Dimanche, pour la deuxième fois
de ma vie, j’ai célébré mon anniversaire en Italie. La première fois, c’était
en 2002, lorsque j’ai eu 19 ans. J’étais partie avec J., une copine du Cégep,
et mon sac à dos, pour trois mois autour de l’Europe. Le 9 octobre de cette
année-là, nous étions à Rome. J’ai passé l’après-midi de mon anniversaire à
attendre en face de la basilique Saint-Pierre. Nous avions prévu visiter la
célèbre église, or, elle avait été fermée pendant plusieurs heures en raison de
la célébration d’un mariage collectif présidé par le pape lui-même. C’était
encore l’époque du sympathique Jean-Paul II. Il n’était pas fort, mais toujours
vivant. Avachi sur son siège de velours rouge, il murmurait la parole de Dieu
en italien, en français, en latin et dans je ne sais plus quelle langue, devant
des milliers de personnes, dont plusieurs centaines en robe et en costume de
mariés.
À la fin de ce spectacle
particulièrement étrange, nous avions pu pénétrer à l’intérieur de la fameuse
Saint-Pierre de Rome. De l’immense Saint-Pierre de Rome. Après, nous avions
voulu aller à la Chapelle Sixtine, cependant, pour une raison qui m’échappe
encore, celle-ci fermait à 14h20. Pas 14h30 : 14h20. Ça doit être l’heure
d’une prière que je ne connais pas. Nous avions donc terminé cette journée sans
voir la fresque de Michelangelo. Pour nous consoler et pour me gâter, puisque
c’était mon anniversaire après tout, J. avait décidé de nous payer du
McDonald’s pour souper. Nous étions allées à celui de la stazione Roma Termini, si je me souviens bien. Pourtant, il ne me
semble pas que nous avions un train à prendre après. Les gares sont tout
simplement le lieu où les âmes perdues finissent par aboutir, lorsqu’elles
ignorent où aller pour trouver le réconfort. Et nous l’y avons trouvé, le
réconfort. Le luxe. Quand on voyage avec un budget total de 25$ par jour et
qu’on doit, avec ces 25$, payer sa nourriture, son lit et ses activités
touristiques, un trio McDo, c’est vraiment une faste dépense. Je mange dans ce
genre de resto environ une fois par année ; cette fois-là était
certainement la meilleure de ma vie. Mon Big Mac avait un goût assurément cent
fois plus délicieux qu’à l’habitude.
Ces souvenirs sont parmi ceux que
je chéris le plus. J’ai l’impression qu’ils m’ont forgée, en quelque sorte,
qu’ils ont largement influencé la suite de mon existence.
Immanquablement, lorsqu’octobre
approche et que je m’apprête à ajouter une année de plus à mon calendrier, le
passé remonte en moi. Au-delà de la nostalgie, c’est une sorte de désir de
comprendre – qui je suis et pourquoi – qui m’habite et me force à revoir
certains événements, à les analyser avec une perspective nouvelle – celle de la
sagesse que je gagne, du moins je l’espère, un peu chaque année. J’aime bien
faire des bilans, penser à tout ce que j’ai accompli au cours de l’année qui
s’achève, à tous les malheurs qui me sont arrivés, à tous les obstacles que je
suis parvenue à contourner, à tous ces bonheurs qui sont venus illuminer ma
voie. Ça me réconcilie avec le non-sens de la vie. Soudainement, elle
m’apparaît moins absurde. À la fin, de la vie, je ne retiens que de belles
choses. Même celles qui, au moment où elles se sont abattues sur moi, m’ont
terriblement faite souffrir m’apparaissent importantes, salutaires, avec le
recul. J’éprouve une satisfaction certaine, voire une fierté, à penser aux
épreuves surmontées, aux erreurs évitées, aux maladresses pardonnées, à tout ce
qui fut ardu, lourd, déchirant, mais qui, en bout de ligne, ce sera avéré
formateur, nécessaire.
