vendredi 13 janvier 2012

Les cœurs déportés


Pour la plupart des femmes, le premier trimestre d’une grossesse est particulièrement épuisant. Tous les changements qui s’effectuent dans notre corps provoquent des sensations étranges, des réactions nouvelles, une fatigue inédite. Nous perdons l’appétit, nous avons des nausées, ce qui nous faisait envie auparavant nous dégoûte, tous les films à la télé, même les plus insipides, nous font brailler. Vivre tous ces bouleversements dans un autre pays que le sien en accentue les effets. Durant les trois derniers mois, je me suis sentie doublement exilée. De mon pays, puis, de mon propre corps. Je me sentais moi-même devenir un pays. Un continent à la dérive. Une petite île solitaire que plus personne ne pouvait comprendre.

Maintenant que je me sens mieux, que j’ai survécu aux grandes poussées d’hormones et à cette affreuse sensation de ne plus savoir qui j’étais ni à quel lieu j’appartenais, je m’en retourne chez moi. Mon exil se transforme en retour. Or, n’est-ce pas la même chose ? Revenir à la maison après plusieurs mois d’errance ne constitue-t-il pas une autre forme de déracinement ? Alors que mes pieds commençaient à s’habituer à la texture de cette terre éloignée, ils doivent la quitter, retourner marcher sur des sols déjà vus. La vie n’est qu’une succession de déportations, de départs, de séparations, de retrouvailles. Mais ce que l’on retrouve n’est jamais exactement ce que l’on avait connu dans le passé. Retrouver les siens, retrouver son quotidien, retrouver son existence voudrait plutôt dire les voir d’un œil changé. Jamais plus le même. Les trouver à nouveau, les découvrir pour une autre première fois.  

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