lundi 26 août 2013

L'essoufflement

J’ai réalisé il y a quelques temps que pour aller mieux, il me faudrait revisiter certains moments douloureux des deux dernières années, afin de me réconcilier avec eux et de prendre le dessus sur les sentiments qu’ils avaient provoqués. Les derniers 24 mois de mon existence ont été hauts en rebondissements. J’ai vécu

un déménagement outremer, j’ai tout laissé derrière moi pour aller vivre dans un pays dont je connaissais peu la langue et où je n’avais d’autres amis que mon chum, j’ai pris mon permis de conduire dans ce pays où les gens conduisent en fou, j’ai écrit mon deuxième livre, j’ai appris que j’étais enceinte, j’ai eu un premier trimestre de grossesse très désagréable incluant beaucoup de fatigue et des maux de cœur en continu, j’ai su que je ne portais non pas un, mais bien trois bébés, j’ai dû réorganiser ma vie en quelques semaines à peine, je me suis à nouveau tapé un déménagement outremer, j’ai dû repartir à zéro dans ce Québec que je croyais avoir quitté pour beaucoup plus longtemps, avec F., on a emménagé chez ma mère qui nous avait offert de nous accueillir pour la première année avec les petites, on a dû trouver un job à mon chum, une voiture assez grande pour trois poupons et leurs sièges auto, j’ai été mise au repos forcé à 5 mois de grossesse et c’est dans la position semi-couchée que j’ai terminé l’écriture de « Point d’équilibre », on m’a hospitalisée à 26 semaines de gestation et 3 jours parce que j’étais déjà dilatée à 2 centimètres, 5 jours plus tard, je subissais une césarienne d’urgence car mes bébés avaient décidé qu'il était temps de sortir, j’ai passé deux jours de plus à l’hôpital et mes bébés, 4 mois, j’ai fait l’aller-retour entre la maison et l’hôpital (50 km) pratiquement tous les jours pendant ces 4 mois, durant lesquels je me suis aussi tapé des complications liées à la césarienne (ma plaie saignait sans cesse pendant 10 jours et je devais porter des serviettes sanitaires À L’AVANT de ma petite culotte), un énorme rhume, une otite et un poignet fracturé pour lequel il a fallu qu’on m’opère et qu’on m’immobilise pendant deux mois, à la suite de quoi mes filles sont finalement rentrées à la maison, on donnait 18 biberons par jour et on changeait tout autant sinon plus de couches, on devait réveiller les demoiselles la nuit pour les faire boire afin qu’elles engraissent davantage, on les gavait de médicaments, on stérilisait des biberons et nettoyait des cache-couches, on dormait par terre dans leur chambre car on avait un concentrateur d’oxygène à la maison qui faisait un bruit infernal, on s’assurait que Béatrice avait toujours sa lunette d’oxygène dans le nez, on branchait Béatrice sur une bombonne quand on voulait aller prendre une marche avec les bébés ou qu’il fallait se rendre à l’un de nos nombreux rendez-vous (au moins un par semaine les premiers mois – pneumologue, pédiatre, néonatalogistes, infirmière du CLSC, etc.), puis après à peine un mois à la maison, Béatrice a contracté une pneumonie pour laquelle elle a été hospitalisée un week-end, de nouveau de retour à la maison, son état s’est dégradé – elle avait attrapé la coqueluche, soit la pire maladie infantile qu’un enfant prématuré de son âge pouvait attraper –, on dormait toujours par terre dans la chambre des petites, mais avec un œil à moitié ouvert car Béatrice se tapait d’incroyables quintes de toux qui nous faisaient craindre le pire, et voilà, le pire est arrivé, ou presque, Béatrice a cessé de respirer, heureusement, elle était branchée sur un saturomètre qui s’est mis à sonner pour nous aviser que quelque chose n’allait pas avec elle, elle a commencé à devenir bleue, elle était inerte, on a tenté de la stimuler mais rien n’y faisait, j’ai couru à l’étage pour réveiller G., mon beau-père ambulancier, il a titubé jusqu’au sous-sol et a fait des manœuvres pour la réanimer, elle est revenue à elle, nous tremblions, il était 3 heures du matin, mon chum et G. l’ont amenée à l’urgence, moi, je suis restée avec les deux autres, je n’arrivais pas à dormir, j’étais terriblement inquiète, la nuit suivante, je trouvais qu’Alice n’allait pas