mercredi 26 octobre 2011

L'amour au temps de la corruption


Il y a plein de choses que je ne vous ai pas racontées encore. Évidemment, je vous ai caché une multitude de détails concernant ma vie quotidienne, mais pis encore, je n’ai pas partagé avec vous plusieurs de mes aventures hors-Carpi. Je ne vous ai toujours pas parlé de la fois où je suis allée à Verona, ni de celle où je suis retournée au Lago di Garda pour un souper éclair, ni de mes deux visites à Parma. Et que dire de cette escapade au Monte Sole, que nous avons faite il y a déjà plusieurs semaines ? Celle-là aussi, j’ai omis de la mentionner. Je n’ai pas encore pris la peine de terminer le récit de mon week-end en Toscane. Vous ignorez toujours qu’après Florence, je suis allée rejoindre F. à Lucca pour un super week-end en amoureux.

C’est ce que je voulais vous raconter aujourd’hui, cette fameuse fin de semaine dans la sympathique et médiévale ville de Lucca.

Je voulais vous parler de la superbe auberge de jeunesse qu’on y trouve. Pour soixante euros par nuit, nous avons eu droit à une chambre à deux étages avec un lit double, deux lits simples, une télé et une salle de bain. Incroyable. Je voulais aussi vous entretenir au sujet de tous ces bons petits restaurants où nous avons fait escale au cours de notre week-end, que ce soit pour le dîner ou pour le souper. J’ai mangé de délicieux tortellini in brodo dans une osteria vraiment chaleureuse et accueillante qui nous avait été conseillée par une dame tenant une boutique, où nous avions préalablement fait provision de produits typiques. J’aurais eu plein de choses à rajouter sur les succulents alcools que nous avons achetés à cet endroit. Il aurait été facile de vous entretenir pendant de longs paragraphes sur la beauté surprenante des tours de Lucca, surtout de celle au sommet de laquelle ont été plantés des arbres, de l’ambiance de fête et de bien-être qui règne dans ce bourg qui est encore aujourd’hui ceinturé des murs érigés par les Romains, murs qui forment un anneau de cinq kilomètres sur lequel il est possible de se promener à pieds ou en bicyclette ou de faire son jogging. Vous auriez pu rire un bon coup si je vous avais décrit le moment où nous avons justement loué un vélo tandem pour parcourir ces superbes sentiers. L’histoire aurait pu se poursuivre avec l’évocation des quelques heures que nous avons passées au jardin botanique, ou de celles où nous avons déambulé dans le centre-ville qui était envahi par un marché d’antiquité, ma foi, plutôt impressionnant. Et j’aurais peut-être manqué de mots pour bien vous permettre de comprendre l’émotion que nous avons ressentie quand nous sommes rentrés dans cette enoteca dotée d’une immense cave à vin qui sentait la poussière, le bois humide et les vieux tanins et qui renfermait des trésors incroyables. J’aurais pu terminer le tout en vous expliquant pourquoi nous sommes passés par Pisa avant de retourner à la maison, en vous énumérant les plats exquis que nous avons savourés à l’un de nos restaurants préférés, le Repubbliche Marinare, et en vous vantant la blancheur de Pisa, son ciel bleu, ses incontournables ricciarelli… Mais je ne le ferai pas.

Je ne m’attarderai pas davantage sur chacun de ces éléments pourtant fort intéressants car, moi, ce n’est pas ce qui a retenu mon attention. Ce qui m’est resté de ce week-end n’a rien à voir avec des monuments moyen-âgeux, des repas divins, des lieux surprenants, des promenades bucoliques. Le souvenir le plus puissant que je garde de cette escapade en Toscane n’est pas tant lié avec l’endroit lui-même qu’avec la manière dont je m’y suis sentie. Lors de ce week-end, j’ai réalisé que j’étais foutrement amoureuse.

