mardi 27 septembre 2011

L'aviateur, la rock star, les sommets du monde


Samedi en début de soirée, après que F. soit revenu du boulot et moi de ma virée shopping à Bologna, nous avons fait nos sacs à dos et sommes embarqués dans la voiture. Direction : Fellicarolo. Nous avions projeté de passer la nuit au chalet de l’oncle de F. afin de partir très tôt le lendemain matin pour le Monte Cimone, que nous avions pour but de grimper.

Sur la route vers la montagne, nous avons téléphoné aux deux seuls restaurants de Fellicarolo pour savoir si l’on pouvait s’y arrêter pour souper. Le premier nous a répondu qu’il était déjà complet (à chacun sa définition du mot « complet » : nous sommes arrivés là-bas et il y avait à peine trois ou quatre tables d’occupées sur la vingtaine disponibles) ; le second nous a dit qu’il nous accueillerait avec plaisir, nous spécifiant par contre que nous devrions nous contenter du menu fixe. Pas de problème.

Ce restaurant où nous nous sommes posés pour le repas n’est pas à proprement parler un « restaurant ». C’est une auberge tenue par un pilote d’avion à la retraite qui accueille les voyageurs et qui leur offre également de quoi se restaurer. L’endroit est ouvert « sur demande ». Tu ne peux pas te présenter là à l’improviste et demander à voir le menu. Il n’y a pas de menu. Tu manges ce que la femme de l’aviateur a décidé de préparer ce soir-là et tu fermes ta gueule.

Nous sommes arrivés et une table pour deux avait été dressée à notre intention. L’endroit était vide. L’aviateur et sa femme regardaient la télé. Quand nous avons passé le seuil de la porte, ils ont éteint le téléviseur et nous ont chaleureusement invités à nous asseoir. La dame s’est dirigée vers les fourneaux et le pilote nous a expliqué ce qu’il y avait au menu. En fait, pour le primo piatto, nous avions le choix entre deux types de pâtes et un risotto aux fruits de mer pas piqué des vers, selon notre hôte. Comme j’avais mangé un risotto pour dîner, nous avons opté pour les farfalle al ragù. « E il vino, bianco o rosso ? » Ici, on ne vous demande pas si vous voulez du vin, on vous demande si vous le voulez rouge ou blanc.

Les pâtes goûtaient le métal. Nous avons tout mangé. Pas parce que c’était bon, mais parce que nous avions faim et que l’aviateur était assis juste à côté de nous, à nous regarder bouffer. La télé était éteinte, il n’y avait ni musique ni d’autres clients pour le distraire. Tous ses regards étaient donc tournés vers nous. Pas trop le choix de lui faire la conversation. F. s’en est chargé. Moi, j’arrivais difficilement à comprendre ce qu’il marmonnait, puisque sa moustache mangeait tous les mots qui sortaient de sa bouche.

A suivi le secondo, qui consistait en quelques tranches de bœuf trop cuit dans un jus brun et des cubes de pommes de terre cuits au four. Ordinaire. Le vin, quant à lui, était potable. Par contre, pas moyen de savoir de quoi il s’agissait exactement. Un Merlot, un Sangiovese, un Montepulciano, allez savoir ! L’aviateur nous l’a servi dans une vieille bouteille couverte de traces de doigts, à l’étiquette décollée. On l’a bue pour oublier que ce que nous mangions là était loin d’être le meilleur repas de notre vie. Ça goûtait mon enfance en fait. La viande trop cuite, le sel et le poivre comme seules épices, les légumes pratiquement absents de l’assiette. De la bouffe de matante qui fait à manger parce que c’est son rôle de femme au foyer, pas parce qu’elle est transportée par la passion de la bonne chère. Mais bon, à douze euros par tête de pipe, on ne chiale pas trop.

Rendus au chalet, nous avons étudié un peu la carte des sentiers du Monte Cimone et décidé du parcours que nous voulions faire le lendemain. Nous nous sommes couchés très tôt, parce que nous voulions nous lever à 6h30 et, surtout, parce qu’il n’y a pas grand-chose à faire à la montagne, une fois que le soleil est couché.

Dimanche matin, avant de partir, nous avons cueilli quelques légumes frais dans le jardin afin d’avoir des crudités pour accompagner nos sandwichs, nous avons bouclé les valises et pris la direction du village de Sestola, le plus grand village du coin, avec ses quelques 2 600 habitants. Le sentier que nous voulions prendre était censé partir de là. Heureusement, nous sommes arrêtés à l’information touristique – qui était étonnamment ouverte, un dimanche matin à 8h00 ! – ; la jeune femme nous a expliqué qu’il valait mieux monter encore un peu avec la voiture pour rejoindre le Lago della Ninfa (lac de la nymphe) ou le Passo del Lupo (passage du loup), car juste cela, c’était douze kilomètres. Il faut croire que F. et moi ne savons pas vraiment lire des cartes, ce n’est pas du tout cela que nous avions compris !

Avant de partir pour le Lago della Ninfa, nous avons pris le petit déjeuner dans un bar (ici, dans un bar, on ne boit pas seulement de l’alcool, mais aussi et surtout du café, et on mange des panini, des dolci et des gelati). On aurait bien aimé bouffer un deux-œufs-bacon, histoire de faire le plein de protéines avant de marcher pendant six heures, mais ça n’existe pas en Italie. On s’est contenté d’un bombolone, une sorte de beigne fourré à la crème. Délicieux, mais pas très soutenant. Après, nous sommes donc passés par le forno (boulangerie) pour s’acheter une pointe de pizza tomates et mozzarella, en nous disant que le fromage au moins nous fournirait un peu d’énergie… Il m’est souvent arrivé depuis que je suis en Italie de voir des gens manger de la pizza pour déjeuner. Je trouvais ça un peu exagéré, mais maintenant, je comprends : c’est la seule chose consistante qu’il est possible de bouffer le matin dans ce pays ! Nous avons dégusté notre pizza sur le bord du Lago della Ninfa, seuls avec la rosée, le brouillard matinal, l’eau calme du lac et les oiseaux. Nous nous sommes ensuite mis en route.