très bien alors je l’ai branchée sur le saturomètre de sa sœur, qui a sonné trois fois durant la nuit car elle faisait des bradycardies, j’ai donc décidé de l’amener à l’hôpital elle aussi, finalement, ce soir-là, la pédiatre m’a appelée pour me dire « Amenez donc Léa aussi, tant qu’à faire, mieux vaut être prudents », je me suis rendue à l’hosto avec Léa, ils avaient préparé une chambre juste pour nous, ils avaient même prévu des lits pour F. et moi, car ils savaient qu’on passerait beaucoup de temps-là, qu’on ne se remettait pas de la coqueluche en seulement quelques jours, en bout de ligne, on a fait du camping à l’hôpital pendant deux semaines, on dormait là, mangeait là, on s’était même acheté un frigo portatif pour mettre nos réserves de nourriture, j’en profitais pour vendre des copies de mon nouveau livre tout frais sorti des presses aux infirmières, je me suis pris un congé de 24 heures pour monter à Montréal faire le lancement dudit livre, j’avais les yeux qui fermaient tout seuls, le demi-verre de vin que j’avais bu m’avait complètement amortie, quand l’épisode de la coqueluche s’est terminé, on est rentrés à la maison avec notre petite famille, plus épuisés que jamais, et on ne savait pas que l’enfer ne faisait que commencer, par la suite, c’est la bronchiolite qui s’est invitée chez nous, il a fallu de nouveau hospitaliser tout le monde, pour 8 jours cette fois-là, et si nous sommes restés plus d’une semaine, c’était surtout pour essayer de trouver une solution avec les médecins à notre problème le plus majeur, c’est-à-dire les biberons, car nos filles ne buvaient presque pas, après deux onces, elles rejetaient leurs biberons, alors on avait développé toutes sortes de trucs pour leur faire avaler plus de lait, soit les faire boire en marchant ou en faisant des flexions des jambes, ou les endormir pour les faire boire alors qu’elles étaient inconscientes de le faire, or, les trucs ont fini par ne plus fonctionner et tout ce que ça donnait, c’est que les trois bébés nous pétaient des crises car elles ne voulaient rien savoir de la tétine qu’on leur mettait de force dans la bouche, c’est un des pires sentiments que j’ai vécus, celui d’agir contre la volonté de mon bébé, et contre la mienne, simplement parce que les médecins nous disaient « c’est bon pour elles », mais ce n’était pas vrai, ce n’était bon pour personne, et à un certain point, F. et moi avons été assez lucides pour le comprendre, alors on s’est dit « ça suffit, à partir d’aujourd’hui, nos bébés, on les écoute, et fuck les médecins », on a commencé la bouffe solide alors qu’elles avaient 3 mois et demi d’âge corrigé, c’était tôt, mais c’était clair que c’était la meilleure chose à faire, que nos filles préféraient de loin la nourriture à ce maudit lait en poudre qui puait les médicaments, alors j’ai commencé à faire des purées, à cuisiner comme une défoncée pour que mes filles mangent ce qu’il y avait de meilleur, puis Noël est arrivé, puis j’ai appris que j’avais obtenu la bourse que j’avais demandée au Conseil des Arts et des Lettres du Québec et qu’il me faudrait donc écrire un roman de 300 pages au cours de l’année 2013, comme les filles allaient mieux, entre autres parce qu’une fois par mois, on les amenait au CLSC pour recevoir une dose de Synagis (des anticorps contre la bibitte causant le VRS, qui fait des ravages chez les prématurés), c’est moi qui me suis mise à aller mal, j’étais vidée, l’hiver était interminable, on sortait très peu, sauf pour les visites chez le pneumologue ou le pédiatre, je manquais de lumière, j’avais des vertiges, des palpitations, de l’arythmie, je me sentais tellement stressée que j’en ai même vomi à deux reprises, jamais ça ne m’était arrivé, j’ai fini par aller consulter au sans rendez-vous, j’ai explosé en sanglots dans le bureau du médecin, qui a été d’une grande gentillesse et qui a simplement conclu que j’étais épuisée, sans être dépressive ou quoi que ce soit d’autre, juste brûlée, elle m’a prescrit des Omega 3, des prises de sang et un ECG pour être certaine que mon arythmie ne cachait rien de grave, et elle m’a souhaité bon courage, j’ai passé les test