F. semble parfois tenir ici le rôle de simple abréviation – une lettre suivie d’un point. Il apparaît dans plusieurs de mes aventures comme un personnage secondaire, pourtant, il représente tellement plus que cela. F. est le centre de ma vie. Je ne ressens pas toujours le besoin de parler de lui, de spécifier qu’il est là, avec moi, car cela va de soi dans ma tête qu’il est présent. Je ne m’imagine pas faire toutes ces choses sans lui. Les événements importants, c’est avec F. que je les vis. Il m’accompagne, me soutient, me fait rire, me déçoit parfois, parce qu’il est humain, mais il sait si bien se racheter. F. est mon mari. Parfois, je n’arrive pas à le réaliser. Je suis mariée. Ça me fait encore drôle à dire. Pourtant, ça ne pourrait pas être autrement pour moi. Me marier avec lui fut la plus belle folie que j’ai faite dans ma vie. Nous avons décidé ça très vite, après à peine dix mois de fréquentation, mais cela nous apparaissait comme l’unique chose à faire. Une certitude dans le creux du ventre, une voix qui nous murmurait : n’ayez pas peur. Avec F., je n’ai peur de rien. Ensemble, nous pouvons tout faire. Le monde nous appartient et l’impossible n’est qu’une étoile lointaine à peine observable les soirs de ciel dégagé.

Je ne sais pas ce qu’est l’amour pour les autres, je crois qu’il n’existe pas une seule définition de ce sentiment parfois troublant, parfois salvateur, parfois déchirant, parfois réparateur. Mais pour moi, l’amour, c’est F. Il est mon confident, mon amant, mon meilleur ami, celui qui me connaît le plus sur cette terre, probablement même plus que ma mère ; il est celui avec qui j’aime aller au cinéma, magasiner, marcher en forêt, visiter des musées, planifier des voyages, me perdre, faire des tours de bagnole, du jogging, des gâteaux ; il est l’homme du présent et du futur, celui avec qui l’avenir devient envisageable, avec qui je conçois mille projets irréalisables et mille autres que nous mènerons à terme, ensemble, toujours, parce qu’à deux, nous savons que pouvons accomplir de grandes choses. La prochaine étant, nous l’espérons, de faire des enfants. J’espère qu’ils auront sa patience, sa sensibilité, ses oreilles, son menton, son endurance, son ouverture d’esprit, sa beauté intérieure.

Lucca, pour moi, se résumera toujours à cela : la ville où je suis tombée amoureuse de mon chum pour une deuxième fois. Et celle où je me suis dit que Luca, ça ferait un joli nom pour un petit garçon.  

mardi 18 octobre 2011

Le bonheur est un hasard


J’adore la Toscane. Ça tombe bien, c’est la région située juste en dessous de mon Émilie-Romagne adoptive. Suffit de traverser quelques montagnes et on arrive à Florence. C’est là que je me suis retrouvée jeudi dernier, un peu à l’improviste. Je m’y suis rendue afin de rencontrer une de mes amies qui faisait un passage éclair en Italie. Je ne devais la rejoindre qu’en fin d’après-midi, alors j’en ai profité pour déambuler seule, au hasard, dans cette magnifique ville que je n’avais pas revue depuis mon séjour en 2002. À vrai dire, c’était la première fois que je remettais les pieds dans une ville italienne que j’avais déjà visitée lors de mon premier séjour italien, puisque jusqu’ici j’avais toujours préféré des destinations toutes nouvelles. Que d’émotions cela a-t-il provoqué en moi, de me retrouver en quelque sorte catapultée dans le passé.

J’avais un souvenir très flou de la belle Florence, or, quand je suis débarquée du train, tout m’est revenu. La cattedrale Santa Maria del Fiore, immense à en donner des frissons, la réplique du David sur la piazza della Signora où, à l’époque, J. et moi nous étions amusées à jouer avec la perspective et le zizi du grand adonis blanc ; le baroque ponte vecchio, où sont amalgamées des dizaines de petites cabanes colorées, aujourd’hui occupées par des marchands de bijoux n’en ayant que pour l’argent des touristes ; la vue splendide qu’offrent les environs de San Miniato al Monte. Je ne suis rentrée dans aucun musée, me suis contentée de m’imbiber de l’ambiance de ce joyau de la renaissance qu’est Firenze. De plus en plus, je préfère voyager ainsi : marcher, seulement marcher, au cœur de cités inconnues dont les murs, les ruelles, les marchés et les passants ont tant à nous dire.

Au terme de ma promenade, j’ai rejoint ma copine ainsi que quelques autres Québécois qui l’accompagnaient à la piazzale Michelangelo. Deux d’entre eux ont décidé de nous suivre pour aller prendre un verre dans le sympathique quartier San Frediano. Nous nous sommes retrouvés au Volume, un endroit très accueillant, un peu hipster, mais somme toute agréable. Comme j’étais l’italienne de service, c’est moi qui aie commandé nos verres, pour finalement me rendre compte que le serveur était Français ; il allait donc falloir surveiller ce qu’on disait ! Il était si bon d’être entourée de gens qui parlaient ma langue, de pouvoir dire tout ce qui me traversait l’esprit sans avoir à réfléchir pendant cinq minutes à la manière dont je devais formuler ma phrase, de faire des blagues, d’être moi-même, quoi. Je ne m’en rends plus trop compte au quotidien, mais cela me pèse parfois de vivre dans la langue de quelqu’un d’autre. Mon italien s’améliore constamment, il devient toujours de plus en plus facile de communiquer, mais ce n’est jamais comme communiquer en français. Bref, après trois mois de vie à l’étranger (eh oui, déjà trois mois, aujourd’hui même), cette petite pause québécoise m’a fait le plus grand bien.

Après l’apéro, nous avons cherché un restaurant où l’on pourrait manger de la cuisine typiquement toscane et continuer de boire du bon vin. Plusieurs endroits étaient soient peu invitants, soit trop chers, soit complets. Nous nous sommes finalement ramassés dans un lieu à la décoration colorée et au personnel ma foi fort sympathique. J’ignore si leur gentillesse était due au fait que je m’adressais à eux en italien, mais je n’ai jamais eu droit à un accueil aussi chaleureux en Italie ! Honnêtement, les Italiens ne sont pas toujours les plus aimables, mais là, nous avons eu droit à la totale. Alors qu’ils répondaient à d’autres clients qu’il n’y aurait pas de place avant 22 heures, à nous, ils nous ont offert une table en moins de 15 minutes. Nous avons attendu dehors, car les lieux étaient plutôt exigus. À un certain moment, quand j’ai vu qu’ils reviraient d’autres gens de bord, je suis retournée en dedans leur demander si j’avais bien compris et que nous aurions bel et bien une place ; ils m’ont assurée que oui et m’ont demandé si on voulait boire un verre de vin en attendant. Sur le bras. Pourquoi pas ! Bianco ? D’accord ! Nous avons siroté notre verre de blanc assis sur le trottoir de cette ruelle étroite, en manquant de nous faire écraser les orteils par les voitures qui roulaient trop vite. La vie sait parfois être magique.

À la fin du repas, avant que nous ne quittions, le serveur et l’homme à l’accueil nous ont serré la main et nous ont affirmé avec emphase que cela avait été un grand plaisir de nous servir. Sérieusement, je pense qu’ils nous prenaient pour des gens que nous n’étions pas, car leur dévotion et leur politesse étaient quasiment exagérées. Soit, cela n’était pas désagréable, bien au contraire ! Après les poignées de main, nous avons dû nous dépêcher un peu puisque mes acolytes devaient retourner à Montecatini et le dernier train pouvant les y porter partait à 22h08. Je les ai donc accompagnés à la gare pour ensuite me retrouver seule au centre-ville de Florence. Exténuée de ma journée, j’ai voulu prendre l’autobus menant à l’auberge de jeunesse où j’avais réservé un lit, pour me rendre compte que celui-ci ne passait pas après 22 heures. Un peu ridicule, quand on pense que c’est là l’unique façon de se rendre à l’auberge à part le taxi et que la plupart des gens qui choisissent de résider à cet endroit n’ont pas 15 euros à mettre sur un taxi, mais qu’à cela ne tienne, je n’avais ni la force ni le courage de marcher 5 kilomètres à la noirceur dans les rues d’une ville étrangère. J’ai donc payé les fameux 15 euros – tu vois maman, je suis sage des fois. Sage, mais plus aussi fougueuse qu’avant. Je ne pourrais plus parcourir l’Europe pendant trois mois avec seulement 3000$, comme je l’ai fait à l’époque…