Dès le début nous étions en ascension. Nous avons très peu marché sur des sentiers plats. Les cuisses et la patate se faisaient aller, disons que ça réveillait sa femme assez brutalement. Nous avons fini par trouver notre rythme et la montée s’est bien déroulée. Nous l’avons effectuée en beaucoup moins de temps que prévu. Peut-être sommes-nous plus en forme que ce que nous croyions, finalement…

Le début du parcours s’effectuait dans le bois, à l’abri sous les arbres, mais rapidement, la végétation verdoyante a fait place à une sorte de désert de roches et d’herbes sèches. Il faut dire que rendus à 2000 mètres, il n’y a plus grand’ plantes qui accepte de pousser. La vue que nous avions sur l’Émilie-Romagne, d’un côté, et sur la Toscane, de l’autre, était plutôt impressionnante, bien que quelques légers nuages de brume nous empêchaient de voir parfaitement l’horizon. Paraît-il que du haut du Monte Cimone, il est possible d’apercevoir la mer. Nous n’avons pas pu le vérifier de nos yeux vus, mais laissez-moi en douter… Certains ont dû confondre les vagues sensuelles des monts et des vallées avec les ondes silencieuses de la Méditerranée. Un mirage est si vite arrivé.

Au sommet du Monte Cimone, le plus haut de l’Émilie-Romagne, je le rappelle, se trouve une station d’observation météorologique qui, je l’avoue, ruine un peu le paysages. Mais y trône également une sympathique et minuscule chapelle à l’intérieur de laquelle jouent sans relâche d’apaisants chants grégoriens. Nous avons donc savouré notre petit pique-nique assis sur le parvis de la chapelle, bercés par les voix antiques qui résonnaient dans le paysage sans fin.

La descente fut plus difficile que la montée. Le sol rocailleux était glissant et je me suis joliment plantée deux fois – j’ai ainsi appris à mes dépens qu’il ne faut pas se moucher en descendant une côte, car si on perd l’équilibre, nos deux bras ne sont pas disponibles pour nous aider à le rattraper. Je peux vous garantir qu’en prévision de notre prochaine excursion, nous allons nous procurer des bâtons de marche… À défaut d’en avoir cette fois-là, je me suis ruiné les genoux et les chevilles. Les muscles des cuisses, qui ont travaillé plus souvent qu’à leur tour, me font encore souffrir.

Probablement en raison de tous ces efforts physiques, j’avais une folle envie de viande rouge, envie que j’ai comblée le soir même au restaurant I Carducci de Carpi, en mangeant une délicieuse tagliata di manzo au parmesan et à la roquette. En entrée, nous avons eu droit à de sublimes gnocco fritto (les meilleurs que j’ai mangés jusqu’à présent) accompagnés de charcuteries de qualité. Nous aurions bien pris un dessert, mais le restaurant débordait et la serveuse n’est jamais revenue nous voir après que nous lui ayons dit que nous désirions terminer la bouteille de Chianti avant de passer au dolce. Pour s’excuser de ne pas avoir été attentive à nos besoins, elle nous a offert l’amaro, que nous avons siroté en regardant la clientèle et les propriétaires du restaurant s’énerver le poil des jambes parce que Liga était là. Ce mec, qui est né dans la même petite ville que F., à quelques kilomètres de Carpi, est une rock star en Italie. C’est un peu comme si Garou était rentré dans un resto à Drummondville, mettons. Les cellulaires se faisaient aller l’appareil-photo et tout le monde cherchait un bout de papier à faire autographier par le chanteur. Personnellement, j’ai fait la même chose que si j’avais croisé Garou au Normandin de Drummon : je ne lui ai pas demandé d’autographe. Devant ce spectacle fanatique, F. et moi rigolions, savourant toujours notre amaro.

Le phénomène du vedettariat est vraiment quelque chose de relatif.  Quand nous nous trouvons en contrée étrangère, nous avons très peu de moyens de reconnaître une vedette locale lorsque nous en croisons une ; nous la traitons donc comme une personne normale – ce qu’elle est. Nous retrouvons une certaine forme de naïveté par rapport au statut de ces gens qui passent à la télé et à la radio. Ouain, pis ? que nous nous disons. Cet homme mange des pâtes comme tout le monde, il va faire pipi à la fin du repas comme tout le monde et il veut avoir du plaisir comme tout le monde.

En nous dirigeant vers nos bicyclettes, au sortir du restaurant, F. et moi avons vu ce fameux Liga s’amuser avec la petite fille qui l’accompagnait (son enfant, sa nièce, qu’en sais-je) ; il jouait à cachette entre les voitures avec elle. Ils couraient en zigzag, rigolaient, s’amusaient à faire faire des sauts aux deux femmes avec qui ils se trouvaient. Assister à cette scène valait bien plus que n’importe quelle photo prise avec un iPhone ou n’importe quelle signature griffonnée sur une serviette de table. Malheureusement, les fans de Liga étaient trop occupés à admirer la griffe qu’avait laissée leur chanteur préféré à l’endos de leur facture de repas pour voir ce qui se passait devant eux, de l’autre côté de la rue. 

lundi 26 septembre 2011

Nuit blanche et son noir


Jeudi passé, j’ai eu une petite crisette. J’avais envie de faire le bacon sur le plancher du salon. Le problème ? Je débordais d’énergie et j’étais tannée de passer la majorité de mes journées assise devant l’ordinateur, entourée des quatre mêmes murs blancs à longueur de semaine. J’avais besoin de bouger, de voir des gens. Le remède ? Une fin de semaine intensive d’activités.

Vendredi soir, c’était la Notte bianca à Carpi. Quand on sait de quoi a l’air la nuit blanche organisée à Montréal chaque année à la fin de l’hiver, on a plutôt envie de rire devant la programmation de la Notte bianca qui se déroule ici, mais bon, sur le plan des activités culturelles, une ville de 70 000 habitants ne peut pas rivaliser avec une autre de 2 millions d’âmes… Au menu de cette fameuse nuit blanche, il y avait surtout des dégustations de produits typiques, des apéros, des spéciaux sur l’alcool et des spectacles dans les bars. Aussi, les magasins du centro étaient exceptionnellement ouverts jusqu’à tard en soirée. Radio Bruno (l’équivalent de Radio Énergie dans le coin) assurait l’animation sur une des piazze et les rues étaient pleines à craquer de gens mis sur leur trente-six.

