mercredi 4 juillet 2012

Journal d'une éclopée


Il y a un mois que je n’ai pas écrit ici, faute de temps. J’ai passé toutes ces journées à veiller mes filles à l’hôpital, à les regarder grandir, à espérer que les heures passent aussi rapidement que des battements d’ailes de colibri et qu’elles nous rapprochent ainsi du moment où elles s’en viendraient avec moi à la maison. La semaine passée, je me suis forcée à prendre deux jours de congé afin de me reposer, car ce rythme de vie commençait à me rentrer dedans. Mais comme je suis une hyperactive incapable de s’arrêter, j’ai plutôt profité de ces deux journées pour faire le grand ménage et pour retravailler mon deuxième livre, qui sortira à l’automne.

Samedi, avec F., nous avions décidé de nous rendre à l’hôpital tôt le matin afin d’y laisser le lait maternel dont les petites avaient besoin pour la journée et d’ensuite filer en Beauce, au chalet de mon père, pour profiter du soleil, passer du temps en famille et recharger nos batteries. Nous sommes arrivés peu avant l’heure du dîner, avons mangé d’excellents roteux sur le barbèque, lancé quelques blagues et nous sommes dirigés aux abords du lac. Les uns faisaient du Seadoo pendant que les autres se faisaient bronzer ou sirotaient une bière sans alcool tout en jasant de tout et de rien avec le paternel (devinez laquelle de ces activités était la mienne). Mon chum, lui, avait choisi de faire une petite sieste dans le chalet, épuisé par la digestion de ses hot-dogs et notre quotidien complètement exténuant des derniers mois.

Après la siesta de F., j’avais envie qu’on aille faire une promenade en quatre roues, pénards, les cheveux dans le vent et les yeux perdus à l’horizon. F., qui n’avait jamais fait de quatre roues, préférait tout de même conduire, ne faisant vraisemblablement pas confiance à mes talents de chauffeuse tout terrain. Mon père nous a laissé son téléphone afin que nous puissions le rejoindre si jamais nous tombions en panne. Munis de nos casques, le cœur léger et du soleil plein la tête, nous sommes partis à l’aventure.

L’expédition n’aura duré que cinq minutes.

Nous étions encore sur le rang, à la recherche d’un chemin de terre où nous pourrions pénétrer, quand Francesco s’est arrêté. « J’ai de la difficulté à contrôler le véhicule, il dévie constamment sur la droite », m’a-t-il dit. Il est tout de même reparti, en étant vigilant et en tentant de compenser la déviation du volant. Trente secondes plus tard, nous avons pris le champ.

Le quatre roues est parti vers la droite, probablement à cause de l’inclinaison de la route qui était plus accentuée à cet endroit, et F. n’a pas été en mesure de rectifier sa trajectoire. J’ai cru sur le coup qu’il essayait de faire une blague en feignant d’emprunter un chemin qui n’en était pas un. Mais non. F. n’était tout simplement plus maître de la situation. Il a tout juste réussi à faire courber le véhicule vers la gauche de sorte que celui-ci ne s’est pas complément renversé sur nous une fois au fond du fossé.

La scène s’est échelonnée sur deux secondes et demie ; j’ai eu l’impression qu’elle s’est étendue sur des heures. Tout a défilé si vite dans ma tête. Je me disais « eh merde, des triplettes pu de parents, ce n’est vraiment pas une histoire qui finit bien ». Finalement, il y a eu plus de peur que de mal. F. s’est relevé d’un bond, poussé par l’adrénaline. Voyant que j’étais incapable de me retirer de l’emprise du quatre roues, il s’est mis à paniquer, croyant que ma jambe était coincée sous le mastodonte ou, pire, que celle-ci avait été déchiquetée par la bête. En vérité, c’était seulement ma gougoune qui était prise et qui m’empêchait d’enlever ma jambe de là. (Des gougounes, je sais, ce n’est pas ce qu’on appelle un équipement idéal pour faire du quatre roues, mais finalement, une chance que c’est ce que je portais, j’ai ainsi eu moins de difficulté à sortir de mon piège !)

F. n’en avait que pour ma jambe, convaincu qu’elle était blessée, tandis que moi j’essayais de lui faire comprendre que c’était mon bras le problème. Je n’arrivais pas à me relever, incapable de prendre appui sur mon poignet gauche, qui était rendu mou comme le phallus d’un vieillard qui n’arrive plus à bander devant les photos illicites de jeunes femmes qui n’ont pas tout à fait l’âge de faire de la pornographie. Je ne ressentais pas de douleur. Elle était engourdie par l’adrénaline. C’est seulement une fois assise dans la voiture de deux bons samaritains qui passaient par là et qui ont proposé de me ramener au chalet de mon père que la douleur a fini par ressortir. Et elle était vive. Je savais que je n’aurais pas le choix de me rendre à l’urgence. Une journée sans aller à l’hôpital, ce n’est pas possible dans ma vie.

J’ai attendu 2 heures à l’hôpital de Saint-Georges sans que rien ne se passe. Je suis allée voir l’infirmière au triage pour lui demander si selon elle je passerais dans la prochaine heure puisque je devais absolument retourner chez moi pour tirer mon lait – dans l’énervement, une fille ne pense pas nécessairement à prendre son tire-lait. Selon elle, j’en avais pour au moins encore une heure à attendre. J’ai donc décidé de repartir chez mon père afin d’aller me vider les seins et d’éviter de faire une mastite – j’étais déjà suffisamment mal amanchée. Quand je suis revenue à l’hôpital, bien entendu, ils avaient appelé mon nom. Comme je n’étais pas présente, ils m’ont sortie de la liste. J’avais juste envie de brailler. L’infirmière a eu pitié de moi et m’a fait passée tout de suite, considérant que le fait de devoir allaiter était une raison valable pour quitter momentanément la file d’attente. Si elle avait su que j’allaitais non pas un, mais bien trois bébés, j’aurais probablement eu le droit à un massage de pieds, en plus de sa pitié.

J’ai fini par sortir de là à 23h15. Sans plâtre. Car les orthopédistes ne travaillent pas le soir. Ni la fin de semaine. Et encore moins le jour de la Confédération. Et le lundi suivant. Bref, je n’ai eu mon plâtre qu’hier matin, 72 heures après l’accident. Pour ce, il m’a fallu attendre un autre 4 heures à l’hôpital de Lévis. En Italie, 2 heures en tout et pour tout auraient suffi à régler mon problème. Parfois, je me demande pourquoi je ne suis pas restée là-bas pour accoucher. D’autant plus que dans ce pays, le quatre roues n’est pas un sport très, très populaire. Remarquez, mon destin étant ce qu’il est, j’aurais probablement fini par me casser le poignet autrement. Peut-être en m’enfargeant dans un saucisson traînant inexplicablement par terre. Au moins, là-bas, j’aurais pu me saouler pour oublier mes problèmes sans que ça ne me coûte un bras.

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