Arrivée à l’auberge, une fois de plus, des tonnes de souvenirs sont remontées en moi. Probablement me trompé-je, mais j’ai eu l’impression d’être dans la même chambre que  lors de mon premier passage en cet endroit, il y a neuf ans. Or, cette fois, j’étais seule dans le dortoir de quatre personnes. J’aurais dû bien dormir, mais il n’en fut rien. Chargée d’adrénaline et dérangée par les voix qui hantaient le corridor, je ne suis pas parvenue à fermer l’œil avant 2 heures. Ma nuit fut ponctuée de sursauts provoqués par de violents claquements dont j’ignorais la provenance. Au petit matin, cernée, j’ai découvert que c’est le vent qui faisait battre les volets de l’édifice, bruit que l’écho des murs de cet immense manoir transformé en gîte pour jeunes fauchés s’amusait à amplifier. J’ai déjeuné, en me demandant comment je faisais jadis pour me contenter de ce pain sec et de ce mauvais café comme premier repas – et souvent comme deuxième, puisque nous dérobions des tranches de pain et des confitures supplémentaires pour nous confectionner des dîners peu dispendieux. Décidément, mes critères de voyageuse et ma tolérance à l’inconfort et aux repas insipides ne sont plus les mêmes.

J’ai payé ma nuit blanche, fait mon sac et je suis partie. Postée à l’arrêt d’autobus, d’autres réminiscences se sont cristallisées devant mes yeux nostalgiques. La dernière fois où j’avais attendu à cet arrêt, J. et moi étions nerveuses. Nous fuyions. Nous avions hâte que l’autobus nous emporte loin de Maxime, ce Québécois que nous avions rencontré à Reims, une semaine plus tôt, et qui nous suivait partout depuis. Nous n’en pouvions plus de lui, de son arrogance, de ses manières maladroites. Nous étions parties de l’auberge sans l’avertir, dans l’espoir de le semer. Ça avait fonctionné. Temporairement. Environ deux semaines plus tard, il nous avait retrouvées. En plein cœur d’Athènes. Une coïncidence. Tous les hasards ne sont pas heureux.

Moi, cependant, assise sur ce banc à attendre l’autobus numero undici, heureuse, je l’étais. 

mardi 11 octobre 2011

De la vie, à la fin, ce qu'il reste


Dimanche, pour la deuxième fois de ma vie, j’ai célébré mon anniversaire en Italie. La première fois, c’était en 2002, lorsque j’ai eu 19 ans. J’étais partie avec J., une copine du Cégep, et mon sac à dos, pour trois mois autour de l’Europe. Le 9 octobre de cette année-là, nous étions à Rome. J’ai passé l’après-midi de mon anniversaire à attendre en face de la basilique Saint-Pierre. Nous avions prévu visiter la célèbre église, or, elle avait été fermée pendant plusieurs heures en raison de la célébration d’un mariage collectif présidé par le pape lui-même. C’était encore l’époque du sympathique Jean-Paul II. Il n’était pas fort, mais toujours vivant. Avachi sur son siège de velours rouge, il murmurait la parole de Dieu en italien, en français, en latin et dans je ne sais plus quelle langue, devant des milliers de personnes, dont plusieurs centaines en robe et en costume de mariés.