Le but de l’affaire était de célébrer la fin de l’été et d’offrir une dernière bonne raison aux citoyens de partager des moments agréables à l’extérieur, avant que l’hiver ne débarque. L’affaire, c’est qu’ici, il continue de faire entre 25 et 30 degrés tous les jours, avec un soleil ravissant et pratiquement jamais de précipitations, alors personnellement, la fin de l’été, je ne vois pas trop quand c’est censé avoir lieu ! Et pour ce qui de « l’hiver » qui approche à grands pas, en tant que Québécoise, je ne peux m’empêcher de sourire et de me dire que la saison froide que je m’apprête à affronter risque d’être une vraie blague comparé à ce que je suis habituée de vivre. En fait, je devrai avouer que j’ai l’impression que l’hiver québécois et ses caprices vont me manquer. Déjà, j’ai une certaine nostalgie de l’automne de chez nous. Ici, les arbres perdent tranquillement leurs feuilles en raison du manque de lumière, mais avant, celles-ci ne deviennent pas rouges, jaunes, orangés, etc., mais seulement vert kaki ou brunes. Je ne me plains pas des merveilleuses températures que nous avons, j’en profite au contraire à chaque instant, or, je me rends bien compte que les quatre saisons, telles que je les ai toujours connues jusqu’ici, sont profondément inscrites dans mon corps. Mes yeux, ma peau, mon sang ont appris à vivre avec les changements brusques de température, les différences marquées entre une saison et l’autre, les plus trente humidex et les moins trente facteur vent ; ici, en zone tempérée, comment dire, je me sens moins mise à l’épreuve, j’ai l’impression que tout est plus facile et en même temps, j’éprouve le sentiment de manquer de « défi ». Étrange sensation…

Après la fête de vendredi, samedi, alors que F. travaillait, je me suis payé une petite randonnée en train jusqu’à Bologna, afin de prendre un bon bain de foule et d’aller magasiner (je n’en peux plus de voir mes vêtements ! J’ai dû emporter avec moi à peine le quart de ma garde-robe, afin de ne pas excéder le poids qui m’était alloué lorsque j’ai pris l’avion, et le trois quart qui est resté au Québec me manque beaucoup !). Côté bain de foule, j’ai été très bien servie. La ville était envahie de gens, touristes autant que locaux, qui cherchaient les bonnes aubaines au marché La Piazzola, qui savouraient cafés et cocktails sur les terrasses ou qui faisaient simplement les courses régulières du samedi, en prévision du traditionnel dîner familial du dimanche. Côté magasinage, j’ai plus ou moins trouvé ce que je cherchais, malgré la quantité phénoménale de vêtements que j’ai essayés. Ce n’est pas parce qu’on est en Italie, centre mondial de la mode, que le linge est beau… Je suis ici confrontée au même problème que j’éprouvais à Montréal : je ne trouve rien à me mettre car 1) les magasins ne vendent que de la guenille faussement vintage qui déchire après un lavage malgré le fait qu’on l’a payée 50 pièces, 2) les coupes sont conçues pour des filles filiformes sans cuisses ni seins et 3) en tant qu’ex-vendeuse de linges chez Simons, qui s’est évertuée pendant près de 5 ans à satisfaire la clientèle la plus exigeante, j’en suis venue à développer une haine profonde envers les boutiques, leurs commis et, surtout, leurs clients. Bref, je déteste magasiner, alors après deux heures de lèche-vitrine je m’énerve et j’ai juste envie d’aller prendre un verre de rouge pour me détendre ! Je serai à tout le moins revenue à la maison avec deux nouveaux morceaux de linge et trois nouveaux livres. Les livres, ça, ce n’est jamais un problème d’en trouver qui me plaisent ; c’est plutôt l’inverse qui se produit, il y en a trop qui m’intéressent et je peine à me résigner à n’en acheter que quelques-uns.

Ma journée de marche et de soleil bolognais s’est terminée dans le chaos de la station de train.  L’Italie, et l’Europe en général, c’est merveilleux, parce que le train vous amène pratiquement partout et presque en tout temps. Voyager de grande ville en grande ville est plutôt facile, même les voyageurs qui ne parlent pas la langue du pays se retrouvent facilement. Cependant, voyager en direction ou en partance de villes de moindre importance, là, ça peut devenir tout un bordel. Le train que vous devez prendre n’a généralement pas comme destination finale la ville où vous désirez vous arrêter, alors c’est un chiar seulement essayer de comprendre quel train vous devez emprunter. Ensuite, il faut déduire sur quelle voie vous devrez aller prendre ledit train – dans les stations comme Bologna Centrale, il y a généralement une dizaine de voies et les voies de départ et d’arrivée changent souvent, pour diverses raisons (retards, accidents, changements d’horaires, etc.). Avant d’embarquer dans le wagon, vous devez évidemment composter votre billet et, surtout, vous assurez que celui-ci est valide pour le type de train sur lequel vous vous trouvez. Parce qu’un billet de train « Régional » ne peut être utilisé sur un train « Intercity », même si ce dernier s’arrête bel et bien dans la ville qui vous intéresse. Hier, par exemple, pour aller à Bologna, j’ai dû attendre plus longtemps pour prendre une correspondance régionale, alors que j’avais devant moi un train qui allait à Bologna mais auquel je n’avais pas « droit ».