nécessaires, alors que j’étais en plein déménagement, car F. et moi avions décidé qu’il était temps pour nous de quitter la maison de ma mère pour enfin avoir un espace à nous, une semaine après avoir fait l’ECG, mon médecin de famille m’a appelée pour me dire que les résultats révélaient quelque chose d’anormal, « soit que c’est congénital et que ce n’est pas grave, soit que ça nous indique que tu as fait un infarctus », une crise cardiaque sans le savoir, voilà ce qu’on venait de m’annoncer que j’avais peut-être eu, il n’en fallait pas plus pour faire grimper mon taux de stress à des niveaux inégalés, je passais mon temps à me demander « mais quand est-ce que j’aurais bien pu faire cette maudite crise cardiaque ? », je me sentais de plus en plus mal, mon problème s’était amplifié au lieu de s’améliorer, je me suis mise à faire de l’insomnie, trop inquiète et trop occupée à écouter les battements anormaux de mon cœur, au beau milieu d’une séance de non sommeil, découragée, j’ai fini par me rendre à l’urgence, il était 2 heures du matin, je n’en pouvais plus, je voulais comprendre ce que j’avais et je ne pouvais pas attendre de voir le cardiologue avec qui j’aurais un rendez-vous deux mois plus tard si j’étais chanceuse, on m’a admise à l’urgence car mon ECG était effectivement anormal, on m’a fait passer une panoplie de tests sanguins, une radiographie des poumons, une échographie cardiaque, on m’a gardée pendant 18 heures pour finalement me dire qu’on savait ce que j’avais mais qu’on ne comprenait pas pourquoi je l’avais, le cardiologue voulait me revoir en clinique pour un test à l’effort et il désirait me monitorer pendant une journée complète afin de mieux comprendre les agissements de mon pauvre petit cœur, il a fini par conclure que je souffrais du dysautonomie des systèmes sympathiques et parasympathiques, bref, le parasympathique qui intervient normalement le soir pour faire en sorte qu’on s’endorme et que notre pouls ralentisse, dans mon cas, il intervenait à tout moment dans la journée et me faisait sentir comme si j’étais sur le point de m’évanouir, ce genre de réactions, les médecins se l’expliquent mal, mais moi, je sais très bien pourquoi mon corps faisait ainsi, il me disait juste à sa manière « Mélissa, va te coucher, maintenant, TOUT DE SUITE, je t’en supplie », mais je ne l’écoutais pas, car je ne pouvais pas, je rêvais juste d’aller une semaine dans le Sud, de dormir au soleil, de faire le plein de vitamine D et de recharger mes batteries, mais c’était impossible, car j’avais trois petites filles de qui prendre soin, et un mari qui lui aussi commençait à manquer dangereusement d’énergie, qui ne serait bientôt plus capable de garder le fort comme il le faisait depuis déjà plusieurs mois, je voulais tellement aller mieux que j’en faisais de l’angoisse, et voilà, paraît-il que j’aurais même expérimenté des crises de panique, toujours sans le savoir, je n’avais pas le temps de m’en rendre compte, pas le temps de réaliser que je n’avais jamais été aussi près du fond du puits, parce que je devais faire la vaisselle, passer la mope pour la troisième fois de la journée, plier les 4 brassées de linges qui traînaient dans la chambre depuis trois jours, faire le dîner, donner la collation, faire le souper, écrire ce putain de livre de 300 pages, non mais quelle idée j’ai eue de demander une bourse pour écrire alors que j’avais des triplées d’à peine un an à la maison, mais en même temps, une chance, une chance que j’ai eu cette bourse, que j’ai écrit, car bien que ce fut un stress supplémentaire, ce fut également une échappatoire, une bouée de sauvetage, un projet auquel j’ai pu m’accrocher pour me sentir vivante, me sentir autre chose qu’une femme en décomposition, dépossédée d’elle-même, et l’été est arrivé, avec ses promesses de beau temps tenues à moitié, sa visite italienne qui débarquait à Lévis pour un mois et demi, ses sorties, ses vacances pas si reposantes que ça, et l’été tire presque à sa fin, et la vie continue, et je dis que je vais mieux, et c’est vrai, mais n’empêche, quand je regarde derrière moi, je me dis aussi que j’ai raison d’être essoufflée

que j’ai raison d’écrire sans mettre de points entre les phrases










jeudi 22 août 2013

Une douleur et des poussières

La dernière fois que j’ai laissé ma trace ici, c’était à la mi-novembre. Il y a 9 mois. L’équivalent d’une grossesse (normale, pas celle que j’ai connue, qui n’en a duré que 6.) Neuf mois de gestation. Qu’est-ce que j’ai « gestationné » pendant tout ce temps ? se demandera-t-on. Un nouveau moi-même. Ou, plutôt, le retour de l’ancien moi-même. Ça m’aura pris toutes ces semaines, tous ces mois, pour retrouver un peu de qui j’étais. Retrouver ma santé, aussi.

Ces mois furent parmi les plus difficiles de ma vie. Jamais je n’avais été aussi exténuée. Physiquement, psychologiquement et tous les « quement » qui existent. Fut un moment où je croyais que j’étais en train de devenir folle. On m’a dit plus tard que ce que j’avais expérimenté, c’étaient des crises de panique. Fatiguée comme je l’étais, je n’arrivais plus à gérer mon anxiété et celle-ci a fini par prendre le dessus sur moi. Ma bibitte intérieure était en train de me bouffer tout rond. Je n’avais plus l’énergie nécessaire pour la combattre. Jamais je ne m’étais sentie ainsi. Et je croyais que plus jamais je ne pourrais me sentir bien à nouveau. Heureusement, ce n’est pas ce qui est arrivé.

Les choses se sont placées, tranquillement. J’ai dû admettre que guérir prenait du temps, qu’on ne se remettait pas toujours de nos blessures aussi rapidement qu’on le souhaiterait. À partir du moment où j’ai accepté cela, déjà, mon état s’est mis à s’améliorer. Ce n’est pas évident, dans le monde dans lequel on vit, de prendre son temps. S’il y a une chose qu’on puisse difficilement se permettre dans notre société qui carbure à la performance et à l’instantanéité, c’est la lenteur.

Le repos, la méditation, la contemplation, la réflexion, l’attente, le calme, ce sont tous des luxes. Des luxes gratuits que, pourtant, seuls les gens bien nantis semblent être en mesure de se payer. Or, moi, c’est tout ce dont j’avais besoin. Aucune pilule, aucun remède miracle, aucune cure ne pouvait venir à bout de mon problème ; rien ne pouvait m’aider mis à part le lent passage des minutes qui s’étirent, le sommeil et quelques séances d’introspection. Si se payer ce genre de traitement relève de l’inaccessible pour la plupart des gens, parvenir à le faire lorsqu’on a trois enfants en bas âge représente un défi encore plus grand. Mais je l’ai fait. Je n’avais pas le choix. C’était ça ou je passais le reste de ma vie malade.

Maintenant que je vais mieux, je réussirai peut-être à trouver quelques minutes ici et là pour nourrir ce blogue. Il le faudra. J’en ai besoin. Besoin d’écrire, de partager, de communiquer, de sentir que je prends part au monde en mouvement, que je ne suis pas que spectatrice. C’était bien ce qu’il y avait de plus terrible dans ce qui m’est arrivé à l’hiver et au printemps : j’avais l’impression que je ne pouvais qu’assister, impuissante, à ma vie qui défilait. Que j’avais complètement perdu le contrôle de mon existence. D’accord qu’il faille apprendre à laisser aller, à « goer » with the flow, à faire confiance, pis toute, pis toute, mais il y a toujours bien des limites à se laisser porter par la vague sans jamais avoir la satisfaction de participer aux décisions qui régissent notre destin.

À partir d’aujourd’hui, mon destin (je ne suis pas certaine d’aimer ce mot, qui me semble référer à une ligne toute tracée d’avance – mais je n’en trouve pas d’autres), je le reprends en main. Et ça commence par cette entrée de blogue, tout en simplicité et en honnêteté. Le premier pas vers mon mieux-être aura été ceci : avouer publiquement et bien humblement que jusqu’à tout récemment, je n’allais pas bien. Vraiment pas bien. Quand on s’est croisés et que vous m’avez demandé « Salut, ça va ? » et que je vous ai répondu « Oui, oui, et toi ? », je vous ai menti. Parce que je me doutais bien que votre question n’était que rhétorique et que de la réponse, vous vous en foutiez bien. Et pour tout vous dire, moi aussi, je me foutais carrément de la vôtre. J’étais trop centrée sur mon petit malheur devenu grand.

La douleur a cela de terrible qu’elle se partage très mal. Ceux qui la subissent ont inéluctablement l’impression que personne n’est capable de comprendre ce qui les gruge. Alors on la vit chacun de son bord. C’est bien dommage, parce qu’en réalité, toutes les douleurs, bien qu’elles soient uniques, se ressemblent. Et le jour où on réalise cela, la proximité entre son drame et celui du voisin, on devient moins cynique, moins triste, moins toutes sortes de choses pas belles du tout, et on s’ouvre à ce qui nous entoure. Parce que malgré tout ce qui nous abat, tout ce qui rend l’humain si laid et si détestable, tout ce qui fait que notre planète tourne tout croche et que les journées nous semblent parfois interminables, de la beauté, il en reste toujours.


La beauté qui m’a sauvée, c’était celle cachée dans le sourire de mes trois filles et dans les accolades qu’elles me faisaient comme pour me dire « T’en fais pas maman, tout ira mieux bientôt. » Je les ai crues. Me suis dit qu’à un an et des poussières, contrairement à moi et à toutes les femmes et tous les hommes, elles n’avaient pas encore appris à mentir et que leur candeur ne pouvait qu’être porteuse de vérité.