mercredi 10 août 2011

Après la montagne le beau temps

Vendredi dernier, en milieu d’après-midi, F. et moi nous sommes dirigés vers Fellicarolo, dans les Appennini – ou Apennins, en français –, une chaîne de montagnes qui traverse l’Italie du Nord au Sud, sur plus de 1000 km. Fellicarolo est posté à 922 mètres au-dessus du niveau de la mer, face au mont Cimone qui, avec ses 2165 mètres d’altitude, est le plus haut de la portion nord des Appennini. De Carpi, cela prend environ 1h30 normalement pour se rendre dans ce petit village. Or, cela nous a pris 2h30. Leçon numéro un : fiez-vous à votre GPS, mais pas trop. Osez le contredire parfois. À un certain moment, j’ai dit à mon cher mari « Il me semble que cette route-là ne me dit rien. Quand on est allés au chalet l’an dernier, ça n’avait pas l’air de ça… » La route que nous a fait faire le GPS était « l’ancienne route » ; depuis, on en a construit une beaucoup moins longue et, surtout, beaucoup moins sinueuse. J’avais un peu mal au cœur rendue là-haut, après tous ces zigzags ! Sur notre chemin, outre des collines, des courbes, des vallées et d’autres collines, nous avons rencontré deux faisans, dont un qui n’était vraiment pas pressé de traverser le chemin. Il a failli finir en brochettes…

À défaut d’avoir de la viande de faisan fraîche pour souper, nous sommes allés manger dans un pittoresque restaurant situé dans je ne sais plus quel village, à quelques 45 minutes (de courbes, encore) de Fellicarolo. Remo, l’oncle de F., avait réservé 11 places – nous sommes allés manger avec d’autres parents de F. et des voisins – et avait demandé à ce que soit présent le cuisinier de borlenghi – aussi connus sous le nom de zampanelle. De fait, ce restaurant avait au menu, comme tout restaurant qui se respecte en Italie, de la pizza et des pâtes, or, si nous en faisions la demande à l’avance, on pouvait nous offrir ces fameux borlenghi, qui sont des sortes de crêpes très, très minces, donc très, très croustillantes, à l’intérieur desquelles se trouve un mélange de lardon, d’ail, de romarin et de parmesan. Lorsqu’il y a de la clientèle intéressée à en consommer, le resto appelle l’expert en borlenghi – qui ne se déplace évidemment pas seulement pour deux personnes.

Le cuisinier prépare des borlenghi pour tous ceux qui en veulent et n’arrête d’en faire que lorsque nous lui disons que nous sommes sur le bord de vomir du lardon. Chaque fois qu’un borlengo (singulier du mot borlenghi) est prêt, c’est le cuisiner lui-même qui vient le porter à la table. J’ai été la première personne servie. Je me sentais un peu observée, car tout le monde autour de la table se demandait comment la Canadienne allait trouver ça. C’était plutôt bon, je dois avouer ! J’ai pris deux tournées de borlengo – je ne voulais pas m’écœurer du goût, j’ai donc poursuivi le repas avec un plat de tortellini au speck et au noix. Quelques convives autour de la table n’ont cependant mangé que ça. Milvia, la tante de F. s’en est farci six. Ce qui est merveilleux, c’est que pour tenir le compte du nombre de borlenghi que la tablée a mangé, on doit conserver toutes les assiettes dans lesquelles les borlenghi sont arrivés ; à la toute fin, ils comptent simplement la quantité d’assiettes vides sur la table. Principe simple et efficace !

À la fin du repas, nous avons réglé la note selon la méthode romaine (« alla romana »), c’est-à-dire que nous avons divisé le coût total de la facture par le nombre de convives, punto. Pas de tétage pour savoir qui a pris quoi, ce que ça valait, qui devrait payer plus, qui devrait payer moins : tout le monde s’en sort pour le même prix. L’avoir su avant, j’aurais mangé ce qui coûte le plus cher sur la carte ! (Je rigole.) N’empêche, cette façon de faire en dit long sur les Italiens : un de leurs plus grands plaisirs est de partager leur repas avec des gens d’agréable compagnie, et cela leur importe peu de payer plus ou moins, l’important est d’avoir passé un bon moment et d’avoir bien mangé. Cela dit, il existe aussi une autre manière de « payer », dite « alla napoletana » (à la napolitaine), qui en dit aussi long sur la culture italienne : partir en courant ! Comme on n’était pas à Naples, ce n’est pas ce qu’on a fait, bien sûr.

Le lendemain matin, pas de cadran. Nous nous sommes reposés – ce qu’on dort bien à la montagne, c’est frais, c’est noir, c’est silencieux – jusqu’aux environs de dix heures. Après avoir englouti un café et une tartine, F. est allé jardiner avec sa tante, tandis que moi j’ai lu. En fait, au cours du week-end, j’ai terminé mon premier roman en italien : Lessico famigliare (littéralement « lexique familial », mais qui a été traduit par Les mots de la tribu pour la version française – drôle de choix selon moi) de Natalia Ginzburg. À tous les littéraires parmi vous : je vous suggère fortement cette lecture, vraiment très intéressante. J’ignore ce que ça donne en français sur le plan du rythme, qui est assez particulier, mais ne serait-ce que du point de vue historique, c’est une lecture tout à fait enrichissante. Pour ma part, j’avoue être plutôt fière de l’avoir lu en italien aussi rapidement et, surtout, d’avoir pratiquement tout compris ! J’ai conclu qu’il était beaucoup plus simple et satisfaisant de lire sans passer mon temps à chercher les mots que je ne connais pas dans le dictionnaire, quitte à perdre un ou deux morceaux de texte une fois de temps en temps. Lire en étant constamment accrochée à mon dico bilingue était fastidieux et je me décourageais après quelques pages. Avec la méthode « sans dico », j’ai tout simplement fait confiance à mon instinct, j’ai relu certains passages plusieurs fois pour finir par comprendre, et c’est tout. J’ai bien demandé la signification d’un ou deux mots à F. ici et là, mais sans plus. Étant donné que je suis très visuelle, je constate que la lecture est très efficace pour m’aider à apprendre du nouveau vocabulaire. Enfin, tout ça pour dire que mon italien s’en vient pas si mal. J’ai encore un peu de difficulté à m’exprimer à l’oral, je n’ai pas encore « débloqué », mais ça ne saurait tarder.

Pour en revenir à notre séjour à la montagne, samedi après-midi, nous avons fait une petite randonnée en hauteur. Accompagnés de Milvia, nous avons emprunté différents sentiers pour nous rendre jusqu’à la Casa Baroni, un restaurant situé à quelques 1000 mètres d’altitude. Nous nous y sommes arrêtés pour prendre un café et nous reposer un peu. Pendant que Milvia discutait à l’intérieur avec la propriétaire de l’endroit, moi, dehors, je nourrissais un des chats de celle-ci, qui était chétif et affamé. La proprio a expliqué à F. que cette chatte ne s’entendait pas bien avec ses autres chats et qu’elle était toujours à part. Elle a ajouté qu’elle était malade et qu’on pouvait la prendre si on voulait. Les gens de la montagne n’ont pas la même relation avec les animaux domestiques que les gens de la ville – en tout cas, pas la même relation que moi je peux avoir ! Jamais ne me passerait par la tête l’idée d’offrir à un pur inconnu de prendre mon chat avec lui – encore moins mon chat malade. Pauvre petite chatte, elle avait subi une fausse couche quelques semaines plus tôt. Elle était visiblement beaucoup trop faible pour avoir des bébés. Bref, j’ai tâché de lui donner un peu d’énergie en partageant avec elle ma réserve d’amandes – malheureusement, je ne traînais pas de canne de thon dans mon sac à dos ! La petite bête a bien apprécié mes noix – elle doit être de la même lignée que ma chatte Mia, qui adore tout ce qui est graines, noix et… chips !

Bon, vous l’aurez compris, je m’ennuie de mes chats, d’où le précédent paragraphe. Mis à part des chats mal nourris, nous n’avons pas vraiment vu d’animaux à la montagne. F. a vu une chouette un soir, et c’est à peu près tout.  Et heureusement pour lui, il y avait beaucoup moins de moustiques qu’en ville. Le pauvre fait des réactions incroyables aux piqures de moustiques, et ce, depuis qu’il est tout petit.