Une fois dans le train, si vous avez la chance d’avoir une place assise, vous pouvez vous reposer. Ça, c’est si un « inconvénient » quelconque ne se fait pas sentir. L’été, il arrive fréquemment que l’air climatisé ne fonctionne pas et l’hiver, même chose pour le chauffage. Dans mon cas, le problème ne fut pas « climatique », mais plutôt « sonore » : dès la montée dans le wagon de seconde classe, un son strident est venu heurter les tympans des voyageurs. Ce son extrêmement aigu et très fort était, c’est le moins qu’on puisse dire, dérangeant. J’osai espérer qu’il disparaîtrait une fois que le train se mettrait en marche, pensant qu’il était peut-être dû à un problème de frein ou un truc du genre. Malheureusement, une fois que le train eut quitté la gare, le bruit demeura tout aussi insistant. Je tâchai de le camoufler en enfilant mes écouteurs et en mettant le volume dans le piton, ce qui arrivait à peine à couvrir l’insupportable sifflement. À un certain moment, un préposé traînant un chariot de boissons et de friandises est entré dans notre wagon ; un des passagers, un vieillard sympathique, lui a demandé s’il ne pouvait pas faire quelque chose à propos de ce bruit. La réaction première du préposé fut « Quel bruit ? » Euh, celui qui vous empêche de penser à quoi que ce soit d’autre, peut-être ! me dis-je dans ma tête. « Ah, ça !  C’est peut-être l’interrupteur de l’interphone qui est coincé, je vais aller vérifier. » Il a continué son chemin jusqu’au prochain vestibule. Il n’est pas allé plus loin. Il s’est arrêté là. Il jasait avec des passagers, ou je ne sais trop. Pendant tout ce temps, ce son à rendre fou persistait. Dans mon cas, il ne s’est arrêté que lorsque je suis descendue à Modena, pour effectuer mon transfert en direction de Carpi. Pour les autres passagers, le son a continué. Parmi eux, certains devaient se rendre jusqu’à Piacenza et en avaient donc pour une autre bonne heure et quart à devoir endurer ce calvaire. À moins que quelqu’un ne se charge de régler le problème. Mais ce n’était vraiment pas parti pour être le cas.

***


La suite de mon week-end haut en aventures, dans un prochain billet…

lundi 19 septembre 2011

De soleil et d'eau fraîche


Comme j’en ai fait mention la semaine dernière, lors du passage en Italie de D. et G. (appelons-les Dolce et Gabbana pour l’occasion), j’ai eu l’occasion de faire quelques petites escapades qui méritent d’être ici relatées.

Rappelons que Dolce et Gabbana sont arrivés le mercredi soir en sol italien, à une heure plutôt tardive. Comme ils arrivaient de l’Autriche, cette journée-là, ils ont fait environ dix heures de voiture. Le lendemain, ils avaient grandement besoin de se reposer. Nous sommes restés sagement à Carpi, profitant de ses nombreux attraits touristiques, à savoir le célèbre marché public du jeudi, où se donnent rendez-vous tous les aînés et toutes les femmes au foyer de la ville, et le mythique Trentanove, le bar où nous allons souvent faire l’apéro avec les copains. D&G trouvait que c’était pas mal tard 20h pour faire l’apéro, et ils avaient bien raison, mais pour ma part, après deux mois ici, j’ai fini par m’habituer à ces horaires bizarres pour mon estomac de jeune femme américaine ! Ce soir-là, nous avons soupé aux Spritz (un drink qui est un mélange de vin blanc mousseux, d’Apérol ou de Campari, avec une tranche d’orange et des glaçons), aux petites bouchées offertes par le bar et au gelato (un menu que j’adopte de plus en plus souvent le vendredi soir !).

Le lendemain matin, un peu avant 8 heures, Dolce, Gabbana et moi-même avons quitté Carpi en direction des Cinque Terre, qui se trouve à environ 2 heures de route de la maison – à condition d’emprunter l’autoroute et de dépenser une quinzaine d’euros de péage, 30 aller-retour, autrement, ça prend au moins 3h30, étant donné qu’il faut traverser une chaîne de montagnes.

Nous avons laissé la voiture à La Spezia pour prendre un train pour Riomaggiore, le premier village des Cinque Terre. Je suis arrivée à La Spezia avec la plus grosse envie de pisser que je n’ai jamais eu de ma vie ! La voiture était stationnée à plus ou moins 1 km de la gare et il m’était impossible d’attendre jusqu’à la station de train pour uriner. Je marchais avec difficulté et douleur. J’ai voulu m’arrêter dans un café où la tenancière s’affairait à balayer l’entrée ; elle m’a répondu qu’ils étaient fermés. Je lui ai demandé gentiment si je pouvais quand même utiliser les toilettes – ça devait se voir sur mon visage que je souffrais vraiment beaucoup de la vessie –, elle a pris pitié de moi et a demandé à son boss qui se trouvait juste à côté si je pouvais utiliser la salle de toilette. Sans compassion, le regard froid, il m’a dit « On est fermé, désolé. » J’aurais dû pisser sur le trottoir en face de son beau commerce fermé, ça lui aurait peut-être appris à faire preuve d’un petit peu plus d’humanité à l’égard des vessies en peine ! J’ai heureusement trouvé un autre café à la toilette plus accueillante. J’ai acheté une bouteille d’eau supplémentaire à cet endroit, me doutant que les 500 millilitres d’eau que j’avais dans mon sac à d’eau ne seraient pas suffisants pour tenir le coup toute la journée, et nous nous sommes ensuite mis officiellement en route pour la gare.

Effectivement, 500 millilitres n’auraient jamais été assez : j’ai consommé plus de deux litres de liquide au cours de cette journée et je ne suis retournée aux toilettes que 8 heures après mon épisode d’envie pressante…

Nous sommes arrivés à Riomaggiore aux alentours de 11h20. Nous n’avons pas visité ce premier village, préfèrant tout de suite nous attaquer aux sentiers. Nous avons longé la via dell’amore, un sentier asphalté qui longe la côte et qui traverse normalement les cinq villages, or, son accès était momentanément fermé entre les deuxième et troisième villages. Nous n’en avions cure, car vraiment, ce sentier est d’un kitsch mielleux qui a de quoi donner mal au cœur ! D’accord, la vue sur la mer turquoise dont les vagues viennent se heurter aux massifs rochers a de quoi ravir l’œil, mais l’impressionnante quantité de touristes en gougounes et en talons hauts, les musiciens nomades qui jouent des chansons d’amour quétaines à l’accordéon et les millions de cadenas et de graffitis laissés là par des amoureux transis dans l’espoir que cela porte chance à leur relation ont de quoi ruiner tout le plaisir que vous pouvez éprouver en admirant la beauté du paysage.

