vendredi 18 octobre 2013

Être de bons parents ou comment ne pas devenir complètement cons après avoir eu des enfants

Hier, à l’émission de Catherine Perrin, sur les ondes de ICI Radio-Canada Première, Charles-Alexandre Théorêt et Marie-Ève Soutière ont fait une chronique intitulée « Avertissement parental : votre vie sociale est en péril », laquelle visait à sensibiliser les futurs jeunes parents au fait qu’après l’arrivée de leur enfant, ils n’auraient plus de temps libres.

J’ai failli vomir.

Peut-être est-ce moi qui manque d’humour, peut-être que j’ai trop « les mains dedans » pour pouvoir rire des petits drames liés à la condition des jeunes parents, peut-être que j’accorde trop d’importance au discours plus maladroit que comique de cette comédienne inconnue et de ce recherchiste en quête de je-ne-sais-trop-quoi, mais j’ai trouvé cette chronique aux prétentions humoristiques insultante, condescendante et complètement décourageante. Si c’est ainsi que pensent les gens de ma génération, si ce simili sketch représente leur façon de percevoir la famille et les enfants, vraiment, on fait pitié.

La chronique était présentée à la toute fin de l’émission, comme pour s’assurer que personne ne puisse faire de commentaires à son sujet. Dommage, car des réactions, j’en avais une trâlée.

Le but était de donner des trucs et outils aux aspirants géniteurs pour « briser le cercle vicieux de l’isolement des nouveaux parents ». Jusque là, ça va. Je suis 100% pour ce genre de démarche. Parce que c’est vrai qu’on se sent foutrement isolé du reste du monde lorsqu’on devient mère ou père. Du jour au lendemain, notre réalité se transforme et nous avons l’impression de ne plus rien partager avec ceux qui nous entourent, que personne ne peut plus nous comprendre, que la fatigue a fait de nous des zombies mésadaptés sociaux. Ce sentiment de vivre dans une bulle, je le vis depuis 18 mois maintenant, trois fois plutôt qu’une. Toutefois, les solutions pour briser l’isolement proposées par notre joyeux duo sont cyniquement désolantes.

D’abord, il faut savoir que selon eux, le summum d’une vie socialement réussie, c’est d’aller dans des 5 à 7.

Même Catherine Perrin semblait ressentir un certain malaise devant une telle affirmation. Personnellement, elle me déroute de superficialité. Ils ajoutent par la suite que si l’on souhaite continuer de se faire inviter dans les 5 à 7 même une fois notre progéniture expulsée du vagin de la mère, il faut « se tenir loin de l’image du parent exténué qui parle juste de son enfant et de sa fatigue ». Il faut éviter de mettre trop de photos de nos enfants sur Facebook et, surtout, éviter de faire des statuts « de parents ennuyants » du genre « ma poupounette a fait son premier caca » et les troquer pour « des statuts de jeunes qui sortent ». Bref, interdiction de se vanter du fait qu’on a des enfants, qu’on est fier d’eux et qu’ils ont à nos yeux accompli de grands exploits (parce que oui, le premier caca d’un bébé, c’est un exploit – parlez-en aux parents d’enfants qui souffrent de constipation ou qui, pire, sont nés avec des problèmes aux intestins). En d’autres mots, avoir des enfants, c’est une plaie dont on devrait avoir honte. Pour estimer avoir réellement réussi dans la vie, il ne faut pas s’assurer une descendance ; il faut fréquenter les événements mondains.

Aux dires de ces deux personnes qui savent supposément de quoi elles parlent parce qu’elles sont elles-mêmes parents, il est plus socialement acceptable d’être lendemain de veille parce qu’on a bu trop de daïquiris dans un party que de mettre au monde un bambin. Je n’exagère rien, ce sont eux-mêmes qui l’ont dit.

J’ai de la difficulté à commenter tellement je trouve ces assertions grossières. Encore une fois, je le répète, je comprends que cela est censé faire rire, que ça ne reflète pas nécessairement la pensée de Théorêt et Soutière, or, normalement, les blagues font rire parce qu’elles renferment une grande part de vérité – la foule se bidonne parce qu’elle se reconnaît dans ce dont l’humoriste parle. J’en conclue donc que ces jokes de parents jet set reposent en grande partie sur une conception réelle de la parentalité : ayons des enfants, oui, mais à condition que ça ne paraisse pas trop. Que ça ne vienne pas changer ce que nous sommes, ce que nous faisons et la manière dont nous le faisons.

Si vous adhérez à cette vision des choses, eh bien, j’ai des petites nouvelles pour vous : procréer, ÇA BOULEVERSE une vie. Après, il n’y a plus rien de pareil. Si vous comptez que votre train de vie post-accouchement soit semblable en tous points à celui pré-accouchement, vous vous enlignez tout droit vers une dépression. Vous allez vous brûler. Il faut faire des choix à un certain moment dans une existence : soit on est branché parce qu’on ne rate aucun lancement, cocktail ni autre activité glamour, soit on devient rangé, on est heureux d’avoir du temps pour regarder un film à TVA un vendredi soir et on considère que se lever à 7h30, c’est faire la grasse matinée.

Il n’y a pas un mode de vie mieux que l’autre. C’est-à-dire qu’il est tout à fait correct qu’une certaine tranche de la population décide de vivre librement, sans enfants et de mettre toute son énergie dans sa carrière et ses amitiés, tandis que d’autres choisissent de fonder des familles et d’avoir des plaisirs un peu moins éclatants. Les deux sont légitimes, les deux se respectent. Il faut toutefois arrêter de faire croire à ceux qui font partie de la deuxième catégorie qu’ils pourront continuer d’appartenir à la première à temps partiel. C’est de la grosse bullshit. Non seulement ça ne sera pas possible, mais en vérité, ça ne risque même pas de vous tenter.

Alors pourquoi continuer de nous faire feeler cheap parce qu’on ne sort jamais, parce qu’on n’est pas au courant des derniers potins du Plateau ou du Mile-End, parce qu’on vit comme des ermites ? Et pourquoi nous traiter comme si, en même temps que parents, nous étions devenus débiles ? Pour en revenir à l’extrait radio qui m’a fait sortir de mes gonds, Théorêt et Soutière poursuivent leur délire en tâchant d’éduquer les pauvres parents et en leur montrant comment tenir « une conversation d’adultes » – c’est-à-dire une conversation qui ne tourne pas autour des enfants.

Selon eux, les jeunes parents n’ont pas le temps de se forger d’opinion sur l’actualité et sur tout ce qui se passe dans le monde, alors cela fait d’eux des êtres insignifiants qui n’ont rien à dire. « Un jeune parent, ce que ça n’a pas dans la vie, c’est une opinion sur la charte », dixit Théorêt. Pardon ? Je suis maman de triplées et, c’est drôle, j’en ai une, une opinion sur la charte (des valeurs québécoises, je précise, pour les jeunes parents dans l’assistance qui n’auraient pas eu le temps de s’informer dernièrement.) Avoir des bébés n’a pas fait de moi une ignare inculte qui est incapable de saisir les enjeux sociaux et d’en penser quoi que ce soit de pertinent. Mon QI n’a pas baissé parce que j’ai mis au monde des rejetons. D’accord, je n’ai pas beaucoup de temps libres pour étoffer mes opinions et approfondir les sujets qui m’intéressent, mais je connais bien des gens qui n’ont pas d’enfants qui ne prennent pas cette peine non plus. Ça n’a donc rien à voir avec la disponibilité des temps libres, mais concerne plutôt l’intérêt que nous avons à la base, comme individu, pour ce genre de choses.

Parmi les solutions qu’ils nous proposent pour pallier notre ignorance, il y a celle de faire sentir aux autres qu’ils sont caves pour dissimuler notre propre incompétence, avoir recours à des applications mobiles du genre Conversation starter pour se trouver des idées de sujets vraiment intéressants ou employer la technique de la chèvre myotonique et feindre de s’évanouir lorsque nous sommes à court d’arguments pour ainsi gagner la sympathie de nos interlocuteurs. J’imagine que c’est ici que j’étais censée m’esclaffer et dire « AHAHA ! Mais comme ils sont rigolos ces gens dans ma radio. » J’ai plutôt eu envie d’écrire une plainte à Radio-Canada.

« C’est juste une chronique dans une émission de radio Mélissa, calme-toi le pompon. » Certes, je pourrais le prendre moins personnel, toutefois, je ne peux m’empêcher de croire qu’une telle intervention est symptomatique de toute une culture bel et bien réelle du « faisons-des-enfants-tant-que-ça-ne-nuit-pas-trop-à-notre-individualité-et-jugeons-ceux-qui-ne-parviennent-pas-à-rester-aussi-trendy-que-nous-en-ayant-des-mômes ».

Un truc que les deux clowns ont oublié de mentionner, c’est celui-ci : allez porter vos enfants à la garderie dès l’ouverture à 7h le matin et n’allez les chercher que quelques minutes avant la fermeture, le plus tard possible. Comme ça, vous devriez être bons pour avoir 50 heures de libres dans votre semaine pour aller travailler, oui, mais surtout pour penser à vous et ne pas vous laissez influencer par cette sale marmaille qui vous rend mous et apathiques. Faites des enfants mais ne vous en occupez pas. C’est le meilleur moyen pour rester hip tout en pouvant recevoir des crédits d’impôt pour le soutien aux enfants du gouvernement.

***


C’est à la toute fin, vers 1h27, me semble-t-il.





5 commentaires:

  1. Bonjour,
    Un petit mot pour te dire que ton blogue me fait du bien. J'éprouve beaucoup de plaisir à te lire.
    Je viens d'avoir un bébé. Dans les moments les plus difficiles, je me plonge dans tes textes et cela me remonte le moral.
    C'est sympathique aussi car j'ai pris des cours d'italien avec mon amoureux cette année, et j'ai aussi vécu à l'étranger (Suède) pendant plusieurs années. Tes récits sont d'autant plus agréables puisque qu'ils font écho en moi.
    Merci.
    Fannie

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  2. Bonjour Fannie,

    Merci pour ton message, ça me fait très plaisir. Je suis contente que mes textes te plaisent, que tu t'y retrouves, qu'ils te fassent du bien. Ça m'en fait à moi aussi, de savoir ça :)

    Si tu veux pratiquer ton italien, tu peux toujours aller lire la versione italiana (qui ne contient que d'anciens articles cela dit) ;)

    Au plaisir!

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  3. Je n'ai pas écouté la chronique, mais juste à te lire, je n'ai pas besoin de me faire ressasser ces clichés gros comme le bras. Ça fait partie du rite de passage de réaliser que ta vie est bouleversée à tout jamais (pour reprendre ton terme). Pis que ta notion de cool doit s'adapter. Cool devient autre chose. Il doit le devenir. N'importe qui avec si peu de sommeil doit revoir ses priorités anyways. Question de survie.

    Merci pour ce texte Mélissa :)

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  4. «N'importe qui avec si peu de sommeil doit revoir ses priorités.»

    Je crois que tu viens de tout résumer en une seule phrase! Merci à toi, Marianne, pour ta concision ;)

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  5. Bah, pour nous, c'était pire: on était déjà pas mal décrochés de la vie "jet set" AVANT d'avoir des enfants. On se couchait déjà pas mal tôt, on se levait tôt aussi... Ce n'est donc pas au niveau des horaires ou des sorties que le bébé a changé la vie, mais plus au niveau de ce qu'on fait maintenant avec le temps "libre" (qui n'existe pratiquement plus). Écouter un film en deux parties? Ben oui, on s'habitue...

    Je crois en effet que sous l'humour, il y a quelque chose de vrai dans cette chronique: on se doit d'être encore "hot", d'avoir quelque chose à dire qui s'accroche à la réalité. Personnellement, ça me faisait du bien de parler de la charte avec le monde, parce que je ne tenais pas à parler tout le temps de mes enfants, comme si justement je n'avais plus rien à moi, plus d'opinion, plus de cerveau. En contrepartie, si mes amis s'insurgent quand je parle de Léo, ben, je ne sais pas trop ce que je fais avec ce monde-là. Normalement, on parle avec nos amis des sujets qui nous préoccupent, non? Les enfants, ben, c'est certainement un sujet important qui viendra dans la discussion!

    Alors, les 5 à 7, j'étais déjà pas très fervente avant la grossesse, je n'en suis pas plus fervente après. Parce que ça tourne à vide, ça ne m'apporte pas beaucoup au niveau de l'amitié, je trouve. Je préfère rencontrer mes amis autour d'un bon thé, en petits groupes, pour avoir de vraies discussions qui passeront par toutes les palettes de nos quotidiens. Et ça, ben, avec des enfants, ça se raréfie, ce qui est un deuil à faire...

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