Hier, un peu plus de deux mois
après m’être inscrite à mes cours de conduite, je suis finalement allée passer
mon examen théorique. J’aurais bien aimé y aller avant, mais l’administration
italienne ne voulait pas. Autant elle a été très rapide et efficace quand il a
fallu me délivrer un permis de séjour, une carte d’assurance maladie et une
carte d’identité, autant elle a pris son temps en maudit pour me permettre de
passer ce foutu examen.
Jamais je n’ai vu autant de
« tempi tecnici » (délais)
inutiles pour une chose aussi simple. Premièrement, j’ai dû me taper six
semaines de cours théoriques. Et quand je dis six semaines, c’est six semaines,
soit une heure de cours tous les jours, du lundi au vendredi. En fait, c’est
seulement six heures de cours obligatoires de plus qu’au Québec, seulement, ces
cours sont concentrés au tout début, au lieu d’être étendus sur plusieurs mois.
Je dois aussi avouer qu’un des avantages majeurs de prendre mon permis ici,
c’est que je n’aurai pas besoin d’attendre dix mois avant de faire mon examen
pratique et d’obtenir mon permis : dès que je me sentirai prête, je
pourrai le faire. Bref, je chiale, je chiale, mais reste que ce n’est pas
nécessairement mieux chez nous. Tout de même, laissez-moi le plaisir de me
plaindre encore un peu…
Après m’être tapé les fameuses
six semaines de cours, je croyais être bonne pour pouvoir aller passer l’examen
théorique directement ; je me mettais la main dans l’œil. J’ai dû passer
non pas une, mais bien deux visites médicales. Auparavant, une seule était
nécessaire, mais depuis janvier 2011, les règles appliquées pour l’obtention
d’un permis de conduire et concernant la conduite des nouveaux conducteurs ont
été énormément resserrées. Ils ont entre autres cru bon d’obliger les gens à
aller visiter leur médecin de famille afin de lui faire signer une feuille
attestant qu’ils n’ont ni problèmes cardiaques, ni problèmes d’épilepsie, ni je
ne sais plus quoi. J’ai la chance d’avoir un médecin de famille ici, mais
c’était tout de même un peu ridicule de la payer 35 euros pour qu’elle signe
cette feuille, car quand je suis rentrée dans son bureau, c’était la première
fois qu’elle me voyait de sa vie, alors qu’en savait-elle, elle, si je faisais
de l’épilepsie, des crises de nerfs, de l’acné pubien ou des crises cardiaques
à répétition?! Elle a empoché mon 35 euros sans chigner et m’a cru sur parole
quand je lui ai dit que j’étais en pleine forme.
Le deuxième examen, c’était
encore plus ridicule. Auparavant, il n’y avait que celui-ci qui existait. Il
s’agit en fait d’aller voir le dottore
trentaquattro (le « docteur trente-quatre », qui doit son nom au
fait qu’il en coûte 34 euros pour le voir) qui doit confirmer si oui ou non
nous avons besoin de lunettes ou de lentilles de contact pour conduire.
Auparavant, il évaluait aussi la santé globale du patient en lui posant
deux-trois questions débiles, mais puisque maintenant c’est le médecin de
famille qui se charge de cette partie, lui, tout ce qu’il a eu à faire, c’est
me demander quelle était la force de mes verres (observateur qu’il était, il a
remarqué que j’en portais) pour ensuite me faire lire des lettres sur un carton
blanc et confirmer que je voyais un minimum de ce qui se passait autour de moi
avec mes lunettes. La visite a duré une minute. Suivant ! Sérieux, je veux la job de ce mec : aller m’asseoir
tous les vendredis soirs pendant deux heures dans un petit bureau et voir une
trentaine de patients pour leur signer une feuille sur laquelle j’inscris les
informations qu’eux-mêmes me donnent. Même pas besoin de vérifier quoi que ce
soit, juste d’encaisser les 34 euros par personne et de m’en aller me payer une
belle soirée au bar après. Trente personnes fois 34 euros, ça fait 1000 euros
en deux heures ça… Après ça les Italiens se demandent pourquoi l’économie de
leur pays est en crise.
Après avoir payé un total de 70
euros pour me faire dire que j’avais l’air en santé, je croyais en être quitte
pour enfin aller faire l’examen : autre bras dans l’œil. Je me suis rendue
à l’école de conduite, où l’on m’a dit qu’il devait d’abord faire venir mon foglio rosa (« la feuille
rose », soit le petit nom d’amour donné au permis de conduire ici) et que
cela allait prendre une semaine. Après ce nouveau tempo tecnico, je n’avais qu’à me présenter de nouveau à l’école
pour prendre mon rendez-vous pour l’examen – pas pour le faire, quand même,
vous exagérez là, ça aurait été trop facile.