Alors, le bilan de mes 27 ans, de
quoi a-t-il l’air ? L’automne de ma 28e année fut certainement
l’un des pires de ma vie – mon chum et moi étions dans une impasse : après
des mois de chômage, il a eu affaire à un employeur irrespectueux pour qui il
accomplissait un travail sous-payé et dénué de défi, tandis que moi, je ne
parvenais pas à trouver quelle était ma voie (ce problème demeure, mais je le
vis avec beaucoup moins d’angoisse), j’accumulais les petits contrats
insignifiants et j’ai dû accuser un refus par rapport à une demande de bourse
dans laquelle j’avais placé beaucoup d’espoir. Décembre fut certainement
l’apogée de mon abattement et celui-ci s’exprimait physiquement – problèmes de
foie, brûlements d’estomac, fatigue insurmontable.
En janvier, F. et moi avons
décidé de nous reprendre en main. Nous n’avons pas bu une goutte d’alcool de
tout le mois, nous avons fait un régime jusqu’en mars, nous nous sommes
inscrits dans un club de boxe, où nous allions chaque semaine, en plus de faire
du jogging, du patin à glace et de longues marches. J’ai perdu du poids, je me
sentais bien, j’avais l’impression que mon corps et ma vie m’appartenaient à
nouveau.
Le 14 février 2011, F. moi, avons
célébré la Saint-Valentin vêtus de pantalons de jogging et de t-shirts trop
grands, en buvant du champagne et en mangeant de mignons péchés. C’est ce
soir-là que nous avons décidé que nous déménagerions en Italie.
Pleine d’une énergie nouvelle, en
mars, j’ai lancé mon premier
roman. Celui-ci a reçu un chaleureux accueil, ce qui m’a évidemment comblée.
Le printemps fut dédié à la promotion de mon livre et à la préparation de notre
départ. À la mise en boîte de notre vie. Nous avons jeté, donné, enterré,
recyclé des dizaines et des dizaines d’objets devenus inutiles et encombrants.
Le reste, nous l’avons placé dans des cartons, qui dorment maintenant dans
l’entretoit du garage de mon père.
Le 14 juillet, six mois jour pour
jour après en avoir pris la décision, nous sommes partis.
La suite, vous la connaissez.
Vous savez entre autres qu’en août, j’ai fêté mon premier anniversaire de mariage et
que j’ai su que j’avais obtenu une bourse pour l’écriture de mon second opus.
Voilà à quoi a ressemblé la dernière année. Elle a affreusement mal commencé et
s’est terminée d’une manière exceptionnellement surprenante.
Et la première journée de mes 28
ans, elle, de quoi a-t-elle eu l’air ? De rien. J’osai espérer qu’elle
n’était pas à l’image des 364 qui la suivraient, car elle fut plutôt décevante
– comme le sont pas mal toutes mes journées d’anniversaire. Plus je vieillis,
plus je déteste le 9 octobre. Chaque année, c’est immanquable, je pleure cette
journée-là (il faut dire que je suis braillarde, alors ce n’est pas un fait si
extraordinaire, mais tout de même). Le jour de ma fête finit toujours dans
l’amertume – cette sensation d’être seule, oubliée, importante pour personne. Je
souhaite tellement que cette journée soit différente des autres, spéciale,
remplie de surprises, étonnante, que je ne peux faire autrement que de trouver
qu’elle n’a pas été à la hauteur.
Cette année, le 9 octobre fut
décevant entre autres parce que la sortie au restaurant qui était prévue par
mes généreux beaux-parents pour célébrer ce fameux anniversaire fut gâchée par
un service lamentablement lent. Il s’est écoulé tellement de temps entre le
moment où nous avons terminé notre entrée et celui où l’on a enfin pensé à nous
amener notre plat principal que nous n’avions plus faim. J’ai laissé la moitié
de mon assiette. Je n’ai pris ni dessert ni café. Un repas d’anniversaire pas
de dessert, c’est un peu triste.
Au-delà de ce léger contretemps,
il y avait surtout le fait que ma famille et mes amis me manquaient. Tous ces
« Bonne fête » qui fusaient sur mon babillard Facebook n’arrivaient
pas à remplacer la présence des gens qui me sont chers. Je me sentais plus loin
qu’à l’habitude. Pourtant, je n’étais pas plus loin. Seulement un peu plus
vieille.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire