mardi 30 août 2011

Se remplir les yeux


Après les événements tristes de la semaine dernière, le moral des troupes italo-québécoises n’était pas à son meilleur dans les tranchées de Carpi. Heureusement, capitaine F. et moi-même avons passé un merveilleux week-end en amoureux, qui nous a permis de recharger les batteries et de faire le plein de belles images.

Plusieurs s’en rappelleront probablement, l’an dernier à pareille date, F. et moi convolions en justes noces, pour le meilleur et pour le pire, pis toute, pis toute. Pour célébrer nos noces de coton (un an de mariage, ça rétrécit au lavage, attention!), j’avais demandé à F. de prendre les choses en main et de nous organiser une petite escapade. Il a choisi de m’amener au Lac de Garde (Lago di Garda, dans la langue de Dante) qui, avec sa superficie de 369,98 km2, est le plus grand lac d’Italie. Disons que ses dimensions ont de quoi faire rigoler les gens du Lac Saint-Jean, qui fait 1 076,03 km2, mais bon, l’Italie a d’autres belles ressources très enviables !

Nous nous sommes arrêtés dans le petit village de Torri del Benaco, dont l’histoire remonte à très loin, puisqu’il date de l’époque romaine. (Ça, c’est une des choses que l’on pourrait envier à l’Italie, remarquez : son histoire et sa culture ancestrale.) Malgré la grande présence de touristes, ce village m’a séduite, avec son charme médiéval, sa marina colorée, ses remparts et sa serre de citronniers. Le climat de l’endroit est incroyable, considérant sa latitude (qui est exactement la même que celle de Montréal) : il y a des oliviers et des vignes partout, tout cela sur fond de montagnes alpines. L’eau est d’un turquoise transparent semblable à celui que l’on peut voir sur la Côte d’Azur et la surface du lac est constamment balayée par les vagues (c’est bien la première fois que je voyais des vagues sur un lac). Quand je parle de vagues, je veux dire de vraies vagues ; nombreux sont les kitesurfers et les adeptes de planches à voile dans cette région. C’était de toute beauté de voir ces centaines de planchistes naviguer dans le rayon du soleil du dimanche matin, portés par leur cerf-volant géant.

F. avait choisi cet endroit parce qu’il y a là un hôtel où son arrière-grand-mère allait toujours lorsqu’il était jeune et lui-même y avait séjourné à quelques reprises. À l’intérieur de cet hôtel se trouve également un restaurant, le Viola, qui, jusqu’à tout récemment, s’appelait Il Caval (Le cheval, en dialecte) et possédait une étoile Michelin (le rêve de bien des restaurateurs). Malheureusement, en raison des récents déboires économiques, les Italiens et les touristes sont moins enclins à dépenser leur argent et préfèrent les restaurants bon marché aux lieux de fine gastronomie. Le propriétaire du Caval a donc dû faire un choix : soit il faisait faillite, soit il suivait le public et lui offrait un menu tout aussi délicieux, quoiqu’un peu moins recherché, mais à des prix plus raisonnables. Isidoro Consolini a choisi la deuxième option, perdant du même coup son étoile Michelin. Nombre de grands chefs se sont suicidés à cause de cela : c’est pour plusieurs d’entre eux le pire drame qui ne pourrait pas leur arriver. Ce que ces chefs ont oublié, c’est qu’ils ne cuisinent pas seulement pour les critiques, mais d’abord et avant tout pour les « mortels ». Bref, je trouve l’histoire de ce restaurant très intéressante et suis très contente d’y être allée.

Le repas auquel nous avons eu droit samedi soir était très bien. Nous étions attablés dans le jardin, qui était très coquet avec ses petites lumières blanches, ses lierres grimpants le long du mur de pierre, sa musique et ses tables recouvertes de nappes violettes. Le service était tout à fait sympathique et plusieurs petites attentions nous ont été offertes. En Italie, dans la majorité des restaurants, y compris dans les pizzérias un peu miteuses, lorsqu’on mange à table, on nous fait payer il coperto (le couvert), qui coûte généralement entre deux et quatre euros. C’est ce qui remplace en quelques sortes le pourboire, puisqu’ici, il n’est pas de coutume de tiper. D’habitude, ce fameux couvert n’inclut pas grand-chose, à part le couteau et la fourchette. Or, au Viola, il comprenait un petit verre de mousseaux en apéro, un amuse-bouche (une fleur de courgette farcie et panée, miam!) et des petites bouchées digestives après le dessert. C’est ce que j’entendais par « petites attentions » et c’est ce genre de choses qui te fait apprécier un repas plus qu’un autre. Ce repas, puisque nous célébrions là une grande occasion, nous avons décidé de l’accompagner d’un vin que jamais nous ne nous serions payé en temps normal : un champagne brut blanc de blanc de Venoge, 2000. Wow ! Tout simplement délicieux. Il y avait dans ces bulles des effluves de caramel et de cognac, mais pas trop prononcées, simplement délectables. Ce n’est pas le genre de champagne léger que tu bois en apéro un vendredi soir avec des amis, il faut le savourer en accompagnement d’un plat, autrement, son goût finit par fatiguer les papilles, mais vraiment, c’était un bon choix. Au Canada, jamais nous n’aurions pu nous offrir une telle bouteille, ça nous aurait coûté probablement l’équivalent d’un mois de loyer ! Mais ici, les hédonistes ont la vie beaucoup moins dure…

Nous n’avons malheureusement pas pu dormir à l’hôtel du Caval, puisqu’il était complet, mais le proprio nous avait aidés à trouver une chambre dans un autre hôtel situé à quelques 400 mètres de là, la Villa Carlotta. L’hôtel appartient en fait à son frère, Claudio, un homme fort gentil et accueillant. Pour une raison ou une autre, il nous a même fait payer moins cher que prévu. Deux hypothèses pourraient expliquer la chose : soit qu’il savait que nous étions venus pour aller au restaurant de son frère, alors comme on restait « dans la famille », il a décidé d’être généreux avec nous, soit il était simplement content d’avoir affaire à des Italiens, chose très rare dans ce secteur, car tous les touristes ou presque sont allemands ! Sérieusement, la seule voiture plaquée en Italie dans le stationnement, c’était la nôtre. Le reste venait de l’Allemagne en majorité, puis, du Luxembourg et de l’Autriche. Dans tous les villages aux alentours du Lac de Garde, les gens parlent italien et allemand ; ils n’ont pas le choix, s’ils veulent que leur commerce survive. Je me rappelle que la situation était similaire à Ischia, où je suis allée il y a de cela près de dix ans. J’ignore pourquoi c’est ainsi, mais c’est un phénomène qui me fascine. Personnellement, quand je voyage, ce n’est pas pour rencontrer d’autres Québécois. Eux, je les vois en masse tout le reste de l’année ! Je ne sais pas, peut-être que les Allemands sont de grands « insécures » et qu’ils n’aiment pas se retrouver entourés d’étrangers. Cela aurait-il à voir avec leur passé ? Je ne m’aventurerai pas dans de telles suppositions, mais disons qu’on tiendrait là un beau sujet de doctorat (que je ne ferai pas, ça suffit les mémoires et les thèses).

Dimanche matin, avant de quitter l’hôtel, nous avons demandé à Claudio si, selon lui, le domaine Tommasi était ouvert au public. Ce vignoble est un des plus importants en Italie et on y produit d’excellents et très abordables Valpolicella et Merlot, entre autres. Comme il était vraiment à quelques kilomètres d’où nous nous trouvions, nous aurions vraiment aimé le visiter, mais, au risque de me répéter, tout est fermé le dimanche en Italie (!), alors on ne voulait pas se buter à une porte close. Claudio nous a répondu « Avoir su, si vous me l’aviez dit avant, il était ici hier soir ! » Il, c’était le propriétaire du domaine, qui s’avère un des bons amis de notre cher Claudio et qui vient souvent manger chez lui. Tu parles. Claudio n’a fait ni une ni deux, a pris son iPhone et a appelé son fameux copain. « Salut, c’est Claudio, j’te dérange ?! Oh, t’es à l’église?! Zut! Scuse moi. Non, non, rien, c’était juste pour savoir si vous étiez ouverts aujourd’hui, j’en connais qui auraient aimé ça aller te visiter. Non. OK, c’est pas grave. Désolé de t’avoir dérangé. » Le boss de chez Tommasi était à l’église. Tu parles [bis]. Cette scène est trop typique pour être vraisemblable, mais elle est pourtant vraie. L’Italie est typique, qu’est-ce que vous voulez !

À défaut d’aller visiter le vignoble (et de se saouler en plein jour), après avoir longé la côte du Lac de Garde jusqu’à Riva del Garda, nous nous sommes perdus dans les monts et les vallées des Alpes italiennes, simplement pour admirer le paysage. Après environ deux heures trente d’errance, nous nous sommes retrouvés à Molina, un (petit) village médiéval (552 habitants!) qui est entré cette année dans le patrimoine mondial de l’UNESCO et où se situe le Parco delle cascate. Il s’agit d’un parc (payant) plutôt familial où il est possible de faire de la randonnée. Trois parcours sont offerts: celui d’une demi-heure, celui d’une heure et celui de deux heures. Nous avons choisi ce dernier et nous l’avons complété en… une heure. Nous en avons déduit que 1) nous étions plus en forme que nous le pensions (on ne fait plus beaucoup de jogging depuis quelques temps, il fait beaucoup trop chaud pour courir, même à 7 heures le matin) et que 2) ils avaient calculé le temps de parcours sur la base des jambes d’un enfant de deux ans. Par contre, nous nous sommes vraiment demandé comment un enfant pouvait parcourir ces sentiers, puisque les marches qui ont été aménagées font au moins 50 centimètres de hauteur, ce que mes mollets de randonneuse et mes fesses d’acier ont trouvé assez pénible. La promenade fut malgré tout agréable, bien que les cascades, le highlight de l’endroit, étaient plutôt à sec et donc beaucoup moins impressionnantes qu’à l’habitude, étant donné qu’il ne pleut pas depuis deux mois. Nous avons par contre eu droit à un splendide panorama.

Je vous raconte tout ça et je me rends compte que plusieurs d’entre vous auront probablement envie de me lancer des roches : pendant que je me la suis coulé douce sous le soleil éternel de l’Italie, vous avez dû affronter les restes d’Irène, ses pluies abondantes et ses vents exagérés. Oups. Devrais-je me sentir mal ? Peut-être. Mais vous savez quoi ? Il n’en est rien. J’en profite, c’est tout. Du mieux que je le peux. Comme le dit si bien F., « je me remplis les yeux ». 

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