À la fin de ce spectacle particulièrement étrange, nous avions pu pénétrer à l’intérieur de la fameuse Saint-Pierre de Rome. De l’immense Saint-Pierre de Rome. Après, nous avions voulu aller à la Chapelle Sixtine, cependant, pour une raison qui m’échappe encore, celle-ci fermait à 14h20. Pas 14h30 : 14h20. Ça doit être l’heure d’une prière que je ne connais pas. Nous avions donc terminé cette journée sans voir la fresque de Michelangelo. Pour nous consoler et pour me gâter, puisque c’était mon anniversaire après tout, J. avait décidé de nous payer du McDonald’s pour souper. Nous étions allées à celui de la stazione Roma Termini, si je me souviens bien. Pourtant, il ne me semble pas que nous avions un train à prendre après. Les gares sont tout simplement le lieu où les âmes perdues finissent par aboutir, lorsqu’elles ignorent où aller pour trouver le réconfort. Et nous l’y avons trouvé, le réconfort. Le luxe. Quand on voyage avec un budget total de 25$ par jour et qu’on doit, avec ces 25$, payer sa nourriture, son lit et ses activités touristiques, un trio McDo, c’est vraiment une faste dépense. Je mange dans ce genre de resto environ une fois par année ; cette fois-là était certainement la meilleure de ma vie. Mon Big Mac avait un goût assurément cent fois plus délicieux qu’à l’habitude.

Ces souvenirs sont parmi ceux que je chéris le plus. J’ai l’impression qu’ils m’ont forgée, en quelque sorte, qu’ils ont largement influencé la suite de mon existence.

Immanquablement, lorsqu’octobre approche et que je m’apprête à ajouter une année de plus à mon calendrier, le passé remonte en moi. Au-delà de la nostalgie, c’est une sorte de désir de comprendre – qui je suis et pourquoi – qui m’habite et me force à revoir certains événements, à les analyser avec une perspective nouvelle – celle de la sagesse que je gagne, du moins je l’espère, un peu chaque année. J’aime bien faire des bilans, penser à tout ce que j’ai accompli au cours de l’année qui s’achève, à tous les malheurs qui me sont arrivés, à tous les obstacles que je suis parvenue à contourner, à tous ces bonheurs qui sont venus illuminer ma voie. Ça me réconcilie avec le non-sens de la vie. Soudainement, elle m’apparaît moins absurde. À la fin, de la vie, je ne retiens que de belles choses. Même celles qui, au moment où elles se sont abattues sur moi, m’ont terriblement faite souffrir m’apparaissent importantes, salutaires, avec le recul. J’éprouve une satisfaction certaine, voire une fierté, à penser aux épreuves surmontées, aux erreurs évitées, aux maladresses pardonnées, à tout ce qui fut ardu, lourd, déchirant, mais qui, en bout de ligne, ce sera avéré formateur, nécessaire.

Alors, le bilan de mes 27 ans, de quoi a-t-il l’air ? L’automne de ma 28e année fut certainement l’un des pires de ma vie – mon chum et moi étions dans une impasse : après des mois de chômage, il a eu affaire à un employeur irrespectueux pour qui il accomplissait un travail sous-payé et dénué de défi, tandis que moi, je ne parvenais pas à trouver quelle était ma voie (ce problème demeure, mais je le vis avec beaucoup moins d’angoisse), j’accumulais les petits contrats insignifiants et j’ai dû accuser un refus par rapport à une demande de bourse dans laquelle j’avais placé beaucoup d’espoir. Décembre fut certainement l’apogée de mon abattement et celui-ci s’exprimait physiquement – problèmes de foie, brûlements d’estomac, fatigue insurmontable.

En janvier, F. et moi avons décidé de nous reprendre en main. Nous n’avons pas bu une goutte d’alcool de tout le mois, nous avons fait un régime jusqu’en mars, nous nous sommes inscrits dans un club de boxe, où nous allions chaque semaine, en plus de faire du jogging, du patin à glace et de longues marches. J’ai perdu du poids, je me sentais bien, j’avais l’impression que mon corps et ma vie m’appartenaient à nouveau.

Le 14 février 2011, F. moi, avons célébré la Saint-Valentin vêtus de pantalons de jogging et de t-shirts trop grands, en buvant du champagne et en mangeant de mignons péchés. C’est ce soir-là que nous avons décidé que nous déménagerions en Italie.

