J’adore la Toscane. Ça tombe
bien, c’est la région située juste en dessous de mon Émilie-Romagne adoptive.
Suffit de traverser quelques montagnes et on arrive à Florence. C’est là que je
me suis retrouvée jeudi dernier, un peu à l’improviste. Je m’y suis rendue afin
de rencontrer une de mes amies qui faisait un passage éclair en Italie. Je ne
devais la rejoindre qu’en fin d’après-midi, alors j’en ai profité pour
déambuler seule, au hasard, dans cette magnifique ville que je n’avais pas
revue depuis mon séjour en 2002. À vrai dire, c’était la première fois que je
remettais les pieds dans une ville italienne que j’avais déjà visitée lors de
mon premier séjour italien, puisque jusqu’ici j’avais toujours préféré des
destinations toutes nouvelles. Que d’émotions cela a-t-il provoqué en moi, de
me retrouver en quelque sorte catapultée dans le passé.
J’avais un souvenir très flou de
la belle Florence, or, quand je suis débarquée du train, tout m’est revenu. La cattedrale
Santa Maria del Fiore, immense à en donner des frissons, la réplique du
David sur la piazza
della Signora où, à l’époque, J. et moi nous étions amusées à jouer
avec la perspective et le zizi du grand adonis blanc ; le baroque ponte vecchio,
où sont amalgamées des dizaines de petites cabanes colorées, aujourd’hui
occupées par des marchands de bijoux n’en ayant que pour l’argent des
touristes ; la vue splendide qu’offrent les environs de San Miniato al Monte. Je ne suis rentrée
dans aucun musée, me suis contentée de m’imbiber de l’ambiance de ce joyau de
la renaissance qu’est Firenze. De
plus en plus, je préfère voyager ainsi : marcher, seulement marcher, au
cœur de cités inconnues dont les murs, les ruelles, les marchés et les passants
ont tant à nous dire.
Au terme de ma promenade, j’ai
rejoint ma copine ainsi que quelques autres Québécois qui l’accompagnaient à la
piazzale Michelangelo. Deux d’entre
eux ont décidé de nous suivre pour aller prendre un verre dans le sympathique
quartier San Frediano. Nous nous
sommes retrouvés au Volume, un endroit
très accueillant, un peu hipster, mais somme toute agréable. Comme j’étais
l’italienne de service, c’est moi qui aie commandé nos verres, pour finalement
me rendre compte que le serveur était Français ; il allait donc falloir
surveiller ce qu’on disait ! Il était si bon d’être entourée de gens qui
parlaient ma langue, de pouvoir dire tout ce qui me traversait l’esprit sans
avoir à réfléchir pendant cinq minutes à la manière dont je devais formuler ma
phrase, de faire des blagues, d’être moi-même, quoi. Je ne m’en rends plus trop
compte au quotidien, mais cela me pèse parfois de vivre dans la langue de
quelqu’un d’autre. Mon italien s’améliore constamment, il devient toujours de
plus en plus facile de communiquer, mais ce n’est jamais comme communiquer en
français. Bref, après trois mois de vie à l’étranger (eh oui, déjà trois mois,
aujourd’hui même), cette petite pause québécoise m’a fait le plus grand bien.
Après l’apéro, nous avons cherché
un restaurant où l’on pourrait manger de la cuisine typiquement toscane et
continuer de boire du bon vin. Plusieurs endroits étaient soient peu invitants,
soit trop chers, soit complets. Nous nous sommes finalement ramassés dans un
lieu à la décoration colorée et au personnel ma foi fort sympathique. J’ignore
si leur gentillesse était due au fait que je m’adressais à eux en italien, mais
je n’ai jamais eu droit à un accueil aussi chaleureux en Italie !
Honnêtement, les Italiens ne sont pas toujours les plus aimables, mais là, nous
avons eu droit à la totale. Alors qu’ils répondaient à d’autres clients qu’il
n’y aurait pas de place avant 22 heures, à nous, ils nous ont offert une table
en moins de 15 minutes. Nous avons attendu dehors, car les lieux étaient plutôt
exigus. À un certain moment, quand j’ai vu qu’ils reviraient d’autres gens de
bord, je suis retournée en dedans leur demander si j’avais bien compris et que
nous aurions bel et bien une place ; ils m’ont assurée que oui et m’ont
demandé si on voulait boire un verre de vin en attendant. Sur le bras. Pourquoi
pas ! Bianco ? D’accord !
Nous avons siroté notre verre de blanc assis sur le trottoir de cette ruelle
étroite, en manquant de nous faire écraser les orteils par les voitures qui
roulaient trop vite. La vie sait parfois être magique.
À la fin du repas, avant que nous
ne quittions, le serveur et l’homme à l’accueil nous ont serré la main et nous
ont affirmé avec emphase que cela avait été un grand plaisir de nous servir.
Sérieusement, je pense qu’ils nous prenaient pour des gens que nous n’étions
pas, car leur dévotion et leur politesse étaient quasiment exagérées. Soit,
cela n’était pas désagréable, bien au contraire ! Après les poignées de
main, nous avons dû nous dépêcher un peu puisque mes acolytes devaient
retourner à Montecatini et le dernier train pouvant les y porter partait à
22h08. Je les ai donc accompagnés à la gare pour ensuite me retrouver seule au
centre-ville de Florence. Exténuée de ma journée, j’ai voulu prendre l’autobus
menant à l’auberge de jeunesse où j’avais réservé un lit, pour me rendre compte
que celui-ci ne passait pas après 22 heures. Un peu ridicule, quand on pense
que c’est là l’unique façon de se rendre à l’auberge à part le taxi et que la
plupart des gens qui choisissent de résider à cet endroit n’ont pas 15 euros à
mettre sur un taxi, mais qu’à cela ne tienne, je n’avais ni la force ni le
courage de marcher 5 kilomètres à la noirceur dans les rues d’une ville
étrangère. J’ai donc payé les fameux 15 euros – tu vois maman, je suis sage des
fois. Sage, mais plus aussi fougueuse qu’avant. Je ne pourrais plus parcourir
l’Europe pendant trois mois avec seulement 3000$, comme je l’ai fait à
l’époque…
Arrivée à l’auberge, une fois de
plus, des tonnes de souvenirs sont remontées en moi. Probablement me trompé-je,
mais j’ai eu l’impression d’être dans la même chambre que lors de mon premier passage en cet
endroit, il y a neuf ans. Or, cette fois, j’étais seule dans le dortoir de
quatre personnes. J’aurais dû bien dormir, mais il n’en fut rien. Chargée
d’adrénaline et dérangée par les voix qui hantaient le corridor, je ne suis pas
parvenue à fermer l’œil avant 2 heures. Ma nuit fut ponctuée de sursauts
provoqués par de violents claquements dont j’ignorais la provenance. Au petit
matin, cernée, j’ai découvert que c’est le vent qui faisait battre les volets
de l’édifice, bruit que l’écho des murs de cet immense manoir transformé en
gîte pour jeunes fauchés s’amusait à amplifier. J’ai déjeuné, en me demandant
comment je faisais jadis pour me contenter de ce pain sec et de ce mauvais café
comme premier repas – et souvent comme deuxième, puisque nous dérobions des
tranches de pain et des confitures supplémentaires pour nous confectionner des
dîners peu dispendieux. Décidément, mes critères de voyageuse et ma tolérance à
l’inconfort et aux repas insipides ne sont plus les mêmes.
J’ai payé ma nuit blanche, fait
mon sac et je suis partie. Postée à l’arrêt d’autobus, d’autres réminiscences
se sont cristallisées devant mes yeux nostalgiques. La dernière fois où j’avais
attendu à cet arrêt, J. et moi étions nerveuses. Nous fuyions. Nous avions hâte
que l’autobus nous emporte loin de Maxime, ce Québécois que nous avions
rencontré à Reims, une semaine plus tôt, et qui nous suivait partout depuis.
Nous n’en pouvions plus de lui, de son arrogance, de ses manières maladroites.
Nous étions parties de l’auberge sans l’avertir, dans l’espoir de le semer. Ça
avait fonctionné. Temporairement. Environ deux semaines plus tard, il nous
avait retrouvées. En plein cœur d’Athènes. Une coïncidence. Tous les hasards ne
sont pas heureux.
Moi, cependant, assise sur ce
banc à attendre l’autobus numero undici,
heureuse, je l’étais.
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