Tenir ce blogue m’oblige à regarder
ma vie avec un œil différent, à me demander constamment « qu’est-ce qui
vaut la peine d’être raconté ? ». En tant qu’écrivaine, c’est une
question assez fondamentale à laquelle je suis souvent confrontée, mais le fait
de me la poser par rapport à ma propre existence demeure plutôt inusité. Je
n’ai jamais vraiment versé dans l’autofiction ou le journal intime. Décrire ce
qui m’est réellement arrivé plutôt que d’inventer ce qui pourrait se passer
dans les jours de quelqu’un qui n’existe pas – et qui est encore moins moi –, cela n’avait jamais fait partie
de ma démarche. J’avouerai que cette posture jusqu’ici inexplorée m’éclaire beaucoup
par rapport à la nature du narratif. Mes interrogations concernant ce qui, de
mon existence, pourrait retenir votre attention me poussent parallèlement à
réfléchir à ce qui mérite d’être dit ou non dans mes fictions.
Je me rends compte que peu de
choses ne méritent pas d’être transformées en histoires. Le défi demeure
toujours, simplement, de trouver une manière intéressante de les mettre en
scène. Est-ce que j’y parviens toujours, je n’en suis pas convaincue. Mais
reste que je m’aperçois que ce qui me fascine le plus dans un récit, ce sont
les détails. Ce que nous avons mangé, le nom des gens, un trait physique qui
nous permet tout de suite de comprendre à qui nous avons affaire, l’angle de la
lumière, la manière dont un mot a été prononcé. Parce que c’est ça la vie,
finalement : un enchaînement de détails insignifiants qui, une fois évalué
par notre cerveau, reconstruit, remanié, déplacé, reformulé – rêves, souvenirs,
désirs, avenir fantasmé –, finit par trouver un sens.
Pourquoi je vous raconte tout
ça ? Peut-être pour m’excuser de m’attarder parfois un peu trop sur des
choses qui pourraient vous apparaître futiles. Peut-être pour justifier le fait
que ce que je vous rapporte ici, ce sont rarement de grandes épopées,
d’incroyables aventures, mais plutôt des anecdotes banales, des intrigues peu
intrigantes, quoi. Or, ce que vous devez justement savoir, c’est que la vie,
ici ou ailleurs, chez soi ou en terrain inconnu, ne reste jamais que la vie –
un enchaînement de détails insignifiants qui, une fois évalué par notre
cerveau, reconstruit, remanié, déplacé, reformulé, etc., etc.
Partir du Québec en pensant
trouver en Italie une existence à chaque seconde plus excitante, un quotidien
moins routinier, des joies plus extraordinaires, des déceptions moins
dérangeantes, cela aurait été une erreur. Je ne suis pas partie en voyage ;
je suis partie vivre ailleurs. Et du
moment que l’on choisit de se poser quelque part, de se construire quelque
chose qui ressemble à une maison et d’y élire domicile pour une période de
temps donnée, immanquablement, on doit s’attendre à redevenir peu à peu
soi-même, à reprendre ses vieilles habitudes, à s’enfoncer dans les mêmes
désespoirs, à chercher, encore, toujours, des manières d’améliorer son sort, à
faire, à l’infini, des projets pour ce futur qui nous angoisse.
On a vu cette chaise dans la
vitrine d’un grand magasin. Rouge. Un coussin moelleux, des appuis-bras
solides. Elle avait l’air parfaite. On se l’est procuré en étant convaincu
qu’enfin, on serait confortable, qu’enfin, on pourrait se concentrer sur ce qui
compte vraiment, travailler à inventer notre bonheur sans être constamment gêné
par l’inconfort de l’autre chaise,
celle qu’on traînait depuis déjà trop longtemps, celle qui ne nous seyait plus.
Une fois le siège tout neuf installé dans notre demeure, on l’observe, on
s’extasie, on soupire de joie – la nouveauté est toujours si enivrante. On
s’assoit. On attend. On sourit. Puis, un peu moins. Il faut se mettre à la
tâche maintenant. C’est bien beau avoir un nouveau trône sur lequel poser ses
fesses, celui-ci ne prendra pas nos responsabilités à notre place. Les jours
passent. Les tissus de la chaise se détendent, la mousse ramollit, prend peu à
peu la forme de nos cuisses, de notre dos. Celui-ci se courbe, comme avant,
pliant sous la charge trop lourde des pensées qui nous obnubilent. Nos jambes
s’engourdissent. Pourtant, le vendeur nous avait promis qu’avec cette chaise,
notre position s’améliorerait, que plus jamais on ne souffrirait des maux
anciens.
La vérité, c’est qu’une fois que
la nouvelle chaise a épousé les courbes de notre corps, une fois que ce dernier
s’est adapté au changement, la sensation de bien-être des premiers jours
s’effrite. Lentement, l’inspiration, la fraîcheur et l’exotisme font place à
l’habitude, aux réflexes, à la lassitude. De nouveau, on ressent ce besoin
pressant de transformation, de surprise, d’égarement, d’ailleurs. Le bonheur
n’est pas destination, mais horizon. Incessamment, il fuit les doigts qui
tentent de l’attraper comme des enfants les papillons.
Ne vous méprenez pas, je suis
heureuse en Italie. Ni plus ni moins que je l’étais à Montréal. Heureuse point.
Comme seul il est possible de l’être : par intermittences.
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