Je n’ai jamais aimé les touristes, même lorsque j’en suis moi-même une, mais dernièrement, j’ignore pourquoi, c’est carrément une haine que j’ai développée à leur égard. Le touriste moyen représente pour moi l’apogée de l’ignorance, de la cupidité, de l’égoïsme et est le pur symbole d’une société de consommation en perdition. Enfin, je m’attaquerai à la question un autre jour plus en profondeur, afin de ne pas gâcher le beau portrait des Cinque Terre que je me suis donné pour mission de vous dresser !

Après avoir quitté le mièvre et puéril sentier des amoureux, nous sommes pénétrés dans le village de Manarola, à la recherche de la trail qui s’enfonce dans les terres. Ça nous aura pris un bon 20 minutes avant de réussir à comprendre où se trouvait le chemin que nous désirions emprunter, faute d’indications claires. À l’aide d’autres touristes et de nos trois langues (anglais, français, italien), nous avons réussi à dénicher ce que nous cherchions. Tous ceux à qui nous avons demandé des indications nous ont avertis : il y a beaucoup de marches, mais ça vaut vraiment la peine.

Ils avaient raison : nous avons monté 700 marches et bordel que ça valait le coup d’œil ! Nous aurions pu être un peu plus futés et nous arranger pour monter ces centaines de marches à un autre moment qu’à l’heure du zénith, mais bon, tout comme le soleil, on ne peut pas toujours être brillants ! Nous avons eu chaud quelque chose de rare, y compris dans des endroits où il n’est pas habituel d’avoir de la sueur. La canicule italienne battait toujours son plein et il n’y avait pas un nuage dans le ciel. C’est donc en état de semi-décomposition que nous sommes arrivés au sommet. Je me suis amusée à prendre quelques photos avec mon cellulaire, mais pour des clichés encore plus époustouflants, je vous invite à aller visiter le blogue de D&G, car Dolce est un photographe professionnel et il avait avec lui un attirail beaucoup plus efficace que mon Blackberry à deux mégapixels.

Avant de continuer notre route vers le village de Corniglia, nous avons fait un petit arrêt lunch en hauteur, près d’une jolie chapelle où s’étaient également arrêtés d’autres randonneurs, en majorité des Français dotés du charmant accent du Sud. L’un d’eux nous a offert le digestif en guise d’apéro et nous a invités à prendre quelques gouttes d’un spiritueux grec à même sa fiole de métal. Dolce a accepté avec grande joie la proposition, tandis que Gabbana et moi l’avons déclinée, car une seule goutte d’alcool aurait probablement été suffisante pour nous saouler, étant donné notre état de randonneuses aux muscles ramollis par le soleil de plomb et le manque de protéines. Nous nous sommes donc contenté des vivres que nous avions apportées avec nous – avocat, thon, huile d’olive, concombre,  biscottes, confitures, noix – et du thé glacé bien frais que nous nous sommes procuré dans un dépanneur béni des marcheurs déshydratés.

Ragaillardis, nous avons repris la route. Nous avons circulé dans les vignes, à flanc de montagnes, alors que les vignerons s’affairaient à cueillir le raisin qui servirait par la suite à fabriquer le bon vin. Les sentiers étaient paisibles, bien que nous ayons croisé plusieurs personnes. Pendant d’interminables minutes, nous avons marché derrière une famille d’Italiens verbomoteurs qui n’arrêtaient pas de parler de choses inintéressantes et de commenter tout ce qu’ils voyaient. « C’est moi qui va prendre ma douche en premier ce soir, shot gun! » ou encore « Comment on dit turban en arabe ? Ça doit être à peu près comme ça, hein : tourbanne ? », et j’en passe, et j’en passe. Les Che bello ! fusaient de toute part et gâchaient le silence chargé d’or et d’humidité de l’instant. J’avouai à mes comparses qu’ils étaient chanceux de ne pas comprendre l’italien parce qu’au moins, l’insipidité des propos tenus par nos voisins de marche ne pouvait ainsi pas les atteindre.

La descente jusqu’au village de Corniglia fut plutôt difficile pour les genoux – mes rotules ont bien failli rentrer par en dedans environ cinq fois tellement j’avais la jambe molle. Arrivés là-bas, nous avons pu jouir d’une fontaine d’eau fraîche mise à la disposition des voyageurs pour nous mouiller la nuque et le visage. Nous avons par la suite déambulé dans les mignonnes petites rues de Corniglia et nous sommes procuré un rafraîchissant granité fraise et citron pour nous refroidir le cerveau. Bien que le village étaient envahi par les touristes (parmi lesquels quelques-uns à l’accent québécois), son charme a pu se rendre jusqu’à nous et nous tirer quelques sourires. De là, nous avons repris le train (nous avions un billet qui nous permettait de monter à bord du train reliant les 5 villages autant de fois que nous le souhaitions au cours de la journée) pour nous rendre à Monterosso, le dernier et le plus gros village des Cinque Terre, choisissant de ne pas faire d’arrêt à Vernazza, étant donné que l’après-midi tirait déjà à sa fin et que nous ne voulions pas rentrer trop tard à Carpi.

À Monterosso, nous nous sommes garochés à l’eau en bobettes et en brassières. Nous n’avions pas cru bon amener nos maillots de bain, or, nous avons eu tellement chaud qu’une baignade dans la Méditerranée s’imposait. L’eau était tellement salée que je flottais « debout ». En raison d’un centre de gravité particulièrement bas, je possède de façon générale une capacité de flottaison particulièrement impressionnante (difficile pour moi de rester assise dans un spa, je remonte à la surface à tout coup !), mais tout de même, réussir à rester droite dans l’eau sans bouger ni les bras ni les jambes et avoir la tête qui demeure en dehors de l’eau, ça ne m’était jamais arrivé !