Pleine d’une énergie nouvelle, en mars, j’ai lancé mon premier roman. Celui-ci a reçu un chaleureux accueil, ce qui m’a évidemment comblée. Le printemps fut dédié à la promotion de mon livre et à la préparation de notre départ. À la mise en boîte de notre vie. Nous avons jeté, donné, enterré, recyclé des dizaines et des dizaines d’objets devenus inutiles et encombrants. Le reste, nous l’avons placé dans des cartons, qui dorment maintenant dans l’entretoit du garage de mon père.

Le 14 juillet, six mois jour pour jour après en avoir pris la décision, nous sommes partis.

La suite, vous la connaissez. Vous savez entre autres qu’en août, j’ai fêté mon premier anniversaire de mariage et que j’ai su que j’avais obtenu une bourse pour l’écriture de mon second opus. Voilà à quoi a ressemblé la dernière année. Elle a affreusement mal commencé et s’est terminée d’une manière exceptionnellement surprenante.

Et la première journée de mes 28 ans, elle, de quoi a-t-elle eu l’air ? De rien. J’osai espérer qu’elle n’était pas à l’image des 364 qui la suivraient, car elle fut plutôt décevante – comme le sont pas mal toutes mes journées d’anniversaire. Plus je vieillis, plus je déteste le 9 octobre. Chaque année, c’est immanquable, je pleure cette journée-là (il faut dire que je suis braillarde, alors ce n’est pas un fait si extraordinaire, mais tout de même). Le jour de ma fête finit toujours dans l’amertume – cette sensation d’être seule, oubliée, importante pour personne. Je souhaite tellement que cette journée soit différente des autres, spéciale, remplie de surprises, étonnante, que je ne peux faire autrement que de trouver qu’elle n’a pas été à la hauteur.

Cette année, le 9 octobre fut décevant entre autres parce que la sortie au restaurant qui était prévue par mes généreux beaux-parents pour célébrer ce fameux anniversaire fut gâchée par un service lamentablement lent. Il s’est écoulé tellement de temps entre le moment où nous avons terminé notre entrée et celui où l’on a enfin pensé à nous amener notre plat principal que nous n’avions plus faim. J’ai laissé la moitié de mon assiette. Je n’ai pris ni dessert ni café. Un repas d’anniversaire pas de dessert, c’est un peu triste.

Au-delà de ce léger contretemps, il y avait surtout le fait que ma famille et mes amis me manquaient. Tous ces « Bonne fête » qui fusaient sur mon babillard Facebook n’arrivaient pas à remplacer la présence des gens qui me sont chers. Je me sentais plus loin qu’à l’habitude. Pourtant, je n’étais pas plus loin. Seulement un peu plus vieille. 

jeudi 6 octobre 2011

Comme les enfants les papillons


Tenir ce blogue m’oblige à regarder ma vie avec un œil différent, à me demander constamment « qu’est-ce qui vaut la peine d’être raconté ? ». En tant qu’écrivaine, c’est une question assez fondamentale à laquelle je suis souvent confrontée, mais le fait de me la poser par rapport à ma propre existence demeure plutôt inusité. Je n’ai jamais vraiment versé dans l’autofiction ou le journal intime. Décrire ce qui m’est réellement arrivé plutôt que d’inventer ce qui pourrait se passer dans les jours de quelqu’un qui n’existe pas – et qui est encore moins moi –, cela n’avait jamais fait partie de ma démarche. J’avouerai que cette posture jusqu’ici inexplorée m’éclaire beaucoup par rapport à la nature du narratif. Mes interrogations concernant ce qui, de mon existence, pourrait retenir votre attention me poussent parallèlement à réfléchir à ce qui mérite d’être dit ou non dans mes fictions.

