jeudi 17 novembre 2011

La méthode italienne - une longue et lente agonie


Hier, un peu plus de deux mois après m’être inscrite à mes cours de conduite, je suis finalement allée passer mon examen théorique. J’aurais bien aimé y aller avant, mais l’administration italienne ne voulait pas. Autant elle a été très rapide et efficace quand il a fallu me délivrer un permis de séjour, une carte d’assurance maladie et une carte d’identité, autant elle a pris son temps en maudit pour me permettre de passer ce foutu examen.

Jamais je n’ai vu autant de « tempi tecnici » (délais) inutiles pour une chose aussi simple. Premièrement, j’ai dû me taper six semaines de cours théoriques. Et quand je dis six semaines, c’est six semaines, soit une heure de cours tous les jours, du lundi au vendredi. En fait, c’est seulement six heures de cours obligatoires de plus qu’au Québec, seulement, ces cours sont concentrés au tout début, au lieu d’être étendus sur plusieurs mois. Je dois aussi avouer qu’un des avantages majeurs de prendre mon permis ici, c’est que je n’aurai pas besoin d’attendre dix mois avant de faire mon examen pratique et d’obtenir mon permis : dès que je me sentirai prête, je pourrai le faire. Bref, je chiale, je chiale, mais reste que ce n’est pas nécessairement mieux chez nous. Tout de même, laissez-moi le plaisir de me plaindre encore un peu…

Après m’être tapé les fameuses six semaines de cours, je croyais être bonne pour pouvoir aller passer l’examen théorique directement ; je me mettais la main dans l’œil. J’ai dû passer non pas une, mais bien deux visites médicales. Auparavant, une seule était nécessaire, mais depuis janvier 2011, les règles appliquées pour l’obtention d’un permis de conduire et concernant la conduite des nouveaux conducteurs ont été énormément resserrées. Ils ont entre autres cru bon d’obliger les gens à aller visiter leur médecin de famille afin de lui faire signer une feuille attestant qu’ils n’ont ni problèmes cardiaques, ni problèmes d’épilepsie, ni je ne sais plus quoi. J’ai la chance d’avoir un médecin de famille ici, mais c’était tout de même un peu ridicule de la payer 35 euros pour qu’elle signe cette feuille, car quand je suis rentrée dans son bureau, c’était la première fois qu’elle me voyait de sa vie, alors qu’en savait-elle, elle, si je faisais de l’épilepsie, des crises de nerfs, de l’acné pubien ou des crises cardiaques à répétition?! Elle a empoché mon 35 euros sans chigner et m’a cru sur parole quand je lui ai dit que j’étais en pleine forme.

Le deuxième examen, c’était encore plus ridicule. Auparavant, il n’y avait que celui-ci qui existait. Il s’agit en fait d’aller voir le dottore trentaquattro (le « docteur trente-quatre », qui doit son nom au fait qu’il en coûte 34 euros pour le voir) qui doit confirmer si oui ou non nous avons besoin de lunettes ou de lentilles de contact pour conduire. Auparavant, il évaluait aussi la santé globale du patient en lui posant deux-trois questions débiles, mais puisque maintenant c’est le médecin de famille qui se charge de cette partie, lui, tout ce qu’il a eu à faire, c’est me demander quelle était la force de mes verres (observateur qu’il était, il a remarqué que j’en portais) pour ensuite me faire lire des lettres sur un carton blanc et confirmer que je voyais un minimum de ce qui se passait autour de moi avec mes lunettes. La visite a duré une minute. Suivant ! Sérieux, je veux la job de ce mec : aller m’asseoir tous les vendredis soirs pendant deux heures dans un petit bureau et voir une trentaine de patients pour leur signer une feuille sur laquelle j’inscris les informations qu’eux-mêmes me donnent. Même pas besoin de vérifier quoi que ce soit, juste d’encaisser les 34 euros par personne et de m’en aller me payer une belle soirée au bar après. Trente personnes fois 34 euros, ça fait 1000 euros en deux heures ça… Après ça les Italiens se demandent pourquoi l’économie de leur pays est en crise.

Après avoir payé un total de 70 euros pour me faire dire que j’avais l’air en santé, je croyais en être quitte pour enfin aller faire l’examen : autre bras dans l’œil. Je me suis rendue à l’école de conduite, où l’on m’a dit qu’il devait d’abord faire venir mon foglio rosa (« la feuille rose », soit le petit nom d’amour donné au permis de conduire ici) et que cela allait prendre une semaine. Après ce nouveau tempo tecnico, je n’avais qu’à me présenter de nouveau à l’école pour prendre mon rendez-vous pour l’examen – pas pour le faire, quand même, vous exagérez là, ça aurait été trop facile.

