jeudi 22 août 2013

Une douleur et des poussières

La dernière fois que j’ai laissé ma trace ici, c’était à la mi-novembre. Il y a 9 mois. L’équivalent d’une grossesse (normale, pas celle que j’ai connue, qui n’en a duré que 6.) Neuf mois de gestation. Qu’est-ce que j’ai « gestationné » pendant tout ce temps ? se demandera-t-on. Un nouveau moi-même. Ou, plutôt, le retour de l’ancien moi-même. Ça m’aura pris toutes ces semaines, tous ces mois, pour retrouver un peu de qui j’étais. Retrouver ma santé, aussi.

Ces mois furent parmi les plus difficiles de ma vie. Jamais je n’avais été aussi exténuée. Physiquement, psychologiquement et tous les « quement » qui existent. Fut un moment où je croyais que j’étais en train de devenir folle. On m’a dit plus tard que ce que j’avais expérimenté, c’étaient des crises de panique. Fatiguée comme je l’étais, je n’arrivais plus à gérer mon anxiété et celle-ci a fini par prendre le dessus sur moi. Ma bibitte intérieure était en train de me bouffer tout rond. Je n’avais plus l’énergie nécessaire pour la combattre. Jamais je ne m’étais sentie ainsi. Et je croyais que plus jamais je ne pourrais me sentir bien à nouveau. Heureusement, ce n’est pas ce qui est arrivé.

Les choses se sont placées, tranquillement. J’ai dû admettre que guérir prenait du temps, qu’on ne se remettait pas toujours de nos blessures aussi rapidement qu’on le souhaiterait. À partir du moment où j’ai accepté cela, déjà, mon état s’est mis à s’améliorer. Ce n’est pas évident, dans le monde dans lequel on vit, de prendre son temps. S’il y a une chose qu’on puisse difficilement se permettre dans notre société qui carbure à la performance et à l’instantanéité, c’est la lenteur.

Le repos, la méditation, la contemplation, la réflexion, l’attente, le calme, ce sont tous des luxes. Des luxes gratuits que, pourtant, seuls les gens bien nantis semblent être en mesure de se payer. Or, moi, c’est tout ce dont j’avais besoin. Aucune pilule, aucun remède miracle, aucune cure ne pouvait venir à bout de mon problème ; rien ne pouvait m’aider mis à part le lent passage des minutes qui s’étirent, le sommeil et quelques séances d’introspection. Si se payer ce genre de traitement relève de l’inaccessible pour la plupart des gens, parvenir à le faire lorsqu’on a trois enfants en bas âge représente un défi encore plus grand. Mais je l’ai fait. Je n’avais pas le choix. C’était ça ou je passais le reste de ma vie malade.

Maintenant que je vais mieux, je réussirai peut-être à trouver quelques minutes ici et là pour nourrir ce blogue. Il le faudra. J’en ai besoin. Besoin d’écrire, de partager, de communiquer, de sentir que je prends part au monde en mouvement, que je ne suis pas que spectatrice. C’était bien ce qu’il y avait de plus terrible dans ce qui m’est arrivé à l’hiver et au printemps : j’avais l’impression que je ne pouvais qu’assister, impuissante, à ma vie qui défilait. Que j’avais complètement perdu le contrôle de mon existence. D’accord qu’il faille apprendre à laisser aller, à « goer » with the flow, à faire confiance, pis toute, pis toute, mais il y a toujours bien des limites à se laisser porter par la vague sans jamais avoir la satisfaction de participer aux décisions qui régissent notre destin.

À partir d’aujourd’hui, mon destin (je ne suis pas certaine d’aimer ce mot, qui me semble référer à une ligne toute tracée d’avance – mais je n’en trouve pas d’autres), je le reprends en main. Et ça commence par cette entrée de blogue, tout en simplicité et en honnêteté. Le premier pas vers mon mieux-être aura été ceci : avouer publiquement et bien humblement que jusqu’à tout récemment, je n’allais pas bien. Vraiment pas bien. Quand on s’est croisés et que vous m’avez demandé « Salut, ça va ? » et que je vous ai répondu « Oui, oui, et toi ? », je vous ai menti. Parce que je me doutais bien que votre question n’était que rhétorique et que de la réponse, vous vous en foutiez bien. Et pour tout vous dire, moi aussi, je me foutais carrément de la vôtre. J’étais trop centrée sur mon petit malheur devenu grand.

La douleur a cela de terrible qu’elle se partage très mal. Ceux qui la subissent ont inéluctablement l’impression que personne n’est capable de comprendre ce qui les gruge. Alors on la vit chacun de son bord. C’est bien dommage, parce qu’en réalité, toutes les douleurs, bien qu’elles soient uniques, se ressemblent. Et le jour où on réalise cela, la proximité entre son drame et celui du voisin, on devient moins cynique, moins triste, moins toutes sortes de choses pas belles du tout, et on s’ouvre à ce qui nous entoure. Parce que malgré tout ce qui nous abat, tout ce qui rend l’humain si laid et si détestable, tout ce qui fait que notre planète tourne tout croche et que les journées nous semblent parfois interminables, de la beauté, il en reste toujours.


La beauté qui m’a sauvée, c’était celle cachée dans le sourire de mes trois filles et dans les accolades qu’elles me faisaient comme pour me dire « T’en fais pas maman, tout ira mieux bientôt. » Je les ai crues. Me suis dit qu’à un an et des poussières, contrairement à moi et à toutes les femmes et tous les hommes, elles n’avaient pas encore appris à mentir et que leur candeur ne pouvait qu’être porteuse de vérité.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire