jeudi 7 mai 2015

Le gaspille


* Extrait qui fera peut-être partie de mon prochain roman, peut-être pas. La création est ambivalence.



Chaque fois que je jette – une chaussette, un contenant de détergent, une assiette en styromousse –, je me sens mal. Je pense à la montagne de déchets que j’ai produite depuis ma naissance, à celle que je continue d’ériger. J’ai l’impression de travailler à construire mon propre tombeau. Ce qui s’effondrera sur moi, m’étouffera et m’emportera. Mourir sous les décombres, étouffés par son dépotoir personnel.
Combien de tonnes d’objets ai-je pu mettre aux poubelles ou a-t-on mis aux poubelles pour moi depuis ma naissance ? Couches, lingettes humides, merde, sacs de plastique, pots de purée, nourriture, nourriture, nourriture, nourriture, nourriture (malgré tous les discours sur les petits Biafra, d’énormes quantités gaspillées), fioles de médicaments périmés, vêtements tachés, peluches usées, jouets brisés, papiers, crayons à l’encre séchée, gommes à effacer, bâtons de colle, bricolages ridicules, papiers mouchoirs, espadrilles trouées, ballons percés, mégots de cigarette, cannettes de bière, premier lecteur cassettes portatif, premier lecteur CD portatif, premier lecteur MP3 portatif, douze téléphones portables, cravates défraîchies même si jamais portées, fleurs mortes, livres lus à moitié, blocs LEGO, cartes d’anniversaire, cheveux, photos de graduation (quelle tête de nul, avec tous ces boutons), miroirs, verres cassés, affiches de spectacles rock, jetons, boutons, fils, aiguilles, crème, chasse-moustique, bouteilles de plastique, bouteilles de plastique, bouteilles de plastique, vieux hachich, cartons, boulettes d’aluminium, vis, marteau démantibulé, pelle au manche plié, voiture plus bonne à rien, réfrigérateur vide, cuisinière qui ne cuisine plus, rasoirs, savon, clés, mallette, cartes d’affaires d’une affaire qui n’a jamais existé, divan, lit en bois, table défoncée, lunettes, pantalons trop grands, pantalons trop petits, thermomètre, piles, montres, brosses à dents, ordinateur, téléviseur, répondeur, des heures, beaucoup d’heures gaspillées. Tout cela est allé au cimetière des jours effrités. Mon obsolescence, à moi, est-elle programmée ?
Cela m’échappe. Comment la planète est capable de digérer tous nos surplus ? Où met-elle ces livres, ces jouets, ces boutons, ces tables en trop ? À l’inverse des glaciers, les déchets ne fondent pas. Qu’advient-il donc d’eux ? Ils disparaissent, du moins de notre conscience. Ce qu’on a mis au rebut n’existe plus. Heureusement, il y a les chercheurs de guenilles de Dehli, de Dandora et de Rio. Ils vivent dans les dépotoirs, au confluent des ruisseaux de jus d’ordure, en altitude, sur les montagnes de nos envies passées, bien au-delà de la honte ou de la peur de mourir ; fouiller les ordures est leur seul gagne-pain. À la recherche de fils de cuivre, du lithium des piles, de vêtements pas trop déchirés et de restes de table qui ne sentent pas aussi mauvais qu’eux, les enfants des dépotoirs combattent le débordement par la réutilisation de l’inutile. C’est probablement grâce à eux que nous n’avons pas encore explosé.



1 commentaire:

  1. Heureusement, l'on récupère plus qu'auparavant. Ça fait du bien à ma conscience et à la planète. Les chaussettes, presque tout ce qui est tissus est récupéré. Je vais les porter dans de gros containers, il y en a un peu partout. J'ai déjà eu un contact avec une entreprise qui les récupérait et ils en font tout de sorte de choses. Nous sommes tout de même sur la bonne voie. Normalement, il devrait nous rester un tout petit sac de vidange vert par mois. À peu près. Pour un couple disons. C'est ce qu'il nous reste ici. Faut dire qu'à Magog, on composte, donc il y a des contenants pour la bouffe. Ça fait moins mal au coeur quand on en jette. Elle se recycle dans de la belle terre riche. C'est une autre manière de penser assurément, car on peut même y jeter, de la viande, des minous de poussière, de la litière. Je t'avoue que pour la litière, nous nous gardons une petite gêne. Nous sommes désobéissants, car c'est bien inscrit que l'on peut.

    J'avais le goût d'apporter un petit vent d'espoir en en parlant, mais c'est sûr que c'est un surplus de travail, les contenants se salissent, il faut les sortir, et blabla, et je vois bien que ce n'est pas chaque domicile qui met son contenant de compost à chaque semaine. Loin de là.

    J'aime beaucoup l'image que tu apportes à nos yeux, c'est très fort. Tu as là pour frapper nos esprits, et en ce sens, ta mission est tout à fait réussie.

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