lundi 27 octobre 2014

Singes à barbe et femmes barbares





« On ne naît pas femme, on le devient », paraît-il. Mais pas facile de devenir une femme dans ce monde où les mots n’existent pas toujours pour décrire ce que nous sommes. La semaine, dernière, les bonzes de l’Académie française ont décrété que le mot « auteure » était un barbarisme inadmissible.

Barbarisme : GRAMM. Faute contre le langage soit dans la forme, soit dans le sens du mot (mot créé ou altéré, dévié de son sens, impropre).

Selon ces messieurs vêtus de costumes vétustes, ajouter un « e » à un mot dévie celui-ci de son sens, donc. Que faut-il en déduire ? Que le métier d’auteur ne devrait être pratiqué que par des personnes ayant la faculté de pisser debout sans se tremper les pantalons ? Que les femmes qui exercent la profession d’écrivain ne peuvent être que des amateurs (semble-t-il qu’on n’ait pas prévu de forme féminine pour le mot « amateur » non plus, donc impossible pour une femme d’être amatrice, mais possible pour elle d’être experte ou professionnelle) ? Une fois qu’on entre dans cette logique absurde, difficile d’en sortir…

Cette histoire m’a beaucoup interpelée, en premier lieu parce que je suis maman et que mes filles en sont présentement à découvrir le langage dans toute sa richesse et sa complexité. De plus en plus, elles s’expriment avec des phrases complètes et, chaque jour, leur vocabulaire s’agrandit. Telles des perroquets, elles répètent tout ce qu’on dit. Elles me surprennent même à employer des mots que je ne pensais jamais avoir utilisés devant elles. Souvent, elles ont recours au terme juste, mais ne lui applique pas le bon genre. « C’est mon poupée. » « La sac est à maman. » Nous tenons pour acquis le genre des mots, qui est ancré en nous depuis l’enfance, mais il est vrai que celui-ci n’est pas toujours logique. J’essaie d’aider mes filles à se retrouver dans ce capharnaüm qu’est la langue française, en leur enseignant les bonnes règles, d’une part, mais aussi en leur montrant que les mots masculins n’ont pas plus de valeur que les mots féminins, et vice-versa. De la même manière que papa n’est pas meilleur que maman ou que maman n’est pas supérieure à papa. (Bon, ok, mon chum est meilleur que moi pour monter un meuble IKEA et ma maîtrise du logiciel Word est supérieure à la sienne, mais ça n’a rien à voir avec nos sexes, cela étant plutôt tributaire de nos intérêts respectifs.)

En deuxième lieu, le discours arriéré, machiste et condescendant tournant autour de l’aspect « barbare » du mot « auteure » me touche énormément en tant qu’écrivaine (on est au Québec, donc je me permets cette impropriété outrancière et prends même la peine de la souligner). Il me blesse car il témoigne de la perception qui continue de régner non seulement chez les intellectuels autoproclamés immortels, mais aussi chez une grande partie du lectorat et de la population en général : les femmes n’arrivent pas à la cheville des hommes dans bon nombre de domaine. Elles peuvent bien s’adonner à la poésie pour épancher leur âme dans leur temps libres si cela peut leur éviter de sombrer dans l’hystérie, mais leur œuvre ne pourra jamais avoir la même valeur que celle des barbus, des moustachus et autres représentants du genre humain dotés d’une pilosité faciale – peut-être qu’une femme à barbe aurait plus de chances de voir reconnaître ses qualités littéraires, qui sait…

Cela n’est pas sans rappeler les controversés propos de l’écrivain et professeur d’université David Gilmour, qui avait affirmé n’enseigner que des livres écrits par des hommes parce qu’il n’aimait pas l’écriture des femmes, mise à part celle de Virgina Wolf (vous trouverez ses propos exacts ici). Il en avait rajouté en précisant qu’il n’enseignait « que le meilleur » – I teach only the best. En d’autres mots, ce que les femmes écrivent, c’est du caca. Systématiquement. Sauf pour Virginia (mais elle, elle était bipolaire et avait des tendances lesbiennes, ça fait que c’est pas pareil, hein.)

Lorsque j’ai envoyé le manuscrit de Voyage léger, mon premier roman, à des éditeurs, l’un de ceux-ci m’a contactée par téléphone pour m’expliquer les raisons de son refus. J’avais trouvé cela très gentil de sa part. Jusqu’à ce qu’il me dise que je manquais d’imagination et, surtout, que mon texte risquait de plaire seulement à des femmes, donc que j’étais mieux de le faire parvenir à des maisons d’édition dirigées par des madames, qui seraient sûrement plus sensibles à ma prose. Sous prétexte que ce roman racontait l’histoire d’une jeune femme, qu’il était narré au Je et qu’il abordait des thématiques typiquement féminines, voire féministes, dont l’avortement, il ne pouvait pas plaire à un lectorat mâle, selon ce charmant monsieur dont je tairai l’identité. (Ça me surprendrait qu’il lise ce blogue, mais mettons que ce serait le cas, j’aimerais lui signaler au passage que ce fameux livre sans imagination et dépourvu d’intérêt pour la gent masculine a été finaliste au Prix France-Québec 2012 – probablement que cette année-là, sur le jury, il n’y avait que des filles aimant les textes bourrés de clichés et manquant d’originalité). J’en déduis que chaque fois que je lis un livre écrit au Je dont le personnage est masculin et où on parle de masturbation, de football et de brandy, il est impossible que je sois touchée. Quant à avoir des préjugés, soyons conséquents, et ayons-en dans les deux sens.