Qui dit pas de maillot de bain dit pas de serviette : après notre saucette dans la chaude et salée mer Méditerranée, nous avons directement réenfilé nos vêtements et c’est donc le cul mouillé que nous sommes allés casser la croûte. Il n’était que 18h, c’est-à-dire difficile de trouver un restaurant ouvert pour le repas, mais nous avons fini par dénicher un petit bar où il servait autre chose que des chips pour nourrir leur clientèle. Avant de retourner prendre le train en direction de La Spezia, nous sommes arrêtés chercher un gelato, qui malheureusement goûtait la glace – les endroits touristiques ne sont vraiment pas une référence en matière de bonne bouffe, qu’on se le tienne pour dit.  Nous avons mangé notre glace (le terme français s’applique ici très bien) en trottinant le long de la mer, éclairés par la lumière orangé du soleil qui se couchait. Il y a des paysages qui parviennent à faire oublier le goût décevant de certaines choses…

lundi 12 septembre 2011

Vendanges, ronds-points et groupie


Voilà bientôt deux mois que F. et moi avons quitté le Québec pour venir nous installer sur le Vieux Continent. Je regarde derrière moi, j’observe tout ce que nous avons fait en si peu de temps et je me demande comment il est possible que je ne sois pas plus fatiguée ! Il faut dire que nous avons quand même eu quelques journées de repos où nous ne faisions rien, sinon quelques courses ou une promenade sur la piazza centrale de Carpi. Toujours est-il que nous en avons avalé des kilomètres durant ces huit semaines. De Montréal à Paris, de Paris à Carpi, de Carpi à San Vincenzo, puis à Fellicarolo, Cervia, Milano, Modena, Parma, Bologna, Mantova, Correggio, Lago di Garda (deux fois), Cinque Terre, Verona (récit à venir pour ces trois dernières destinations), et j’en oublie probablement. Malgré tout ce va-et-vient, nous avons eu le temps de profiter de Carpi, de nous approprier notre nouvelle ville et de nous construire un chez-soi.

Être chez soi, ce serait l’opposé d’être en vacances. Cela signifie avoir une routine ainsi que des obligations. On ne peut pas être chez soi et ne rien faire continuellement. On doit s’occuper, ou du moins faire semblant, travailler, cuisiner, faire le ménage. Que l’on se trouve à Montréal ou à Carpi, ça, ça ne change pas. Ce qui change, c’est la manière dont on accomplit toutes ces tâches, car à chaque pays ses façons de faire et son rythme. Pour notre part, cela fait à peine une semaine que nous sentons que nous avons réellement un quotidien, c’est-à-dire depuis que F. a commencé à travailler à la cantina (domaine où est produit le vin).

À quoi ressemble-t-il, ce quotidien tout frais ? Pour F. il s’agit de se lever à 6h45 tous les matins, d’enfiler ses vêtements et ses bottes de travail, de prendre un café et ensuite la voiture en direction de San Marino (une frazione« hameau »de Carpi, qui est à cinq minutes d’automobile de notre maison), là où se situe la cantina CIV&CIV. Il ne passe pas sa journée à récolter ou à piétiner le raisin – les vendanges sont faites mécaniquement depuis plusieurs années, oubliez ça les images romantiques de gars torse nu, bas de jeans roulés, qui marchent sur le raison avec leurs pieds virils! – non ; il travaille plutôt avec une immense machine qui filtre le jus de raisin et il effectue diverses tâches, dont pelleter des montagnes de résidus de raisins pendant deux heures parce qu’un de ses collègues a commis une erreur et qu’est survenu un incident du type ma-machine-capote-je-sais-pu-quoi-faire-il-y-a-du-raisin-partout-aidez-moi-quelqu’un ! Généralement entre 18h et 20h, F. rentre à la maison épuisé, les ongles sales et la voix éraillée (il passe sa journée à gueuler, à cause des bruyantes machines). Il répète cette opération six jours par semaine, soit du lundi au samedi. Le dimanche, il a enfin le droit de se reposer.

Et moi, que fais-je pendant que mon homme s’échine ainsi ? Je commence tranquillement à travailler sur mon projet de recueil de nouvelles, celui pour lequel j’ai reçu une subvention du Conseil des Arts du Canada. Jusqu’ici, j’ai surtout travaillé dans ma tête, car c’est aussi ça l’écriture : prendre des notes mentales, réfléchir, regarder le vide puis, soudain, avoir un éclair, peut-être pas de génie, mais à tout le moins d’inspiration. J’écris également ma chronique hebdomadaire pour Urbania – qui se terminera à la fin du mois de septembre, cela étant dit, puisque ça devient de plus en plus difficile pour moi de bloguer sur l’actualité québécoise alors que je me trouve à quelques six mille kilomètres de la Belle Province. Je m’oblige également à venir vous donner des nouvelles ici au moins une fois par semaine et j’essaie de retrouver un semblant de discipline en allant courir le matin (pas évident, avec cette canicule qui ne nous lâche pas).

La semaine dernière, mon petit quotidien tranquille a légèrement été bouleversé. Lundi fut une grosse journée pour moi : j’ai travaillé au magasin de ma gentille belle-maman, qui passait la journée à Rome pour un congrès professionnel. Elle m’avait demandé de tenir le fort avec l’autre employée qui travaille à la boutique à temps partiel. Durant la pause de l’après-midi (de 13 heures à 16 heures, les magasins sont fermés, on se le rappelle), je suis allée à mon tout premier cours de conduite. Oui, oui, vous avez bien lu : j’ai débuté mes cours de conduite automobile ! Enfin, diront certains ! Effectivement, à presque 28 ans, il n’était pas trop tôt. Mais vous me connaissez, je n’aime pas les choses trop faciles : j’ai préféré attendre de faire mon cours en italien, histoire d’avoir un défi supplémentaire. Jusqu’à présent, tout se passe bien. On verra rendu à l’examen si je ne change pas d’avis ! Pour ceux qui se demandent ce qui m’a motivée à m’inscrire à ce cours maintenant, la réponse est simple : ici, contrairement à Montréal, j’ai accès à une voiture – une jolie petite Mazda 2 toute neuve, quand même. J’aurai donc tout le loisir de m’aventurer dans les ronds-points, de m’exercer à ne pas frapper les cyclistes qui arrivent de partout et de me pratiquer à trouver le point de friction de la voiture – parce qu’en Europe, ou tu conduis manuel, ou tu ne conduis pas.

