jeudi 6 octobre 2011

Comme les enfants les papillons


Tenir ce blogue m’oblige à regarder ma vie avec un œil différent, à me demander constamment « qu’est-ce qui vaut la peine d’être raconté ? ». En tant qu’écrivaine, c’est une question assez fondamentale à laquelle je suis souvent confrontée, mais le fait de me la poser par rapport à ma propre existence demeure plutôt inusité. Je n’ai jamais vraiment versé dans l’autofiction ou le journal intime. Décrire ce qui m’est réellement arrivé plutôt que d’inventer ce qui pourrait se passer dans les jours de quelqu’un qui n’existe pas – et qui est encore moins moi –, cela n’avait jamais fait partie de ma démarche. J’avouerai que cette posture jusqu’ici inexplorée m’éclaire beaucoup par rapport à la nature du narratif. Mes interrogations concernant ce qui, de mon existence, pourrait retenir votre attention me poussent parallèlement à réfléchir à ce qui mérite d’être dit ou non dans mes fictions.

Je me rends compte que peu de choses ne méritent pas d’être transformées en histoires. Le défi demeure toujours, simplement, de trouver une manière intéressante de les mettre en scène. Est-ce que j’y parviens toujours, je n’en suis pas convaincue. Mais reste que je m’aperçois que ce qui me fascine le plus dans un récit, ce sont les détails. Ce que nous avons mangé, le nom des gens, un trait physique qui nous permet tout de suite de comprendre à qui nous avons affaire, l’angle de la lumière, la manière dont un mot a été prononcé. Parce que c’est ça la vie, finalement : un enchaînement de détails insignifiants qui, une fois évalué par notre cerveau, reconstruit, remanié, déplacé, reformulé – rêves, souvenirs, désirs, avenir fantasmé –, finit par trouver un sens. 

Pourquoi je vous raconte tout ça ? Peut-être pour m’excuser de m’attarder parfois un peu trop sur des choses qui pourraient vous apparaître futiles. Peut-être pour justifier le fait que ce que je vous rapporte ici, ce sont rarement de grandes épopées, d’incroyables aventures, mais plutôt des anecdotes banales, des intrigues peu intrigantes, quoi. Or, ce que vous devez justement savoir, c’est que la vie, ici ou ailleurs, chez soi ou en terrain inconnu, ne reste jamais que la vie – un enchaînement de détails insignifiants qui, une fois évalué par notre cerveau, reconstruit, remanié, déplacé, reformulé, etc., etc.

Partir du Québec en pensant trouver en Italie une existence à chaque seconde plus excitante, un quotidien moins routinier, des joies plus extraordinaires, des déceptions moins dérangeantes, cela aurait été une erreur. Je ne suis pas partie en voyage ; je suis partie vivre ailleurs. Et du moment que l’on choisit de se poser quelque part, de se construire quelque chose qui ressemble à une maison et d’y élire domicile pour une période de temps donnée, immanquablement, on doit s’attendre à redevenir peu à peu soi-même, à reprendre ses vieilles habitudes, à s’enfoncer dans les mêmes désespoirs, à chercher, encore, toujours, des manières d’améliorer son sort, à faire, à l’infini, des projets pour ce futur qui nous angoisse.

On a vu cette chaise dans la vitrine d’un grand magasin. Rouge. Un coussin moelleux, des appuis-bras solides. Elle avait l’air parfaite. On se l’est procuré en étant convaincu qu’enfin, on serait confortable, qu’enfin, on pourrait se concentrer sur ce qui compte vraiment, travailler à inventer notre bonheur sans être constamment gêné par l’inconfort de l’autre chaise, celle qu’on traînait depuis déjà trop longtemps, celle qui ne nous seyait plus. Une fois le siège tout neuf installé dans notre demeure, on l’observe, on s’extasie, on soupire de joie – la nouveauté est toujours si enivrante. On s’assoit. On attend. On sourit. Puis, un peu moins. Il faut se mettre à la tâche maintenant. C’est bien beau avoir un nouveau trône sur lequel poser ses fesses, celui-ci ne prendra pas nos responsabilités à notre place. Les jours passent. Les tissus de la chaise se détendent, la mousse ramollit, prend peu à peu la forme de nos cuisses, de notre dos. Celui-ci se courbe, comme avant, pliant sous la charge trop lourde des pensées qui nous obnubilent. Nos jambes s’engourdissent. Pourtant, le vendeur nous avait promis qu’avec cette chaise, notre position s’améliorerait, que plus jamais on ne souffrirait des maux anciens.

La vérité, c’est qu’une fois que la nouvelle chaise a épousé les courbes de notre corps, une fois que ce dernier s’est adapté au changement, la sensation de bien-être des premiers jours s’effrite. Lentement, l’inspiration, la fraîcheur et l’exotisme font place à l’habitude, aux réflexes, à la lassitude. De nouveau, on ressent ce besoin pressant de transformation, de surprise, d’égarement, d’ailleurs. Le bonheur n’est pas destination, mais horizon. Incessamment, il fuit les doigts qui tentent de l’attraper comme des enfants les papillons.

Ne vous méprenez pas, je suis heureuse en Italie. Ni plus ni moins que je l’étais à Montréal. Heureuse point. Comme seul il est possible de l’être : par intermittences. 

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