C’est bien connu, l’universel est masculin. Et Ève est née de la côte d’Adam. Elle est comme une sorte de sous-produit animal (vous savez, ces cochonneries dont on nourrit parfois les animaux dans certains élevages industriels). En vérité, cette idée d’une femme fabriquée à partir du corps de l’homme qui soit par conséquent inférieure à lui est due à une interprétation du terme hébreux אַחַת מִצַּלְעֹתָיו, qui pourrait plutôt signifier « côté ». Ève ne serait non pas sortie de la côte d’Adam, mais de son « côté », ce qui nous renverrait à l’androgynie universelle, à l’égalité des genres indissociables. L’homme et la femme, côte à côte. Cette interprétation aurait de quoi rabattre le caquet d’une belle trâlée de créationnistes, mais aussi d’humbles catholiques et de gens qui, tout en se déclarant athées, sont incapables de se défaire de leur éducation chrétienne et de la vision de la femme que cette culture tend à véhiculer. Bref, ça fait l’affaire d’une majorité, ce mythe de la femme qui descend de l’homme. Il vaudrait peut-être la peine de rappeler que l’homme, lui, descend du singe.

C’est de ça qu’ils ont l’air, les membres de l’Académie, avec leurs atours moyenâgeux : d’une belle bande de singes, faisant des simagrées sur la place publique pour divertir les badauds. Et moi, je leur dis, « mangez donc de la marde-avec-un-e » (s’ils ne savent pas où se procurer de matières fécales, ils pourront toujours manger un de mes livres, puisque ceux-ci ayant été écrits par une détentrice d’utérus, ils ne valent apparemment pas beaucoup plus qu’un tas de fumier.)


Sur ce, je m’en retourne à l’écriture de mon prochain Harlequin.



lundi 6 octobre 2014

La racine carré des roches



Le radical. C’est le symbole qui ressemble à un gros crochet et qu’on place devant un nombre pour signifier qu’on cherche à trouver sa racine carrée. 4 = 2. Pas mal tout le monde sait ça. Mais la racine carrée de soi-même, comment la trouve-t-on ?

Quelle est ma radicante ? Le fruit de mon ultime division ?

La racine, c’est l’essence. C’est ce que nous sommes, dans notre plus simple expression. Je suis 2. Je ne peux pas être moins que 2. La racine carrée de 2 est un nombre irrationnel. Moi, je veux être rationnelle. Je veux exister en entier. Donc je m’accroche à des nombres réels. Donc je cherche à partager ma vie avec quelqu’un qui m’aime et me ressemble. Notre grande quête d’amour n’a rien d’ésotérique : elle est mathématique.

Le radical. C’est l’envie qui me prend souvent de tout foutre en l’air. De recommencer da capo. De faire table rase et d’avoir à nouveau toutes les possibilités devant moi.

Le radical, c’est la tentation cyclique qui m’habite de me déconnecter des réseaux sociaux, de partir vivre à la campagne et de me planter un beau grand jardin bio. Faire l’école à la maison à mes enfants, repriser les chaussettes lorsqu’elles sont trouées au lieu d’en acheter de nouvelles, lire des essais et de la poésie plutôt que de suivre des téléséries sur Netflix.

Dans cette société qui est la nôtre, on nous répète sans cesse que le radicalisme n’est pas bon pour la santé. Les radicaux nuisent au développement économique, les radicaux tranchent la gorge des journalistes et des travailleurs humanitaires, les radicaux ne chiquent que des racines de chicorée. Mais n’existerait-il pas une forme d’extrémisme qui soit bénéfique ? Un aller-jusqu’au-boutisme qui puisse nous libérer de nos grandes prisons – le numérique, la politique, la maladie de plaire à tout prix ?

J’aimerais avoir le courage d’aller jusqu’au bout de mes idées. Toujours. Pas seulement la moitié du temps. J’aimerais arrêter de dire et faire, plutôt. Faire de mes mains, le plus possible. Pas à travers mille machines censées me rendre la vie plus facile.

Je sens qu’elles me déconnectent de ma racine carrée, les machines. Il m’arrive de m’imaginer ce que je deviendrais si l’électricité venait à manquer, si l’Internet était débranché, si le pétrole était épuisé. Ce que nous deviendrions. Un beau gros pas grand-chose approximatif. Un nombre irrationnel, oui. Et ça me fait peur. Que notre survie dépende des babioles que nous avons créées.

Comble de l’absurdité, je prends la peine de raconter tout ça sur un blogue dont les données sont stockées quelque part en Californie. J’écris en un lieu qui n’existe pas, quoi. Et à des gens tout aussi inexistants. Le virtuel parle au virtuel, dans ce monde qui a besoin de chiffres réels mais qui se contente d’une image sur un écran pour confirmer la vérité.

Je serais aussi bien de raconter mes histoires à une roche ramassée sur une plage et, à la fin de mon récit, de lancer ladite roche dans la mer, de toutes mes forces. La réponse que j’obtiendrais serait assurément moins silencieuse.