Je me rends compte que peu de choses ne méritent pas d’être transformées en histoires. Le défi demeure toujours, simplement, de trouver une manière intéressante de les mettre en scène. Est-ce que j’y parviens toujours, je n’en suis pas convaincue. Mais reste que je m’aperçois que ce qui me fascine le plus dans un récit, ce sont les détails. Ce que nous avons mangé, le nom des gens, un trait physique qui nous permet tout de suite de comprendre à qui nous avons affaire, l’angle de la lumière, la manière dont un mot a été prononcé. Parce que c’est ça la vie, finalement : un enchaînement de détails insignifiants qui, une fois évalué par notre cerveau, reconstruit, remanié, déplacé, reformulé – rêves, souvenirs, désirs, avenir fantasmé –, finit par trouver un sens. 

Pourquoi je vous raconte tout ça ? Peut-être pour m’excuser de m’attarder parfois un peu trop sur des choses qui pourraient vous apparaître futiles. Peut-être pour justifier le fait que ce que je vous rapporte ici, ce sont rarement de grandes épopées, d’incroyables aventures, mais plutôt des anecdotes banales, des intrigues peu intrigantes, quoi. Or, ce que vous devez justement savoir, c’est que la vie, ici ou ailleurs, chez soi ou en terrain inconnu, ne reste jamais que la vie – un enchaînement de détails insignifiants qui, une fois évalué par notre cerveau, reconstruit, remanié, déplacé, reformulé, etc., etc.

Partir du Québec en pensant trouver en Italie une existence à chaque seconde plus excitante, un quotidien moins routinier, des joies plus extraordinaires, des déceptions moins dérangeantes, cela aurait été une erreur. Je ne suis pas partie en voyage ; je suis partie vivre ailleurs. Et du moment que l’on choisit de se poser quelque part, de se construire quelque chose qui ressemble à une maison et d’y élire domicile pour une période de temps donnée, immanquablement, on doit s’attendre à redevenir peu à peu soi-même, à reprendre ses vieilles habitudes, à s’enfoncer dans les mêmes désespoirs, à chercher, encore, toujours, des manières d’améliorer son sort, à faire, à l’infini, des projets pour ce futur qui nous angoisse.

On a vu cette chaise dans la vitrine d’un grand magasin. Rouge. Un coussin moelleux, des appuis-bras solides. Elle avait l’air parfaite. On se l’est procuré en étant convaincu qu’enfin, on serait confortable, qu’enfin, on pourrait se concentrer sur ce qui compte vraiment, travailler à inventer notre bonheur sans être constamment gêné par l’inconfort de l’autre chaise, celle qu’on traînait depuis déjà trop longtemps, celle qui ne nous seyait plus. Une fois le siège tout neuf installé dans notre demeure, on l’observe, on s’extasie, on soupire de joie – la nouveauté est toujours si enivrante. On s’assoit. On attend. On sourit. Puis, un peu moins. Il faut se mettre à la tâche maintenant. C’est bien beau avoir un nouveau trône sur lequel poser ses fesses, celui-ci ne prendra pas nos responsabilités à notre place. Les jours passent. Les tissus de la chaise se détendent, la mousse ramollit, prend peu à peu la forme de nos cuisses, de notre dos. Celui-ci se courbe, comme avant, pliant sous la charge trop lourde des pensées qui nous obnubilent. Nos jambes s’engourdissent. Pourtant, le vendeur nous avait promis qu’avec cette chaise, notre position s’améliorerait, que plus jamais on ne souffrirait des maux anciens.

La vérité, c’est qu’une fois que la nouvelle chaise a épousé les courbes de notre corps, une fois que ce dernier s’est adapté au changement, la sensation de bien-être des premiers jours s’effrite. Lentement, l’inspiration, la fraîcheur et l’exotisme font place à l’habitude, aux réflexes, à la lassitude. De nouveau, on ressent ce besoin pressant de transformation, de surprise, d’égarement, d’ailleurs. Le bonheur n’est pas destination, mais horizon. Incessamment, il fuit les doigts qui tentent de l’attraper comme des enfants les papillons.

Ne vous méprenez pas, je suis heureuse en Italie. Ni plus ni moins que je l’étais à Montréal. Heureuse point. Comme seul il est possible de l’être : par intermittences.