lundi 23 janvier 2012

Ce qui manquera, ce qui se fera vite oublier


Beaucoup plus rapidement que prévu, voilà que l’heure des bilans est arrivée. À quelques jours de notre retour au Québec prématuré, je ne peux m’empêcher de dresser quelques listes mentales et de m’amuser à répertorier ce qui va me manquer de l’Italie et ce dont, au contraire, je ne m’ennuierai pas du tout.

Les petites joies dont je serai nostalgique

·    La tradition. La famille de F. en est une charmante, constituée de très bonnes personnes, généreuses et accueillantes. Ils n’ont rien à voir avec les idées que nous nous faisons généralement de la famiglia italiana, qui réfèrent principalement aux familles du Sud, souvent beaucoup plus nombreuses et « exubérantes ». Ils sont plutôt de très bons représentants de la culture italienne du Nord, fiers porteurs de traditions qui malheureusement risquent de se perdre au cours des prochaines décennies, faute d’avoir des générations prêtes à prendre la relève.

Ce week-end, nous avons fait un repas familial avec les tantes, les cousins, les cousines, les grands-parents. Nous étions 24 autour de la table. Cela faisait des années qu’ils n’étaient pas parvenus à réunir autant de gens pour célébrer. Le zio (oncle) Remo a fait un exquis bouillon de capon que nous avons savouré avec les passatelli que la zia (tante) Giovanna avait préparés. Comme plat principal, nous avons dégusté le fameux canard à l’orange de cette dernière (une recette absolument pas italienne, mais qui demeure mythique dans la famille Malavasi). La veille, avec F. et Remo, nous étions allés chez Giovanna pour apprendre à cuisiner le canard à l’orange, afin que la tradition (non conventionnelle) de ce plat ne se perde pas avec les années. Je suis désormais mandatée pour faire vivre la tradition à l’extérieur des frontières. Nous avons même prévu organiser un repas de famille virtuel l’an prochain, en prévision duquel nous cuisinerons tous un canard, chacun de son côté de l’océan…

·     Les apéros. Quoi de mieux que de prendre un verre entre amis le vendredi soir, suivi d’une bonne pizza ou d’un gelato ? La formule des apéritifs italiens est décidément gagnante : dans la plupart des bars, avec toutes les consommations, on a droit à un petit buffet froid à volonté. Mortadelle, prosciutto (vous vous rappelez comment prononcer ce mot, n’est-ce pas ?!), parmesan arrosé de vinaigre balsamique traditionnel, mini panini, olives, croustilles, salsa, crudités, etc., le tout, complètement gratis. C’est un peu la version italienne des fameux tapas espagnols. Je prédis un grand avenir à quiconque osera ouvrir un bar proposant le même concept au Québec…
·      La campagne – avec ses vignes, ses vieilles maisons de pierres à moitié détruites, ses champs jaunes et verts. À plusieurs reprises, F. et moi sommes allés nous perdre en voiture ou en bicyclette dans la campagne de l’Émilie-Romagne, simplement pour nous imprégner du paysage, respirer les relents de parmesan et de Lambrusco. La beauté de la campagne italienne, c’est qu’elle est toujours proche ! Comme le territoire est plutôt restreint et la densité de la population très élevée, tout ici est plus rapproché. Les centres-villes côtoient les vignobles, les tracteurs partagent la route avec les voitures. Suffit souvent de marcher 10 ou 15 minutes pour se sentir au beau milieu de nulle part. Pourtant, la vie n’est jamais bien loin.

·      Le vin (bon et pas cher). Même si depuis novembre je ne bois pratiquement plus en raison de ma grossesse et que je trouve affreux d’être soumise quotidiennement à la tentation sans jamais pouvoir boire plus d’un demi verre ! N’empêche, les bonnes bouteilles de Sangiovese, de Chianti, de Montepulciano, de Traminer et de Franciacorta disponibles pour seulement deux, trois, cinq ou maximum dix euros, bon sens, ça va être difficile de s’en passer !

·      La possibilité de voyager partout en Europe pour presque rien. Finalement, en raison des récents événements, nous n’aurons pas pu profiter beaucoup de notre présence en Italie pour visiter d’autres pays européens et cela représente probablement ma seule vraie déception – pas un regret, juste un petit pincement au cœur, car de toute façon, une autre grande aventure m’attend.

Je rêve du jour où nos gouvernements comprendront la nécessité d’investir dans les moyens de transport autres que l’automobile afin de favoriser la mobilité des citoyens à l’intérieur de leur propre pays et leur connectivité avec le reste du monde. Notre réseau ferroviaire fait affreusement pitié, et c’est sans parler de notre système de transport aérien. Est-ce normal que cela coûte plus cher de faire Montréal-Vancouver que Montréal-Paris ? Non ! Le jour où le Canada sera connecté à lui-même grâce à un système de transport diversifié, écologiquement responsable et innovateur, peut-être que je serai fière de dire que j’appartiens à ce pays. En attendant, je vais continuer de dire que je suis Québécoise avant d’affirmer que je suis Canadienne. Et quand j’aurai ma citoyenneté italienne, dans moins de deux ans, probablement dirai-je que je suis Italienne avant de révéler que je viens du pays de Stephen Harper.