Le samedi soir, en compagnie de Remo, Milvia, Bruno (le frère du grand-père de F.) et de Giovanna, la femme de celui-ci, nous sommes allés manger de la pizza au « centre-ville » de Fellicarolo, qui est constitué d’un restaurant et d’un banc de parc. La pizza était, ma foi, délicieuse et la serveuse, fort sympathique. Lorsque F. lui a dit que nous voulions un demi-litre de vin rouge, elle a tout simplement pointé un grand baril au fond de la salle et dit « Il y a du rouge et il y a du blanc. Vous vous servez. » Même principe que pour les boissons gazeuses en fontaine à volonté chez Subway, sauf que là, c’était du vin ! Après la pizza, nous avons pris un dessert et la serveuse nous a amené une bouteille de limoncello, comme le veut la tradition dans les pizzérias ici. Au final, nous avons pris une bouteille de Prosecco pour l’apéro, plus d’un litre de bière, 1 litre de vin rouge, six pizzas, 4 desserts, du café et du limoncello. Total de la facture : 10 euros par personne. Décidément, l’Italie offre des avantages indiscutables aux gourmandes comme moi !

Gourmand, il faut l’être pour apprécier pleinement ce pays, car on y mange tout le temps ! Dimanche, nous sommes allés dîner chez Bruno et Giovanna – qui habitent aussi Carpi, mais qui ont également une maison à Fellicarolo. Une partie de la famille était réunie, j’ai donc rencontré quelques petits cousins et petites cousines de F.. Ces gens sont vraiment accueillants, je me suis tout de suite sentie la bienvenue. C’est toujours drôle au début quand je rencontre des proches de F. qui ignorent que je comprends l’italien : je ne sais jamais trop, trop s’ils parlent de moi à la troisième personne ou s’ils me vouvoient. C’est qu’en italien, on ne vouvoie pas : on donne le « lei » (« elle »). La forme de politesse est la troisième personne du singulier, et non la première du pluriel (tout ça a rapport avec l’époque mussolinienne, je vous invite à faire quelques recherches là-dessus, c’est vraiment intéressant). Bref, quand ils disent « A lei, le piace l’Italia ? » (« À elle, ça lui plaît l’Italie ? ») en me regardant, mais surtout en regardant F., j’ai l’impression qu’ils parlent de moi comme si je n’étais pas là et ça me fait rire. Ça me surprendrait qu’ils me vouvoient, puisque partout où je vais, je suis toujours la plus jeune. (F., après avoir lu ce billet, tu me diras ce que tu en penses, d’accord ?!) (Oui, je parle à mon mari par l’intermédiaire de mon blogue.)

Tout ça pour dire que le dîner de dimanche fut encore une fois copieux et bien arrosé. Après, quelques-uns d’entre nous ont joué aux cartes, pendant que les autres se reposaient, discutaient ou lisaient le journal. Il me semble que tous les dimanches devraient être ainsi, non ? Quelle mauvaise idée nous avons eue chez nous, dans les années 90, de permettre l’ouverture des magasins le dimanche. Ici, le dimanche, tout le monde a congé. Les gens généralement se retrouvent en famille, relaxent, bouffent, boivent, dorment, jouent. Il n’y a pas d’autres choses à faire de toute façon. Selon moi, c’est une chose qu’il faudrait ramener au Canada.

Maintenant, ça suffit, je vous laisse tranquilles, j’ai déjà bien assez parlé pour aujourd’hui. Ah, une dernière chose, pour ceux qui n’ont pas vu passer la nouvelle sur Facebook : j’ai obtenu la bourse du Conseil des Arts du Canada, ce qui veut dire que je passerai les prochains mois à écrire mon prochain livre et à être payée pour le faire ! Ce voyage s’annonce officiellement incroyable… 

1 commentaire:

  1. Enfin, après plusieurs vérifications, j'en suis venu à la conclusion que le frère de mon grand-père et sa femme te vouvoient parce qu'ils attendent que tu leur dises de te tutoyer, étant donné que tu es ma femme. C'est une autre génération...

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