J’ai été patiente et, sept jours
plus tard, je me suis présentée comme convenu à l’école. Joie ! mon foglio rosa était bel et bien arrivé,
mon dossier n’avait rencontré aucun problème (j’aurais tué quelqu’un si ça
avait été le cas) ; je pouvais donc prendre mon rendez-vous. La dame m’a demandé
quand je voulais faire mon examen, me spécifiant que ça n’allait pas avant la
semaine du 14 au 19 novembre (on était quelque chose comme le 3 novembre). Bon,
ben pas trop le choix alors, prenons cette semaine, si c’est ce que vous avez
de plus rapide, criss (des fois, je
l’avoue, je sacre en français, personne ne comprend, on continue de me regarder
avec le sourire sans savoir que je viens de dire un gros mot et moi, ça me
défoule). La dame derrière le comptoir m’a spécifié qu’elle ne connaissait pas
encore la date exacte de l’examen et que je devrais passer
(ennnnccccccoooorrrrreeeeeee) à l’école le jeudi suivant pour voir quel jour précisément
le test avait lieu. Une longue et lente agonie, voilà ce que c’est, vouloir
prendre son permis de conduire en Italie.
L’examen auquel j’étais inscrite
avait lieu mercredi le 16 novembre. Hier. Je ne pouvais pas le croire. Mardi,
j’ai révisé un peu, histoire de ne pas me planter le lendemain et de ne pas
avoir à repasser au travers d’une partie de cet interminable processus et, pis
encore, de payer de multiples fois les 80 euros exigés pour faire l’examen.
Hier, je me suis présentée à 7h45
à l’école de conduite. Les dix élèves (pour la plupart des prépubères,
évidemment, j’avais l’air d’une matante à côté d’eux) inscrits à l’examen
devaient se retrouver à cet endroit afin qu’on nous emmène à Modena, qui est à
environ 25 minutes de Carpi, où est situé le siège de la Motorizzazione civile (l’équivalent de notre SAAQ) et où se
déroulent les examens de tous les habitants de la province de Modena.
Nous sommes évidemment partis un
peu en retard et il y avait évidemment du trafic sur la route, donc nous sommes
arrivés vers 8h50 à Modena. Cela ne changeait pas grand-chose puisque la salle
d’examens était déjà occupée par un autre groupe de jeunes. Nous avons donc
attendu que ceux-ci terminent leur examen (30 minutes maximum sont allouées
pour le compléter), qu’ils reçoivent leurs résultats, qu’ils libèrent l’espace
et qu’on appelle les membres de notre groupe un par un. Je crois qu’on a
finalement débuté l’examen vers 10h.
Avant de commencer, l’esaminatore, une dame affreusement bête,
sèche et amère (une fonctionnaire, quoi) nous a expliqué la procédure et les
règlements – surprise, nous n’avions ni le droit de parler entre nous ni celui
de regarder dans nos livres. Elle nous a demandé de nous rendre à une certaine
page sur l’ordinateur et elle voyait sur son écran que l’un d’entre nous n’y
était pas encore. Elle a demandé « Qui ne voit pas cette page sur son
écran ? » Silence dans la salle. Elle a répété sa question trois
fois, toujours en levant un peu plus le ton, pour finir par gueuler
« C’est quoi, va falloir que je fasse le tour des ordis pour voir qui
n’est pas sur la bonne page ? » Un gars a finalement compris que
c’était lui qui était dans l’erreur. Avec tendresse et compréhension, elle lui
a lancé un « Coup donc, tu comprends-tu l’italien, toé ?! »
Malaise. Elle a amené le jeune sur la bonne page puis a continué ses longues et
inutiles explications. À un certain moment, une jeune fille au fond de la
classe a poussé un soupir, qui me semblait être un soupir de stress beaucoup
plus qu’un soupir d’ennui, mais l’hystérique l’a pris personnel et s’est mise à
l’engueuler « Je vous rappelle, les jeunes, que vous êtes ici par votre
propre volonté. Si vous êtes pas contents, allez-vous en, y’a personne qui vous
force. » Euh, oui madame, en fait, y’a le gouvernement qui nous force, on n’a
pas vraiment le choix de le faire cet examen de marde, alors pouvez-vous vous
calmer le pompon et nous laisser le faire en paix?!
Pendant que l’autre folle
s’énarvait le poil des d’sous d’bras, sur mon écran, la page de l’examen est
apparue par elle-même. Je voyais le compteur descendre tranquillement.
29 :59, 29 :58, 29 :57… Et l’autre qui ne cessait de jacasser et
de nous envoyer chier. Avoir été plus sûre de moi en italien, je lui aurais probablement
dit que l’examen avait commencé et que j’aurais apprécié qu’elle me laisse
l’effectuer dans le silence, mais c’est probablement une bonne chose que j’aie
manqué de confiance en moi à ce moment, car je me serais sûrement fait expulser
de la salle.