Les désagréments que je suis heureuse de laisser derrière moi

·      La tradition ! Autant je suis charmée par le désir des Italiens de préserver leurs traditions, de les garder bien vivantes, autant leur fermeture d’esprit par rapport aux traditions d’autrui peut m’agacer par moments. Comme je l’ai souvent répété, en Italie, il est impossible de manger autre chose que de l’italien traditionnel dans les restaurants. Il existe bien quelques restaurants chinois, japonais et brésiliens, entre autres, mais ils ne proposent que de pâles imitations de la cuisine traditionnelle de ces cultures, généralement revisitées de manière à plaire au palais capricieux des Italiens. On devrait donc plutôt parler de restos italiens d’influence chinoise, japonaise et brésilienne. Les Italiens ne semblent pas encore prêts à ouvrir leurs horizons, à tenter la nouveauté, à laisser l’inconnu les surprendre, et en tant que personne qui a vécu plus de huit ans à Montréal, une des villes au monde où l’intégration des autres cultures est la plus réussie, je ne peux que me désoler de ce manque de curiosité.

·      Le mémérage. Les Italiens sont de vraies commères ! La plupart de leurs conversations tiennent en fait davantage du potinage. Savais-tu qu’un tel, le cousin du voisin de ma sœur, tu sais, le fils de celui qui a eu la boucherie sur telle rue, pendant des années, oui, c’est ça, lui, le frère de l’ancien collègue de ta meilleure amie, eh bien, savais-tu qu’il a eu une grippe la semaine passée ?! J’exagère, mais à peine. Les Italiens sont friands de détails croustillants au sujet de TOUT LE MONDE. La mentalité de village est la norme. Je veux bien croire que j’habite dans une petite ville, mais tout de même, 70 000 habitants, ça commence à faire du monde et il me semble qu’on pourrait se trouver d’autres passe-temps que celui de commenter les vêtements, les ruptures, les maladies, les pertes d’emploi, les accidents, les rénovations de toutes les maudites personnes qui vivent dans notre communauté. Chez nous aussi cette mentalité existe évidemment, or, honnêtement, je ne l’ai jamais perçue de manière aussi vive. Moi aussi j’aime potiner, savoir ce qui est arrivé à certaines personnes dont j’ai perdu la trace, mais je ne passe pas mes soirées à enquêter sur les faits et gestes de tous les gens à qui j’ai un jour été liée de près ou de loin. Mes amis non plus ne font pas cela. Ni ma famille. De quoi on parle, je ne sais pas, sauf qu’il me semble que nos sujets sont un peu plus variés et… pertinents.

·      Le brouillard. Le brouillard est typique de l’Émilie-Romagne, la région où j’ai habité au cours des derniers mois. L’Italie est en majeure partie constituée de montagnes et l’Émilie-Romagne est une des rares plaines du pays. Son terrain plat est cependant ceinturé par les chaînes de montagnes de la Toscane, au Sud, et son climat est grandement influencé par la présence des Alpes, au Nord, dans le Piémont, en Lombardie et dans le Trentin–Haut-Adige. Tous ces colosses montagneux empêchent l’humidité de circuler, laquelle s’accumule donc au-dessus des villes et des champs émiliens. Cette année en fut une particulièrement chargée en brouillard, en raison de l’été qui fut exceptionnellement chaud. Vers la fin octobre, la chaleur accumulée dans le sol s’est mise à s’évaporer et à créer ces épais bancs de brouillard, qui refusaient de s’évanouir parfois pendant des semaines entières. Depuis, nous avons eu droit à quelques belles journées d’ensoleillement, cependant, dès que la température se réchauffe un peu et qu’une chaleur nouvelle s’accumule dans le sol, le soir venu, c’est le retour des nuages de brume. Impossible de voir à 20 mètres. Je préfère officiellement les tempêtes de neige.

·      La crise. J’étais au courant en m’en venant ici que je déménageais dans un pays qui ne se portait pas très bien économiquement parlant et dont l’ambiance générale n’était pas vraiment à la fête, or, je ne pensais sincèrement pas que cela se ressentirait autant. Sur les visages, dans les conversations (celles qui portent sur autre chose que la nouvelle paire de bobette du petit frère de la professeure de français du fils de la voisine), dans l’air, partout, traîne cette inquiétude. Les Italiens ont peur. Pour eux, l’avenir n’est plus une possibilité d’épanouissement mais bien un grand trou noir où ils risquent tous de s’enfoncer. Les jeunes n’ont pas d’emploi, ou quand ils en ont un, il est sous-payé, les vieux pas encore assez vieux pour être à la retraite ont peur de ne jamais pouvoir arrêter de travailler, le prix des loyers monte, ainsi que celui de tous les produits de base et, pendant ce temps, tout ce qu’on trouve à faire pour régler les problèmes de la population, c’est de chasser Berlusconi pour le remplacer par un président encore plus drastique que lui. Le Canada n’est pas à l’abris d’une récession, sa situation économique et politique est plutôt précaire depuis quelques années, toutefois, de l’espoir, il en subsiste. Et c’est ce que j’ai envie de donner à mes enfants : un pays où il est encore permis de rêver un minimum. En espérant que la contrée d’où vient leur père et où vit une grande partie de leur famille finira par remonter la pente. 

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