J’ai été patiente et, sept jours plus tard, je me suis présentée comme convenu à l’école. Joie ! mon foglio rosa était bel et bien arrivé, mon dossier n’avait rencontré aucun problème (j’aurais tué quelqu’un si ça avait été le cas) ; je pouvais donc prendre mon rendez-vous. La dame m’a demandé quand je voulais faire mon examen, me spécifiant que ça n’allait pas avant la semaine du 14 au 19 novembre (on était quelque chose comme le 3 novembre). Bon, ben pas trop le choix alors, prenons cette semaine, si c’est ce que vous avez de plus rapide, criss (des fois, je l’avoue, je sacre en français, personne ne comprend, on continue de me regarder avec le sourire sans savoir que je viens de dire un gros mot et moi, ça me défoule). La dame derrière le comptoir m’a spécifié qu’elle ne connaissait pas encore la date exacte de l’examen et que je devrais passer (ennnnccccccoooorrrrreeeeeee) à l’école le jeudi suivant pour voir quel jour précisément le test avait lieu. Une longue et lente agonie, voilà ce que c’est, vouloir prendre son permis de conduire en Italie.

L’examen auquel j’étais inscrite avait lieu mercredi le 16 novembre. Hier. Je ne pouvais pas le croire. Mardi, j’ai révisé un peu, histoire de ne pas me planter le lendemain et de ne pas avoir à repasser au travers d’une partie de cet interminable processus et, pis encore, de payer de multiples fois les 80 euros exigés pour faire l’examen.

Hier, je me suis présentée à 7h45 à l’école de conduite. Les dix élèves (pour la plupart des prépubères, évidemment, j’avais l’air d’une matante à côté d’eux) inscrits à l’examen devaient se retrouver à cet endroit afin qu’on nous emmène à Modena, qui est à environ 25 minutes de Carpi, où est situé le siège de la Motorizzazione civile (l’équivalent de notre SAAQ) et où se déroulent les examens de tous les habitants de la province de Modena.

Nous sommes évidemment partis un peu en retard et il y avait évidemment du trafic sur la route, donc nous sommes arrivés vers 8h50 à Modena. Cela ne changeait pas grand-chose puisque la salle d’examens était déjà occupée par un autre groupe de jeunes. Nous avons donc attendu que ceux-ci terminent leur examen (30 minutes maximum sont allouées pour le compléter), qu’ils reçoivent leurs résultats, qu’ils libèrent l’espace et qu’on appelle les membres de notre groupe un par un. Je crois qu’on a finalement débuté l’examen vers 10h.

Avant de commencer, l’esaminatore, une dame affreusement bête, sèche et amère (une fonctionnaire, quoi) nous a expliqué la procédure et les règlements – surprise, nous n’avions ni le droit de parler entre nous ni celui de regarder dans nos livres. Elle nous a demandé de nous rendre à une certaine page sur l’ordinateur et elle voyait sur son écran que l’un d’entre nous n’y était pas encore. Elle a demandé « Qui ne voit pas cette page sur son écran ? » Silence dans la salle. Elle a répété sa question trois fois, toujours en levant un peu plus le ton, pour finir par gueuler « C’est quoi, va falloir que je fasse le tour des ordis pour voir qui n’est pas sur la bonne page ? » Un gars a finalement compris que c’était lui qui était dans l’erreur. Avec tendresse et compréhension, elle lui a lancé un « Coup donc, tu comprends-tu l’italien, toé ?! » Malaise. Elle a amené le jeune sur la bonne page puis a continué ses longues et inutiles explications. À un certain moment, une jeune fille au fond de la classe a poussé un soupir, qui me semblait être un soupir de stress beaucoup plus qu’un soupir d’ennui, mais l’hystérique l’a pris personnel et s’est mise à l’engueuler « Je vous rappelle, les jeunes, que vous êtes ici par votre propre volonté. Si vous êtes pas contents, allez-vous en, y’a personne qui vous force. » Euh, oui madame, en fait, y’a le gouvernement qui nous force, on n’a pas vraiment le choix de le faire cet examen de marde, alors pouvez-vous vous calmer le pompon et nous laisser le faire en paix?!

Pendant que l’autre folle s’énarvait le poil des d’sous d’bras, sur mon écran, la page de l’examen est apparue par elle-même. Je voyais le compteur descendre tranquillement. 29 :59, 29 :58, 29 :57… Et l’autre qui ne cessait de jacasser et de nous envoyer chier. Avoir été plus sûre de moi en italien, je lui aurais probablement dit que l’examen avait commencé et que j’aurais apprécié qu’elle me laisse l’effectuer dans le silence, mais c’est probablement une bonne chose que j’aie manqué de confiance en moi à ce moment, car je me serais sûrement fait expulser de la salle.