Mercredi passé fut également une journée bien remplie. Après mon cours de conduite (je dois me rendre à l’école de conduite tous les jours de semaine de 14h à 15h durant six semaines pour suivre un total de 30 heures de cours théoriques), j’ai couru jusqu’à la station de train afin de prendre une liaison pour Mantova, où se tenait, du 7 au 11 septembre, le Festivaletteratura. Ce festival de littérature accueille chaque année plusieurs écrivains, principalement italiens mais également étrangers, pour différentes conférences et activités. Parmi les conférences proposées cette année, il y avait celle d’Alessandro Baricco sur Walter Benjamin, le mercredi 7 septembre à 19 heures. Baricco étant l’un de mes auteurs fétiches, je ne pouvais absolument pas manqué ça ! J’ai cru à un certain moment ne pas pouvoir y assister, car le 7 septembre, c’était aussi la date à laquelle D. et G., des amis de Montréal, débarquaient à Carpi pour nous rendre visite, mais finalement, nous avons trouvé un moyen de faire concorder les deux événements.

La conférence de Baricco portait sur un essai de Benjamin écrit en 1936 et intitulé « Le narrateur ». Cette année, la maison d’édition italienne Einaudi a publié une version commentée par Baricco dudit essai et la conférence se voulait en quelque sorte l’extension des commentaires de lecture de Baricco. C’était vraiment fort intéressant – ne me demandez pas de résumer par contre, déjà que j’ai réussi à tout comprendre, c’est un exploit, s’il avait fallu que je mémorise les grandes lignes de la présentation, mon cerveau aurait bien fini par exploser ! À la fin de la conférence, Baricco s’est prêté à une séance de signatures. J’ai donc fait la file pour faire autographier ma copie de l’essai Il narratore – je n’avais pas du tout pensé amener mon exemplaire d’Océan Mer ou de Soie. Qu’importe, mon but réel était plutôt de lui parler et de lui dire à quel point son travail m’inspirait. En temps normal, je me laisse peu impressionner par les vedettes, qu’elles soient comédiennes, chanteuses, auteures, mais là, le fait de devoir m’adresser à mon idole en italien rajoutait une certaine dose de stress. Je me suis finalement présentée devant Baricco en lui disant à peu près ceci : « Je m’excuse pour mon accent, mais je suis canadienne. Je suis également une jeune auteure et je dois vous dire que vous avez toujours été un exemple pour moi. » C’est à ce moment-là qu’il s’est exclamé « Bravvvvvvvissssssssimmmmaaaa!!!! », en flattant ma joue gauche de sa main droite. Vraisemblablement, mon italien de fortune a réussi à le charmer ! Il a conclu en me serrant la main et en me disant « J’espère avoir l’occasion de te revoir ici ou là, dans un événement littéraire. » Ce soir-là, je me suis découvert un petit côté groupie jusqu’ici insoupçonné. Je suis sortie de l’enceinte où avait lieu la conférence les jambes molles, les joues rouges et le cœur léger.

Après mon rendez-vous galant avec Alessandro, je suis allée rejoindre D. et G., qui débarquaient tout juste d’Autriche et qui venaient me retrouver au centre-ville de Mantova afin qu’on mange une pizza et qu’on se rende ensuite à la maison ensemble. Le prochain billet portera sur les petites virées que D., G. et moi avons faites au cours des derniers jours (sans F., malheureusement, qui était occupé à pelleter des montagnes de raisins).

Je terminerai pour l’instant ce billet en vous disant ceci : peu importe où vous vous trouvez dans le monde, évitez de parler québécois en croyant que personne ne comprend ce que vous dites parce qu’il n’y a pas de francophones dans le pays que vous visitez et encore moins de gens qui comprennent votre accent du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Vous ne savez JAMAIS quand vous allez tomber sur un Québécois. Jamais. Voyez, j’étais convaincue que j’étais la seule fière représentante du Québec à Carpi, mais je me trompais. L’autre soir, nous sommes allés à la pizzeria et qui c’est qui n’était pas assis à la table derrière la nôtre : un p’tit gars de Repentigny. Je n’ai pas pu m’empêcher d’aller le voir à la fin du repas pour lui demander ce qu’il foutait là – c’est pas comme si Carpi était une destination touristique très prisée. Eh bien, le gentil garçon travaille pour BRP (les produits récréatifs de Bombardier) et son entreprise envoie fréquemment des employés dans une usine de Carpi où sont fabriquées certaines pièces de Skidoo, Seadoo et autres bibittes à moteur. Que cette anecdote vous serve d’exemple : vous n’êtes jamais seuls à comprendre la langue que vous parlez, rappelez-vous le !

mercredi 7 septembre 2011

Faire de ses mains


Être loin de chez soi est généralement l’occasion de prendre du recul, de réfléchir à sa vie, à ce qu’on souhaite en faire. La distance nous permet de « voir » notre existence ; nous devenons en mesure de la poser comme un objet extérieur à nous, de l’observer et de la questionner sans tout de suite tomber dans l’émotivité. Notre nouvelle perspective nous permet une certaine objectivité par rapport à nous-mêmes.

Cela fera bientôt deux mois que je suis en Europe et voilà que j’entre peu à peu dans cette phase de réflexion objective. Je pense à ma vie à Montréal non plus avec nostalgie, mais plutôt en ayant en tête la question suivante : cette vie me convenait-elle ? En majeure partie, oui. J’étais loin d’être malheureuse dans mon Rosemont–Petite-Patrie adoré, ce n’est pas pour cause d’impossibilité du bonheur que je l’ai quitté, or, comme à la plupart d’entre nous, il me manquait quelque chose. Un sens. Ma vie était éparpillée et je n’arrivais pas à lui donner une direction – temporaire du moins, car il va sans dire que tout chemin ne peut être parcouru qu’avec cette idée bien présente en tête : le voyage ne sera jamais celui qu’on croyait.