J’ai fini par faire mon examen. En
italien. J’aurais pu demander à le faire en français, car dans certaines
régions du Nord de l’Italie le français est une langue officielle, tout comme
l’allemand, donc il est possible de faire l’examen dans une de ces deux
langues, mais je considérais que cela aurait été encore plus difficile, puisque
j’avais tout étudié en italien et que je ne connaissais pas nécessairement les
termes techniques dans ma propre langue. Je n’ai pas eu droit aux questions les
plus difficiles, heureusement. J’ai quitté la salle après une quinzaine de
minutes.
Ici, ce n’est pas comme au
Québec, on ne sait pas au fur et à mesure si on a bien répondu ou non et le
résultat ne nous apparaît pas à l’écran tout de suite après avoir fini. Une longue
et lente agonie, je vous dis. Nous avons dû attendre que tout le monde termine
son test et sorte de la classe. À ce moment seulement, la fonctionnaire qui ne
se fait pas baiser assez souvent par son mari moustachu a pu imprimer les
résultats. Elle nous a alors rappelés dans la salle et elle a dit le nom de
tous les élèves à voix haute, en précisant qui avait réussi ou non. De quoi
faire honte à ceux qui étaient venus faire le test entre amis… Mon nom
imprononçable était à la fin, évidemment – Véréhaoult,
qui disent, les Italiens. Heureusement, il était suivi de la mention
réussite. La majorité l’ont passé, sauf deux ou trois garçons je crois – les
vilains, ils n’avaient pas suffisamment étudié.
Une bonne affaire de faite.
Maintenant, ne nous restait plus qu’à retourner à Carpi célébrer notre
victoire. Or, le responsable de l’école de conduite qui nous avait amenés à
Modena était introuvable. Nous ne savions pas ce que nous étions censés faire,
quelle était la suite des choses, si nous attendions après notre permis, nos
résultats plus précis d’examen ou le messie. Nous avons attendu le mec pendant
environ 15 minutes, ce après quoi une petite gang a décidé d’aller au bar situé
une centaine de mètres plus loin pour faire la
colazione. Quelle bonne idée les amis. Évidemment, le mec est réapparu 5
minutes après qu’ils soient partis. On lui a dit que les autres étaient au bar,
il a répondu « Pas de trouble, on part dans 10-15 minutes de toutes
façons ». Lui aussi semble être allé se chercher un café. Entre temps, la
gang d’ados est revenue. Le mec a mis plusieurs longues minutes avant de se
repointer lui aussi. Et on a finalement pu partir. Il était presque onze
heures. Je n’ai toujours pas compris après quoi nous avions attendu pendant
tout ce temps.
Rendus à l’école de conduite de
Carpi, le mec nous a faits descendre et souhaité bonne journée. Ok, mais… c’est
quoi la suite, chef ?! Personne ne nous disait rien. Je ne savais pas
combien de questions j’avais échouées exactement ni lesquelles et j’ignorais quand j’aurais enfin mon permis
dans ma poche. Je suis allée voir la petite secrétaire (elle et moi, on
commence à être pas mal amies, on se voit toutes les semaines, ‘stie). « Alors, c’est quoi la prochaine
étape ? », que je lui ai demandé. « Eh bien, il faut faire
imprimer ton permis de conduire. Il devrait être prêt dans environ une semaine.
Je vais t’appeler quand ça sera le cas. Après, tu pourras commencer à conduire,
soit à la maison, soit avec un instructeur. » Encore une semaine
d’attente. Pour faire imprimer une putain de feuille. Ça doit être de l’encre
vraiment spéciale. Je croyais qu’ils l’avaient fait venir il y a deux semaines,
mon foglio rosa ! Ça devait
juste être un « Spécimen ». F. dit que c’est parce qu’ils doivent
faire venir la chose de Modena. Oui, mais moi, j’y étais 30 minutes plus tôt, à
Modena, à poireauter comme une belle dinde tandis qu’il ne se passait rien du
tout, j’aurais pu le faire imprimer mon calvâsse de permis de conduire et on
aurait été quittes, batinse. Non, ça aurait été trop rapide. Trop simple. Ici,
ça doit prendre 4 heures faire un examen qui dure en fait 15 minutes. Et dire
que lorsque je pourrai finalement conduire, pendant les trois premières années,
je ne pourrai pas dépasser les 100 km/h sur l’autoroute, alors que la limite
est de 130 km/h pour les autres – une autre des règles qui a été resserrée en
janvier 2011. Une longue et lente agonie.
En Italie, les choses doivent
être compliquées, sinon, elles ne sont pas italiennes.
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