J’ai fini par faire mon examen. En italien. J’aurais pu demander à le faire en français, car dans certaines régions du Nord de l’Italie le français est une langue officielle, tout comme l’allemand, donc il est possible de faire l’examen dans une de ces deux langues, mais je considérais que cela aurait été encore plus difficile, puisque j’avais tout étudié en italien et que je ne connaissais pas nécessairement les termes techniques dans ma propre langue. Je n’ai pas eu droit aux questions les plus difficiles, heureusement. J’ai quitté la salle après une quinzaine de minutes.

Ici, ce n’est pas comme au Québec, on ne sait pas au fur et à mesure si on a bien répondu ou non et le résultat ne nous apparaît pas à l’écran tout de suite après avoir fini. Une longue et lente agonie, je vous dis. Nous avons dû attendre que tout le monde termine son test et sorte de la classe. À ce moment seulement, la fonctionnaire qui ne se fait pas baiser assez souvent par son mari moustachu a pu imprimer les résultats. Elle nous a alors rappelés dans la salle et elle a dit le nom de tous les élèves à voix haute, en précisant qui avait réussi ou non. De quoi faire honte à ceux qui étaient venus faire le test entre amis… Mon nom imprononçable était à la fin, évidemment – Véréhaoult, qui disent, les Italiens. Heureusement, il était suivi de la mention réussite. La majorité l’ont passé, sauf deux ou trois garçons je crois – les vilains, ils n’avaient pas suffisamment étudié.

Une bonne affaire de faite. Maintenant, ne nous restait plus qu’à retourner à Carpi célébrer notre victoire. Or, le responsable de l’école de conduite qui nous avait amenés à Modena était introuvable. Nous ne savions pas ce que nous étions censés faire, quelle était la suite des choses, si nous attendions après notre permis, nos résultats plus précis d’examen ou le messie. Nous avons attendu le mec pendant environ 15 minutes, ce après quoi une petite gang a décidé d’aller au bar situé une centaine de mètres plus loin pour faire la colazione. Quelle bonne idée les amis. Évidemment, le mec est réapparu 5 minutes après qu’ils soient partis. On lui a dit que les autres étaient au bar, il a répondu « Pas de trouble, on part dans 10-15 minutes de toutes façons ». Lui aussi semble être allé se chercher un café. Entre temps, la gang d’ados est revenue. Le mec a mis plusieurs longues minutes avant de se repointer lui aussi. Et on a finalement pu partir. Il était presque onze heures. Je n’ai toujours pas compris après quoi nous avions attendu pendant tout ce temps.

Rendus à l’école de conduite de Carpi, le mec nous a faits descendre et souhaité bonne journée. Ok, mais… c’est quoi la suite, chef ?! Personne ne nous disait rien. Je ne savais pas combien de questions j’avais échouées exactement ni  lesquelles et j’ignorais quand j’aurais enfin mon permis dans ma poche. Je suis allée voir la petite secrétaire (elle et moi, on commence à être pas mal amies, on se voit toutes les semaines, ‘stie). « Alors, c’est quoi la prochaine étape ? », que je lui ai demandé. « Eh bien, il faut faire imprimer ton permis de conduire. Il devrait être prêt dans environ une semaine. Je vais t’appeler quand ça sera le cas. Après, tu pourras commencer à conduire, soit à la maison, soit avec un instructeur. » Encore une semaine d’attente. Pour faire imprimer une putain de feuille. Ça doit être de l’encre vraiment spéciale. Je croyais qu’ils l’avaient fait venir il y a deux semaines, mon foglio rosa ! Ça devait juste être un « Spécimen ». F. dit que c’est parce qu’ils doivent faire venir la chose de Modena. Oui, mais moi, j’y étais 30 minutes plus tôt, à Modena, à poireauter comme une belle dinde tandis qu’il ne se passait rien du tout, j’aurais pu le faire imprimer mon calvâsse de permis de conduire et on aurait été quittes, batinse. Non, ça aurait été trop rapide. Trop simple. Ici, ça doit prendre 4 heures faire un examen qui dure en fait 15 minutes. Et dire que lorsque je pourrai finalement conduire, pendant les trois premières années, je ne pourrai pas dépasser les 100 km/h sur l’autoroute, alors que la limite est de 130 km/h pour les autres – une autre des règles qui a été resserrée en janvier 2011. Une longue et lente agonie.

En Italie, les choses doivent être compliquées, sinon, elles ne sont pas italiennes. 


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