mercredi 4 septembre 2013

L'inflation des dents de lait ou l'art d'éduquer ses enfants

           
Aucun mode d’emploi n’existe pour nous détailler la meilleure manière d’élever des enfants. C’est une chose qu’on doit apprendre « sur le tas ». Il existe une trâlée de livres de psychologie populaire pour nous renseigner sur la façon dont on devrait leur apprendre à faire ceci ou cela, des bouquins boboches sur les relations père-fille manquées, des tonnes de Coups de cœur Renaud-Bray pour nous conforter dans nos angoisses de parents perfectionnistes ayant mis au monde des enfants pas du tout parfaits. En vérité, aucun de ces ouvrages ne peut réellement nous aider à devenir une bonne mère ou un bon père. On doit se construire seul. Apprendre de ses erreurs, faire preuve de gros bon sens et espérer que ses maladresses ne laisseront pas trop de séquelles dans la vie de sa progéniture.

            Aucun livret explicatif ne vient avec ses bébés, cependant, une certaine dose de logique et un instinct bien développé peuvent être d’un grand secours dans toutes sortes de situations. Devrais-je acheter un iPad à mon enfant de six ans ? Est-ce adéquat pour mon bambin de 18 mois de passer ses journées scotché au téléviseur ? Est-ce une bonne idée de donner des chips comme collation à mon p’tit pou de quatre ans ? Ma fillette de huit ans veut porter des g-string ; devrais-je succomber à ses supplications et lui en acheter un paquet de dix au Walmart ? On ne sait jamais à 100 % si on prend la bonne décision, mais il y a certainement des choix plus sensés que d’autres.

            Toutefois, j’ai l’impression que nous vivons dans un monde où une (grande?) partie des parents ont perdu leur GBS. Beaucoup de mamans et de papas se laissent mener par le bout du nez par leurs enfants, ils accusent leurs éducatrices à la garderie ou leurs professeurs d’école de ne pas les éduquer convenablement alors que c’est à eux que cette tâche incombe, ils gèrent leur relation avec leurs enfants en appliquant les lois du marché. Je suis tombée sur cet article plus tôt cette semaine, dans la section « Insolite » du journal, qui nous parle des cours de la bourse sur le marché des dents de lait.

En gros, on y raconte qu’aux États-Unis, la Fée des dents est de plus en plus généreuse et que certains enfants reçoivent jusqu’à 100 $ parce qu’ils ont perdu une canine – comme si c’était un exploit. Les pauvres parents vivent un stress indescriptible parce qu’ils ne savent plus quel montant vaut une molaire et comment agir lorsque leur plus jeune se retrouve édenté. Cinq dollars, c’est-tu assez ? Qu’est-ce que ses amis vont penser s’ils apprennent qu’on lui a donné JUSTE deux piastres pour sa dent ? Ils vont sûrement le juger et le rejeter. On ne voudrait pas que son enfant soit ostracisé parce que la Fée des dents n’a pas été assez généreuse avec lui, donc on va lui donner 20 piastres.

            ON ME NIAISE ? Depuis quand la Fée des dents est sujette à l’inflation et ses prix sont-ils influencés par les cours de la bourse ? Les parents sont-ils rendus à ce point faibles qu’ils ne sont même pas capables de faire comprendre à leurs descendants qu’une dent de lait, ça vaut une piastre, pas plus, pis qu’ils peuvent même se compter chanceux de recevoir un beau dollar tout rond parce que sérieusement, perdre une dent, ça n’a rien d’extraordinaire ? La légende de la Fée des dents, c’est cute. Je n’ai rien contre cette mignonne fable qu’on raconte aux garçons et aux fillettes pour leur faire oublier qu’ils ont du sang plein la gueule, au contraire. Tant qu’elle reste en dehors des préoccupations mercantiles qui gèrent le reste de nos vies. C’est comme pour le Père Noël : c’était une charmante histoire avant que Coca Cola ne s’en empare et n’en fasse une excuse pour dépenser la moitié de son salaire annuel en cadeaux futiles.  

            J’ai peur pour mes filles parfois. Parce que F. et moi, on essaye de les éduquer selon des valeurs qui semblent désuètes. On essaie déjà de leur inculquer les sens du devoir et du partage, la patience. Elles sont un peu jeunes pour comprendre qu’elles ne peuvent pas tout avoir tout de suite, mais on finira bien par leur faire réaliser. Cependant, si c’est vrai que les parents d’aujourd’hui éduquent leurs enfants comme ce qu’on prétend dans les journaux et dans les émissions télé, quand elles commenceront l’école, elles risquent d’avoir un choc. Je peux déjà présumer qu’elles seront jugées, ridiculisées et tout le tralala parce qu’elles ne feront pas comme tous les petits amis de leur classe. Elles n’auront pas de cellulaire en maternelle, elles ne me parleront pas comme un adolescent parle à sa gang de chums, elles ne s’habilleront pas comme la Miley Cyrus de leur époque, ne seront pas autorisées à regarder la télévision jusqu’à 22 heures ni à chatter avec leurs amies pendant des heures alors qu’elles n’ont que huit ans. Et elles ne recevront certainement pas 100 $ parce qu’elles se sont arraché la palette. Il n’en est pas question.

            Est-ce moi qui suis déconnectée et pas assez de mon temps ? Ai-je tort de croire que j’ai vécu une enfance heureuse loin d’Internet, des téléphones intelligents et de la tv câblée et que mes filles devraient en faire tout autant ? Est-ce légitime de penser que mes filles, comme moi je l’ai fait, devront travailler pour obtenir quelque chose, apprendre à économiser leurs petits sous, tout faire pour mériter les récompenses qu’on leur offrira ? Apprendre à argumenter, aussi. À demander les choses poliment, puis, si je les leur refuse, à m’expliquer à l’aide d’au minimum trois bonnes raisons pourquoi je devrais changer d’avis selon elles. Pourquoi cela est-il essentiel que la Fée des dents leur donne un billet de 20 ?


            À vrai dire, je suis convaincue qu’elles aussi ne trouveront pas ça normal que la valeur marchande des dents de bébé soit rendue aussi élevée. Parce qu’élevées, elles, elles le seront.



1 commentaire:

  1. Ah ah ah! Toi aussi, tu trouves ça? eh ben, nous aussi des fois on se pose des questions sur la discipline et l'éducation. D'une certaine manière, à force de devoir répéter, donner des punitions, féliciter quand il réussit à demander poliment, on se dit qu'on comprend pourquoi certains démissionnent. C'est tout un travail.

    Mais en même temps, on en est heureux quand on sort avec lui et qu'on passe du bon temps au restaurant, en visite ou en voyage parce qu'il est capable d'agir en société. Et on a le goût de recommencer et de l'apporter avec nous encore. :)

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