jeudi 29 mars 2012

Les triplettes en grève


Depuis que je suis revenue d’Italie, le Québec est envahi par les petits carrés rouges. Je suis les développements de la lutte estudiantine qui bat présentement son plein avec beaucoup d’intérêts. De mon divan, grâce à la télé en direct, j’assiste à toutes les manifestations. Je rêverais de pouvoir participer à chacune d’entre elles, or, ma condition m’en empêche. Je me contente donc de crier mon désaccord depuis le confort de mon salon, d’informer les membres de ma famille au sujet de cette cause qui me tient tant à cœur, de débattre avec les amis qui viennent me visiter (quoi que le débat soit plutôt inutile, puisque nous avons pas mal tous le même point de vue), de lire tous les articles qui s’écrivent sur le dossier, de confronter mes idées à ceux qui appartiennent au camp adverse afin de solidifier mes propres arguments. Bref, je milite à ma manière, dans la mesure de mes capacités.

Pourquoi je me sens si concernée par cette question ? Parce que j’ai moi-même terminé mes études il y a un peu plus de deux ans et que je devrai continuer de payer pour celles-ci pendant encore 13 ans. Je suis parmi les « chanceuses » qui avaient droit au système de prêts et bourses ou, plutôt, de prêts tout court. Vers la fin de mes études, bien que je n’étais plus considérée à la charge de mes parents et que seul mon salaire d’étudiante était calculé pour déterminer l’aide dont j’avais besoin, je n’avais droit qu’à quelques milliers de dollars en prêts. On considérait que les 12 000$ en moyenne que je réussissais à faire dans une année en travaillant dans un magasin de vêtements étaient suffisants pour me permettre de mener une vie décente.

Loyer, épicerie, facture d’électricité, de téléphone (fixe, lâchez-moi le iPhone, ça n’existait pas encore!), sorties (parce que oui, désolée, mais s’ils veulent préserver leur santé mentale, les étudiants ont parfois besoin de sortir de chez eux pour aller ailleurs qu’à la bibliothèque), vêtements (scandale : je m’achetais parfois du linge NEUF, mesdames et messieurs – entre autres parce que je travaillais dans la mode et que mon employeur m’obligeait à adopter un certain code vestimentaire), laissez-passer d’autobus mensuel (et entretien de mon vélo – je l’admets, j’osais parfois me déplacer autrement qu’avec l’autobus), achat de livres et de matériel scolaire, frais de scolarité, imprévus (médicaments – parce que les étudiants aussi pognent parfois un mauvais virus –, visite chez le dentiste, bris d’ordinateur, etc.) : tout ça, j’aurais dû pouvoir me le payer grâce à mon salaire. Pourtant, en 2003, Statistiques Canada considérait que le seuil de la pauvreté pour une personne vivant seule à Montréal était de 19 795 $. Bref, dire que j’étais pauvre serait un euphémisme.

Je ne m’en cacherai pas : avec mes prêts, en plus de payer mes frais de scolarité, je me suis permis quelques « extravagances », c’est-à-dire deux ou trois voyages avec mon sac à dos (et non dans un tout inclus). Je suis allée en Espagne et au Portugal pendant trois semaines ainsi que dans la région de Vancouver, pour une période de temps équivalente. Loin de percevoir ces déplacements comme des dépenses inutiles, je les entrevoyais comme des investissements. Ne dit-on pas que les voyages forment la jeunesse ? J’ai ouvert mes horizons, enrichi ma culture personnelle, appris de nouvelles langues, rencontré des gens de partout sur la planète, échangé avec eux, en plus d’apprendre à me débrouiller avec les moyens du bord. En d’autres termes, ces voyages étaient pour moi l’extension de ma formation universitaire – une autre forme d’éducation. Je ne les regrette donc aucunement aujourd’hui, même si je continue d’en payer les frais – avec intérêts.

Ma vie d’étudiante fut malgré tout très heureuse et j’en garde pratiquement juste de bons souvenirs. Je l’avoue, je suis même encore très souvent nostalgique de cette époque et il me vient souvent l’envie de retourner sur les bancs d’école pour développer de nouvelles expertises et étancher ma curiosité insatiable. Par ailleurs, bien que je sois détentrice d’une maîtrise, ma situation professionnelle et financière demeure très précaire (peu importe ce qu’en disent les défendeurs de la hausse, qui prétendent que tous les étudiants universitaires font un salaire nettement supérieur au reste de la population). Jusqu’à tout récemment, je ne fermais pas la porte à un éventuel retour aux études, dans un domaine un peu plus « concret » qui me permettrait de gagner un peu mieux ma vie. Or, maintenant, ce projet est entré dans la catégorie des rêves irréalisables. Avec l’augmentation des frais de scolarité prévue au cours des cinq prochaines années, je n’aurai probablement jamais les moyens de poursuivre mes apprentissages et d’améliorer ma condition. Si j’ai de l’argent à investir dans l’éducation de quelqu’un, c’est dans celle de mes filles que je le placerai.

Voilà la raison principale pour laquelle je soutiens avec autant de ferveur la cause des étudiants : les trois demoiselles que je porte en ce moment dans mon ventre. Bientôt, elles verront le jour, découvriront le monde, ses beautés, ses drames, feront aller leurs grands yeux et leurs mains curieuses un peu partout, chercheront à comprendre comment, pourquoi. Dans un avenir pas si lointain, elles entreront à l’école primaire et, si elles sont comme leur mère, elles éprouveront un plaisir fou à apprendre à lire et à écrire. À mon instar, elles demanderont peut-être même des devoirs supplémentaires à leurs professeurs, insatisfaites du minimum qu’on exigera d’elles. Puis, viendra le moment où elles devront penser à un choix de carrière. Peut-être choisiront-elles de faire un DEP (sincèrement, je leur souhaite presque), mais peut-être aussi voudront-elles suivre mes traces et faire de longues études dans un domaine pas nécessairement payant mais pourtant très stimulant.

Dans 18 ans, lorsqu’elles me demanderont si je peux les aider à payer leurs frais de scolarité, que devrai-je leur répondre ? Que 10 000$ par année par tête de pipe, c’est absolument au-dessus de mes moyens ? Parce que rendu en 2030, lorsque mes enfants seront prêtes à entamer leurs études postsecondaires, combien coûtera un diplôme universitaire ? Ce que prône le gouvernement libéral actuel, c’est non seulement une augmentation de 325$ par année sur cinq ans, mais aussi et surtout un dégel à long terme des frais de scolarité. Ce qui pourrait très bien signifier que dans cinq ans, la hausse se poursuivra, sous prétexte que le coût des études doit augmenter comme tout le reste. Inflation et indexation pourraient mener les générations futures à devoir payer des sommes exorbitantes pour pouvoir s’instruire.

Le gouvernement de Jean Charest se targue d’être généreux en jurant qu’il compensera la hausse en bonifiant le régime de prêts et bourses. Laissez-moi rire. À qui profitera la bonification de ce régime, vraiment ? Comme les auteurs de ce texte, j’ai tendance à croire que ce sera aux institutions bancaires. Et qui aura droit à ces fameux prêts ? Les gens qui font 5 $ et moins par année ? Je rappelle que moi, à l’époque, je ne faisais que 60% du salaire considéré comme étant le seuil de la pauvreté, et je n’avais le droit qu’à des miettes de pain… J’oserais rappeler aussi qu’en 2005, les étudiants ont dû descendre dans la rue (cette fois-là j’étais de la fête) pour convaincre le même gouvernement libéral d’annuler les coupures de 103 millions $ faites dans le programme de prêts et bourses. En conclusion, ce que proposent aujourd’hui Charest et son équipe comme compromis, c’est exactement ce qu’ils menaçaient de nous enlever il y a sept ans et ce pourquoi nous nous sommes déjà battus.

Je ne sais pas si mes filles seront des intellectuelles ou si elles préféreront des activités plus sportives ou manuelles, mais une chose est sûre, très jeunes, elles auront appris l’importance de se battre pour ses idées et de ne jamais se laisser engourdir par les discours des politicailleux. Mes triplettes, elles sauront se tenir debout, tête haute et pancarte de protestation au bout des bras.

Mes triplettes, malgré leur très jeune âge, portent fièrement le carré rouge. 

lundi 19 mars 2012

La grossesse est un mensonge


La grossesse est un mensonge. Personne ne nous dit la vérité au sujet de ce qu’elle implique. Nos mères, nos grands-mères, nos sœurs, nos amies, toutes celles qui sont passées par là avant nous omettent de nous révéler de quoi il en retourne vraiment. Non pas par mauvaise foi, mais par oubli, pur et simple. Tout de suite après l’accouchement, les femmes semblent déjà avoir oublié ce que c’était de porter un enfant. Obnubilées par la beauté sans nom de leur poupon fraîchement expulsé, elles ne pensent plus à la douleur, aux désavantages, aux limites et aux interdits qui leur étaient imposés ; elles n’ont de yeux que pour leur progéniture. Les souvenirs désagréables s’effacent magiquement – probablement grâce à la sécrétion d’une hormone quelconque, puisqu’on ne fait que ça, produire des maudites hormones, quand on est en cloque.

Pourtant, les aspects négatifs liés à la grossesse sont légion, et bel et bien réels. Chaque femme vit cette période d’une manière différente, mais vraiment, y en a-t-il une seule qui puisse dire que ces 40 semaines ne furent pour elle que pur bonheur ? Si oui, j’aimerais bien la rencontrer. Qu’on jase, qu’elle me donne ses trucs – ou ses gènes.  

Comme plusieurs (ou est-ce moi qui étais complètement naïve et dans le champ ?) je croyais que les principaux désagréments de la grossesse étaient les nausées dans les premières semaines et les vergetures qui apparaissent vers la fin. Entre les deux, je m’imaginais que la femme était emplie d’une incroyable plénitude, laquelle se reflète même sur son visage (ne dit-on pas que la peau des femmes enceintes est resplendissante ? – on oublie gentiment de mentionner qu’elle est aussi plus sujette aux boutons…) Dans ma tête de fille non avertie, être enceinte signifiait avoir le privilège de participer de l’intérieur à la fabrication de l’existence, établir un lien exceptionnel avec l’enfant à naître, magasiner les trucs pour bébé avec entrain et dynamisme, portée par l’énergie de la vie qui se développe en moi. Ha. Ha. Ha. Comme j’ai pu être candide. C’en est presque rafraîchissant.

D’accord, ma condition est particulière. Porter trois bébés, ce n’est pas comme en porter un seul. Mais justement, ça, c’est mon premier « what the fuck » : comment ça se fait que moi, petite rouquine naïve, j’ai hérité de trois fœtus au lieu d’un, tandis que des milliers de femmes ont de la difficulté à procréer ? Elles mettent des années à concevoir un seul bébé, avec l’aide des médecins et des pilules, et moi, bang ! après un mois de tentative, je me retrouve avec une portée de trois. Personne ne m’avait dit que ça pouvait se conclure ainsi. Évidemment, je savais que les triplés étaient un phénomène qui existait, mais ce genre de naissance multiple est statistiquement si insignifiant qu’on ne pense même pas que ça puisse nous arriver. Surtout quand on ne fait aucune cure de fertilité.

Mon premier avertissement, donc : mesdames, ne vous pensez pas au-dessus de ça. Vous aussi, vous pourriez avoir une grossesse multiple – ne serait-ce que des jumeaux. Saviez-vous qu’actuellement au Québec, 1 naissance sur 80 en est une gémellaire ? C’est beaucoup. Vraiment beaucoup. Si vous avez toujours voulu avoir un seul enfant, pas plus, pensez-y deux fois avant de faire l’amour sans condom.

Peut-être suis-je légèrement amère en ce moment parce que depuis ma 21e semaine de grossesse, je suis au repos forcé et que cela ne fait pas du tout l’affaire de l’hyperactive en moi, mais je me dois de toutes vous avertir : le repos forcé n’est pas l’apanage des futures mères de triplés. J’ai découvert que des milliers de femmes étaient contraintes de demeurer alitées à divers moments de leur grossesse, pour différentes raisons, et la plupart d’entre elles ne portent évidemment qu’un seul enfant.

La vérité, c’est que la grossesse est une expérience de plus en plus médicalisée et que plus ça va, plus les médecins essaient de prévenir des choses dont, auparavant, on ne se souciait pas, par manque de connaissances ou de technologies. Quand nos mères et nos grands-tantes nous disent qu’elles, elles ont lavé leur plancher à quatre pattes jusqu’à 39 semaines de grossesse, ce n’est pas parce qu’elles étaient toutes faites plus fortes que nous, mais simplement parce qu’elles ne voyaient pas leurs docteurs aussi fréquemment que nous et que ceux-ci ne pouvaient donc pas, par conséquent, mettre un frein à leurs élans exagérés. Aussi, devrais-je ajouter que les futures mamans d’une certaine époque étaient un peu moins dociles (ou apeurées par le discours médical ?) que nous pouvons l’être aujourd’hui. Par exemple, ma belle-mère, après quelques semaines de grossesse, avait eu des saignements. Son médecin lui avait dit qu’elle devrait probablement passer le reste de la grossesse couchée, pour éviter de perdre son bébé. Après 3 jours, elle n’en pouvait plus. Elle a décidé de reprendre ses activités normalement, en se disant que si ce bébé était fait pour vivre, il allait s’en remettre. Quelques mois plus tard, elle a donné naissance à celui qui est devenu mon mari – un homme vraisemblablement en santé, puisqu’il m’a confectionné des triplettes. Pour ma part, si j’ose seulement rester debout 5 minutes pour me dégourdir, car je n’en peux plus d’être en position horizontale ou semi-horizontale, je me fais réprimander par ma famille au grand complet, qui me somme de retourner à mon divan.

Deuxième avertissement : oui, la grossesse est un phénomène tout à fait naturel, mais nous vivons à une époque où il n’est plus vraiment possible de le vivre comme tel – à moins d’être beaucoup plus résistante au discours ambiant que je ne le suis. Si tout va bien, vous n’aurez « qu’un seul » rendez-vous par mois durant les premiers mois, puis, vers la fin, ça sera aux deux semaines et, juste avant le terme, au semaine. Mais du moment que votre grossesse représente une éventualité de risque, on va vous bombarder de rencontres avec le médecin. Je vous souhaite donc d’avoir un patron compréhensif – ou de ne pas avoir de job, comme moi. D’autant plus qu’au-delà du trouble que ça peut représenter de toujours devoir prendre des congés pour aller à ses rendez-vous, vous allez être fatiguées. Vraiment fatiguées.

J’ai quelques amies enceintes autour de moi en ce moment et heureusement pour elles, leurs grossesses sont beaucoup moins compliquées que la mienne – elles ont la chance d’être normales, disons-le ainsi. Elles seront donc probablement plus ou moins d’accord avec certaines choses que j’ai dites ici jusqu’à présent. Toutefois, mon but n’est pas de parler de l’expérience de la grossesse en général, mais d’être honnête en décrivant comment cela peut aussi se passer, en dehors des récits bucoliques parsemés de cui-cui d’oiseaux, de confettis et de rayons de soleil que nous entendons souvent.

Il y a une chose sur laquelle toutes seront d’accord par contre : la fatigue. Toutes les prégnantes (oui, oui, ce mot existe) qui m’entourent m’ont confirmé que durant leur premier trimestre, elles étaient exténuées. Une de mes amies m’a même dit : « Prépare-toi, c’est pire qu’une mononucléose ! » Heureusement, l’énergie nous revient généralement durant le second trimestre – mais c’est pour mieux faire place à des problèmes d’autres natures (brûlements d’estomac, maux de dos, difficulté à dormir, apparition des premières vergetures et varices, angiomes, etc.) Toutefois, même si vous vous sentez pleine d’entrain, attention de ne pas vous surmener. Vous aurez parfois l’impression de pouvoir tout faire comme avant, mais ce n’est souvent qu’une illusion. Votre corps a effectivement de l’énergie, mais elle est réservée en grande partie au développement du (des) bébé(s). Saviez-vous qu’afin de subvenir au besoin du fœtus, votre volume sanguin augmentera d’environ 50% ? Eh oui, c’est votre ti-cœur qui devra pomper tout ce beau liquide. Il se pourrait donc fort bien qu’après une simple marche de 20 minutes, vous vous sentiez comme si vous veniez de courir un demi-marathon.

Troisième avertissement : Défaites-vous tout de suite de l’image de la femme enceinte super woman qui non seulement poursuit toutes ses activités comme avant mais qui, en plus, est inscrite à un cours de yoga prénatal, à deux séances par semaine d’aquaforme et qui passe ses week-ends à magasiner, en quête des meilleures offres sur les vêtements griffés pour bébés (à ne pas confondre avec les vêtements pour bébés griffés) . Enceinte, on doit apprendre à vivre au jour le jour. On ne peut pas prévoir trop à l’avance ses activités, car on ne sait jamais quelle quantité d’énergie on aura rendue là. Plus on avance dans le processus, plus on a envie de remplacer les après-midis entre chums de filles par des après-midi habillée en mou sur le sofa.

J’aurais encore bien des mises en garde à faire, or, comme mon objectif n’est pas de faire diminuer le taux de natalité déjà trop bas du Québec, dans le prochain billet, je vous promets que je mettrai plutôt en lumière quelques joies liées à la grossesse. En attendant, mesdames, n’oubliez pas de prendre votre pilule contraceptive avant de vous coucher ce soir.  

dimanche 11 mars 2012

L'exil intérieur


J’ai été ingrate. Je n’ai pas nourri ce blogue depuis près de deux mois. J’aurais voulu lui trouver une conclusion digne de ce nom, mais les mots me manquent. Comme je suis rentrée d’Italie prématurément le 3 février dernier, la logique voudrait que ces chroniques italiennes meurent de leur belle mort. L’aventure étant finie, son récit devrait prendre fin lui aussi. Je n’arrive pourtant pas à me convaincre de clore ce site. Comme si le voyage, pour moi, n’était pas réellement terminé. Comme si je n’étais pas encore rendue à destination.

La grossesse que je vis en ce moment et que j’ai débutée en sol italien me semble la prolongation de ce voyage duquel je suis revenue – qu’à moitié. Le fait d’être tombée enceinte en Italie me donne l’impression de dorénavant porter en moi une partie de ce pays. Les petites que je mettrai au monde d’ici quelques mois auront le sang italien de leur père et, j’en suis sûre, leur caractère sera influencé par les conditions dans lesquelles elles se sont développées au cours des premiers mois, c’est-à-dire en exil, entourées de gens qui parlaient une langue qui n’était pas la langue maternelle.

Vivre un déménagement outremer en pleine grossesse, cela amène son lot d’émotions, de questionnements, de problèmes et de défis et mes petites se seront certainement rendues compte qu’il y avait beaucoup de mouvements dans la vie de leur mère au cours des dernières semaines. Cette surdose d’émotions fortes aura peut-être été la cause de ma situation actuelle : je suis maintenant au repos forcé. Je dois passer mes journées étendue sur le lit ou sur le divan, pour éviter que mes trois poulettes italiennes ne se pointent le bout du nez un peu trop tôt. Cette situation n’est vraiment pas évidente, surtout pour une hyperactive comme moi ! Je n’ai mal nulle part, j’ai de l’énergie, j’ai envie de prendre des marches au soleil, d’aller magasiner les accessoires de bébés, mais non, je ne peux pas bouger. Ce n’est pas mon corps qui m’en empêche, mais ma tête.

Cela prend beaucoup de volonté pour se contraindre à demeurer couchée quand on n’a aucun membre blessé. Évidemment, je veux mener à terme cette grossesse et donner toutes les chances possibles à mes filles d’être en santé et c’est en elles que je puise ma force. Déjà, je suis une mère et j’apprends le sens du compromis, du don de soi, voire de l’abandon de soi. La femme que je suis doit non seulement apprendre à partager son corps avec trois petits êtres étrangers mais, qui plus est, elle doit accepter que ce soit ces inconnues qui aient le contrôle de ce même corps. En d’autres mots, je ne m’appartiens plus. C’est ce sentiment qui me hante depuis quelques semaines. Dépossession. Exil intérieur. Je suis le navire qui doit mener à bon port ces trois âmes qui ont choisi de venir au monde en même temps. Le voyage, je ne le fais pas : je le suis.

Je suis l’odyssée de la vie qui commence.