des préoccupations mercantiles qui gèrent le reste de nos vies. C’est comme pour le Père Noël : c’était une charmante histoire avant que Coca Cola ne s’en empare et n’en fasse une excuse pour dépenser la moitié de son salaire annuel en cadeaux futiles.  

            J’ai peur pour mes filles parfois. Parce que F. et moi, on essaye de les éduquer selon des valeurs qui semblent désuètes. On essaie déjà de leur inculquer les sens du devoir et du partage, la patience. Elles sont un peu jeunes pour comprendre qu’elles ne peuvent pas tout avoir tout de suite, mais on finira bien par leur faire réaliser. Cependant, si c’est vrai que les parents d’aujourd’hui éduquent leurs enfants comme ce qu’on prétend dans les journaux et dans les émissions télé, quand elles commenceront l’école, elles risquent d’avoir un choc. Je peux déjà présumer qu’elles seront jugées, ridiculisées et tout le tralala parce qu’elles ne feront pas comme tous les petits amis de leur classe. Elles n’auront pas de cellulaire en maternelle, elles ne me parleront pas comme un adolescent parle à sa gang de chums, elles ne s’habilleront pas comme la Miley Cyrus de leur époque, ne seront pas autorisées à regarder la télévision jusqu’à 22 heures ni à chatter avec leurs amies pendant des heures alors qu’elles n’ont que huit ans. Et elles ne recevront certainement pas 100 $ parce qu’elles se sont arraché la palette. Il n’en est pas question.

            Est-ce moi qui suis déconnectée et pas assez de mon temps ? Ai-je tort de croire que j’ai vécu une enfance heureuse loin d’Internet, des téléphones intelligents et de la tv câblée et que mes filles devraient en faire tout autant ? Est-ce légitime de penser que mes filles, comme moi je l’ai fait, devront travailler pour obtenir quelque chose, apprendre à économiser leurs petits sous, tout faire pour mériter les récompenses qu’on leur offrira ? Apprendre à argumenter, aussi. À demander les choses poliment, puis, si je les leur refuse, à m’expliquer à l’aide d’au minimum trois bonnes raisons pourquoi je devrais changer d’avis selon elles. Pourquoi cela est-il essentiel que la Fée des dents leur donne un billet de 20 ?


            À vrai dire, je suis convaincue qu’elles aussi ne trouveront pas ça normal que la valeur marchande des dents de bébé soit rendue aussi élevée. Parce qu’élevées, elles, elles le seront.