Je profite beaucoup du recul que
m’offre mon séjour en Italie pour réfléchir à ce que je veux faire de ma vie
professionnelle. Il est clair que je veux continuer à écrire, or, je ne
souhaite pas faire uniquement cela. Pour être un bon écrivain, il faut aussi
vivre. Vivre à l’extérieur des mots, dans la réalité, des expériences, des
aventures, des rencontres. Non seulement cela est-il nécessaire à mon art, mais
ce l’est encore davantage pour ma santé mentale. J’ai besoin de voir des gens,
de travailler en équipe, d’être stimulée par les idées des autres, qu’on me
pose des défis, qu’on m’invite à me dépasser. Ne devoir rendre des comptes qu’à
moi-même ne m’est pas suffisant. Rapidement, j’en viens à me sentir incomplète,
déconnectée et inutile.
Pourtant, travailler avec les
autres est difficile. Cela nécessite beaucoup d’eau pour bien diluer son vin,
de la patience, de l’empathie et plusieurs bonnes paires de gants blancs. De
façon générale, je crois que je peux facilement parvenir à faire preuve de
toutes ces belles qualités. Cependant, une chose que je suis incapable de
supporter dans le fait de travailler avec et pour d’autres, c’est la propension
de la majorité des gens à se contenter du minimum. Peu importe où, avec qui,
dans quel domaine et pour quelles raisons, presque chaque fois où j’ai été
appelée à travailler pour des entreprises ou que j’ai offert mes services à des
particuliers, j’ai dû revoir à la baisse mes propres exigences pour satisfaire
celles de mes employeurs ou de mes clients.
Moi et mon éthique
professionnelle, nous nous sommes souvent faites revirer de bord avec des
phrases du genre : « On sait que ce n’est pas parfait, mais on ne
veut pas que ce le soit non plus. On ne veut juste pas que ça nous coûte cher,
alors pourrais-tu, s’il te plaît, faire ça le plus rapidement possible, quitte
à fermer un œil sur certains détails qui ne fonctionnent pas. » En d’autres
mots, on m’a souvent demandé de « botcher » ma job. Ce que je suis
incapable de faire. Après, on m’a donc reproché d’avoir été trop scrupuleuse, de
m’être trop attardée sur des broutilles de seconde importance et d’avoir perdu
mon temps à faire un boulot impeccable. Parce que quand je demande à ces gens
qui m’embauchent ce qui cloche exactement, quelle partie de mon travail est
incorrecte, ils me répondent « Ah, ton travail est béton, ce n’est pas ça
le problème. Tout ce que tu as fait était pertinent, c’est juste que ce n’est
pas ça qu’on t’avait demandé. » J’oubliais : on m’avait demandé de
faire mon travail à moitié. Mon erreur. Désolé monsieur de vous avoir fait
gaspiller votre temps et votre argent.
Jusqu’à présent, pour gagner ma
vie et payer mes factures, j’ai surtout fait de la correction, de la révision,
de la traduction et de la rédaction. En traduction et en rédaction, généralement,
les clients chialent beaucoup moins, ils n’ont rien à redire sur le produit
fini –parce que ce produit ne porte pas atteinte à leur intelligence, il n’est
que le fruit de mon travail à moi et ils n’ont pas à se sentir « rabaissés »
par les textes que je leur livre, puisqu’ils ne constituent pas une critique de
ce qu’eux avaient fait au préalable. C’est lorsqu’il s’agit de révision
linguistique que ça se corse. Les gens, y compris ceux qui ne sont pas des
professionnels de la plume – ou surtout ceux qui ne sont pas des professionnels
de la plume ? –, sont généralement très fiers des textes qu’ils me donnent
à corriger. Leur orgueil en prend donc un coup lorsque je leur renvoie leur
« bébé » couvert de rouge et de commentaires. Ils ne comprennent pas.
-
Pourtant, je l’ai fait lire à ma blonde pis elle
trouvait ça vraiment bon.
-
C’est possible. Qu’est-ce qu’elle fait ta blonde
dans la vie ?
-
Elle est hygiéniste dentaire, c’est quoi le
rapport ?
- Le rapport, c’est que sa job, c’est de nettoyer
des dents, ce qu’elle fait avec beaucoup de minutie et de professionnalisme,
j’en suis convaincue, tandis que ma job à moi, c’est de nettoyer des textes. De
les rendre meilleurs. Si tu penses que ta blonde est capable de faire ma job,
engage-la elle, pas moi. Mais ne viens pas te plaindre après que ton texte n’a
pas reçu l’accueil escompté ou je ne sais quoi encore.
- Oui, mais moi je t’avais demandé de juste
corriger les fautes pis toi, tu m’as tout revirer ça de bord et t’as changé la
moitié de mes phrases.
-
Parce que la moitié de tes phrases n’étaient pas
syntaxiquement correctes.
-
C’est mon style, c’est tout.
-
Pour prétendre avoir un style, il faut d’abord
maîtriser les règles de base, je suis désolée. Ce qui n’était pas le cas ici,
c’est pourquoi je t’ai fait de nouvelles propositions. Tu n’es pas obligé de
les accepter, c’est toi le client, tu as le dernier mot. Mais la prochaine fois
que tu veux juste faire corriger « tes fautes », achète-toi Antidote
et laisse-moi tranquille. Je te jure que lui, il ne t’achalera pas avec la
construction de tes phrases, il ne sait même pas ce que ça veut dire une phrase
nominale.
(Ah, si un
jour j’avais le guts d’avoir cette
conversation pour vrai.)
Lorsque
j’apporte des modifications au texte de quelqu’un, c’est toujours en prenant la
peine de les justifier, même s’il s’agit d’un élément mineur, parce que je sais
que les gens sont sensibles par rapport à ce qu’ils écrivent – ils ont toujours
l’impression qu’on les attaque personnellement lorsqu’on change un verbe pour
un autre, plus précis. Je suis la première à refuser les changements que me
proposent les réviseurs linguistiques lorsque ceux-ci m’apparaissent
arbitraires. Par contre, lorsque le réviseur a RAISON, qu’il soutient son point de vue avec une définition de
dictionnaire ou une entrée du Grevisse, je suis également la première à me
plier à sa recommandation et à le REMERCIER de m’avoir éclairée.
Les réviseurs
ne connaissent pas tout. Ils ont chacun leur petite bibitte noire et accordent
plus ou moins d’importance à différents éléments. Par exemple, pour ma part, je
suis très capricieuse en ce qui a trait à la concordance des temps de verbes.
C’est ma « spécialité » – ce qui ne veut pas dire que je ne fais pas
d’erreurs de ce genre dans mes propres textes, car travailler ses propres
textes et ceux des autres est très différent. Malheureusement, l’attention que
j’accorde à ce genre de choses peut me faire passer à côté d’autres types
d’erreur qui, selon mon jugement, sont de moindre importance, alors qu’un autre
correcteur les aurait vues au premier regard. À chacun ses forces et ses
faiblesses. Bien qu’il repose entre autres sur la maîtrise des ouvrages de
référence, le métier de réviseur en est un hyper subjectif et aucun réviseur ne
peut prétendre tout voir et tout corriger. Cependant, il peut faire de son
mieux. C’est ça son travail. Alors quand on me demande de ne regarder que la
grammaire et de passer vite sur tout le reste, on exige de moi que je fasse
exactement le contraire de ce en quoi ma profession consiste.
Je dis
« ma profession », mais honnêtement, je ne suis pas convaincue que je
ferai cela encore très longtemps, du moins, pas comme métier principal. J’accepterai
probablement toujours les petits contrats ici et là, surtout pour donner un
coup de main à des gens en qui je crois et qui me proposent des projets ultra
enthousiasmants, mais pour le reste, je crois que je vais céder ma place à
d’autres. Pour faire quoi ? Aucune idée. Mon problème, c’est que j’ignore
si je réussirai un jour à trouver un environnement de travail où mon
perfectionnisme sera le bienvenu. Où on ne passera pas son temps à me demander
de tourner les coins ronds. J’ai plutôt l’impression que le monde du travail
est géré par des êtres approximatifs à qui on a appris que le nivellement par le
bas était la meilleure manière d’être productifs. Je dis « le monde du
travail », mais n’est-ce pas le monde en général qui est géré par ce genre
d’énergumènes ?
As-tu pensé au droit? Parce-que dans ce domaine on DOIT être perfectionniste et se surpasser. Rechercher, lire, analyser, réviser, rédiger et résumer des textes en masse... Tu pourrais offrir tes services aux grands cabinets comme réviseur-correcteur ou prendre des cours de soir en droit et voir que ce n'est pas vraiment difficile et devenir avocate ou notaire! ;-) Joyeuses Fêtes!!
RépondreSupprimerHmm, merci du filon, Andrée. Pourquoi pas ? Je verrai lors de mon retour au Québec quel genre de possibilités cela pourrait représenter. Je suis ouverte à tout!
RépondreSupprimerMoi je déteste me faire dire des choses du genre: "Il me semble qu'on dit pallier à quelque chose." Hum, il me semble que tu devrais ouvrir ton dictionnaire avant de me reprendre!
RépondreSupprimerVraiment drôle, j'ai moi aussi écrit un article à ce sujet qui reprend certains des mêmes points sur mon blog, l'année passée: http://toutmefaitchier.wordpress.com/2011/01/04/le-mythe-du-correcteur/