De ma nouvelle demeure italienne, le sens, je ne le vois pas davantage, pas pour l’instant, par contre, je commence à comprendre quelles voies je ne veux pas emprunter. Peu à peu, je fais du ménage et des choix. Je ne m’aventurerai pas tout de suite à parler des décisions que j’ai prises, au cas où je reviendrais sur celles-ci (c’est quand même une de mes caractéristiques principales en tant que balance ascendante balance : je suis plutôt ambivalente et loin d’être folle, car je change constamment d’idée!), sauf que je peux tout de suite vous dire que la nouvelle perspective avec laquelle j’aborde l’avenir me rend plus zen. J’observe mes compatriotes italiens et je ressens moins de pression par rapport à ce que devrait être mon existence.

L’Italie est un pays où les traditions sont encore très présentes, comme je l’ai mentionné à quelques reprises dans mes billets précédents, et le fait d’être en contact avec une société qui prend le temps de vivre, qui suit davantage les rythmes naturels du corps et de la terre, qui valorise le travail manuel et les métiers plus artisanaux, cela m’a fait réaliser à quel point ce à quoi j’avais tendance à accorder de l’importance en avait finalement peu ou prou.

Ici, être caissière dans une épicerie où commis dans une boutique de vêtements n’est pas seulement un emploi étudiant : c’est un métier. Il n’y a aucune honte à n’être « que » serveur dans un café ou bandante (auxiliaire de vie). Ici, les aînés (pas tous, mais une bonne partie d’entre eux) ne finissent par leurs jours dans les Résidences Soleil ou je ne sais plus quel autre mouroir pour personnes semi-autonomes et semi-vivantes ; ils demeurent dans leur maison et lorsqu’ils n’ont plus la capacité de s’occuper d’eux-mêmes adéquatement, la famille engage une de ces auxiliaire de vie (généralement roumaine ou polonaise) pour prendre soin du parent vieillissant. Cette auxiliaire finit par faire partie de la famille elle aussi. Ici, la famille a un sens beaucoup plus large que chez nous, elle n’est pas seulement « immédiate ». La famille, c’est le village dans lequel on vit. Tous se connaissent et sont au courant des détails les plus insignifiants sur la vie de leurs voisins. L’individualisme est chose pratiquement impossible. L’individu est d’abord et avant tout celui qui fait partie d’une communauté. Après, et seulement après, il devient un être unique et intime.

En d’autres termes, la conception de l’espace – privé/public, intérieur/extérieur, ville/campagne – est totalement différente. Il en va de même pour la conception du temps. Je suis d’une génération très technologique qui vit à cent miles à l’heure, qui est connectée jour et nuit via le téléphone, l’Internet, les réseaux sociaux, les webcams ; je suis d’un pays où la réussite s’est toujours évaluée en termes économiques, où les hautes études sont privilégiées mais où les intellectuels occupent pourtant peu d’espace dans la vie réelle. Aujourd’hui, je vis dans une contrée où tout est fermé l’après-midi et le dimanche, où les jeunes se promènent sur des vélos hollandais démunis de vitesse ; je vis dans un monde où la réussite est également d’abord et avant tout économique, mais où elle a aussi le parfum du bon vin et le goût des charcuteries faites maison. Un monde construit autrement, sur des fondations beaucoup plus solides – on ne refait pas l’Histoire, les Romains étaient là bien avant les colons canay’iens… Un monde où il est encore possible de vivre lentement. Et pas dans une banlieue.

Les banlieues n’existent pas ici. Certes, il y a ces zones périphériques aux grandes villes, remplies de loyers à prix modiques et d’immigrants, mais la banlieue « lavalloise » ou « lévisienne » est un concept qui reste à inventer – et qui le restera encore pour quelques siècles, je l’espère. Il y a la ville et il y a la campagne. L’une et l’autre se côtoient d’une manière surprenante, pour qui vient de la part américaine de l’Occident. Carpi est une ville – près de 70 000 habitants, soit plus ou moins la même densité de population que Drummondville – et j’habite à cinq minutes à pieds de son centre. Si je marche cinq minutes dans la direction opposée, je suis en campagne. Il y a des vignes, des poules, des dindes et des chats sans maître. Entre les deux, il n’y a pas de zone « tampon » – ce que sont les banlieues américaines –, de quartiers où toutes les maisons se ressemblent, où les terrains sont tous dotés de piscines et de cabanons, où le gazon est toujours vert en été et les garages de toile blancs toujours bien droits en hiver.

L’Italie est loin d’être parfaite, tout comme chez nous, plusieurs choses ne fonctionnent pas comme il le faudrait, la bureaucratie est aussi absurde ici sinon plus qu’au Canada, les fonds publics sont souvent utilisés à mauvais escient, cependant, malgré toutes ses imperfections, l’Italie a une qualité que je ne suis pas sûre que le pays d’où je viens possède : la résilience. Les temps sont durs, mais ce n’est pas une raison pour arrêter de célébrer. On coupe dans les dépenses, on modère ses ardeurs dans bien des domaines, mais pas dans celui de l’art de vivre. Le vin n’est pas cher et c’est pour une raison : le vin est essentiel. Un petit verre, juste pour dire, non pas pour s’enivrer, mais pour se détendre ; non pas pour oublier, mais pour mieux affronter. Se payer un verre de rouge au bar du coin après une journée de dur labeur, aller rejoindre les copains, piquer deux ou trois amuse-bouches dans le buffet gratuit offert aux clients, rigoler, potiner, payer la note, saluer le serveur, rentrer chez soi sur sa bicyclette de promenade, se cuisiner un plat de pâtes, regarder la fin du match de foot à la télévision et aller se coucher. La vie, dans cet ordre, semble moins pesante.

Voilà où j’en suis : à m’imprégner de la manière européenne, à la confronter à la façon de faire américaine, à évaluer les pour et les contre de chacune, et à tenter de trouver une vie entre les deux qui correspondrait à ma définition du bonheur. Pour qu’ensuite, de mes mains, je la fasse, cette vie, que je la façonne à mon image. Que je la bâtisse, quelque part au beau milieu de l’Atlantique, entre ce pays d’où je viens et celui où je vis.