Mardi dernier, pour célébrer
l’anniversaire de mon beau-père, nous sommes allés au restaurant – devinez quel
type de cuisine nous avons mangé ? Italienne traditionnelle, bravo !
Vous gagnez une belle cuisse de prosciutto !
Je n’avais pas beaucoup d’appétit en arrivant là-bas (je devais avoir un bébé
sur l’estomac, littéralement), mais j’étais tout de même heureuse de partager
ce beau moment avec famille et amis. Nous nous sommes attablés, avons commandé
et fait un premier brindisi (porter
un toast).
Depuis le début du mois de
novembre, je suis congelée à cause de cette humidité qui pénètre les os et qui
refuse de nous quitter, or, dans ce restaurant, il faisait chaud. Très chaud.
Le chauffage provenait du plancher, nous sentions donc la chaleur entrer en nous
par nos orteils et monter tout le long de notre corps jusqu’à nos joues, qui
sont rapidement devenues rouges sauce tomate italienne. En d’autres
circonstances, j’aurais peut-être apprécié cette vague de chaleur
réconfortante, mais en raison de mon état, disons qu’elle n’eut pas d’effets
très bénéfiques.
Après avoir mangé une délicieuse
entrée de fleurs de zucchini farcies au ricotta, j’ai commencé à me sentir plus
ou moins bien. Je n’arrivais pas à trouver de position confortable et gigotais
constamment sur ma chaise. L’air semblait avoir de la difficulté à se rendre
jusqu’à mes poumons, mon visage était en feu et je commençais à avoir mal au
cœur. J’eus à peine le temps de dire à F. que je devais sortir prendre l’air
que déjà j’étais dehors, en t-shirt, à essayer de faire redescendre ma
température corporelle. La tête me tournait comme si j’avais bu deux bouteilles
de vin à moi toute seule. Je dus m’accroupir un instant contre un muret de
béton car j’avais peur de m’évanouir. Je suppliais F. dans ma tête pour qu’il
vienne me rejoindre, cependant, il n’arrivait pas. Il n’avait pas compris que
je ne me sentais pas bien, il croyait que j’étais simplement allée aux
toilettes.
Après quelques minutes, j’ai fini
par reprendre mes esprits. J’ai rejoint tout le monde à table. Les plats
principaux venaient tout juste d’arriver. Je n’avais plus du tout envie de
manger des côtes d’agneau et des pommes de terre au four, mais je pris tout de
même quelques bouchées, puisqu’il paraît que l’appétit vient en mangeant. Ce
n’est pas toujours vrai. Dans ce cas, ce sont plutôt les étoiles qui sont
venues. La sensation d’être sur le point de m’évanouir reprit de plus belle, j’étais
blanche comme un fantôme à la guimauve, tout valsait autour de moi, je ne
comprenais plus où j’étais. Ma belle-mère m’incitait à me coucher et à relever
mes jambes, mais j’avais de la difficulté à réfléchir aux mouvements que je
devais accomplir pour réussir un tel exploit.
Notre voisin de table est
intervenu. Sono medico. Il y avait un
médecin dans la salle, soulagement. Je ne voyais pas son visage. J’entendais
seulement sa voix en sourdine. On aurait dit que j’avais de la ouate dans les
oreilles. Le monde disparaissait tranquillement autour de moi. Le docteur ainsi
que F. sont finalement parvenus à me faire étendre sur la banquette et à me
relever les pieds. Lentement, le sang s’est remis à circuler et à pouvoir
atteindre mon cerveau. Tout ce liquide rouge qui affluait soudainement jusqu’à
ma tête créa une pression incroyable, j’étais certaine qu’elle allait exploser.
Mon nouveau médecin de famille (tout de même, sans le savoir, il traitait 4
personnes du même coup le cher homme) tenait mon poignet. Vous êtes en tachycardie et votre pression systolique est un peu
élevée. Restez comme ça quelques minutes, puis, relevez-vous tranquillement
quand vous sentirez que ça ira mieux. Il me prodigua d’autres conseils, que
j’écoutais à moitié car j’arrivais à peine à me rappeler comment je m’appelais
et pourquoi tous ces gens me parlaient en italien. Il ne faut pas manger de gros repas. Il faut manger peu et souvent.
Sinon, vous bloquez le passage, votre diaphragme ne peut plus bien fonctionner
et votre pression va chuter drastiquement. Mais j’ai mangé une toute petite
entrée et trois bouchées d’agneau monsieur, ce n’est pas ça que j’appelle un faste
repas! Devrai-je me contenter de graines de tournesol et d’eau minérale pour le
restant de ma grossesse ?!
Mon malaise avait provoqué une
petite commotion dans le restaurant. Ma belle-mère expliquait à qui voulait
bien l’entendre que j’étais enceinte de triplés, qu’il n’y avait probablement
rien de grave, seulement une petite chute de pression. Des triplés ?!
Certains visages durent devenir aussi blêmes que le mien. Tout le monde nous
regardait et le propriétaire se demandait s’il ne devait pas appeler
l’ambulance. Cela ne fut pas nécessaire, mon médecin de famille improvisé avait
su prendre bien soin de moi.
Une fois que je repris ma
position assise et que la vie fut revenue sur mon visage, le médecin se leva à
nouveau de son siège et s’approcha de moi. Lei
diventa grossa. Mot pour mot, cela signifie Vous devenez grosse. Au présent. L’homme voulait dire qu’avec trois
bébés, j’allais devenir grosse dans un avenir plutôt rapproché, mais au lieu de
parler au futur, il s’exprimait comme si cela était en train de se produire à
l’instant même. Je rigolai. Lui pas. Il répéta au moins trois fois Lei diventa grossa. Il ne disait pas
cela pour m’insulter, seulement pour me prévenir des dangers éventuels. Il serait vraiment important que vous
commenciez des exercices de respiration dès maintenant et que vous fassiez du
sport. C’est primordial. Parce que lei diventa grossa. OK, merci, c’est
beau, j’ai compris. Je vais avoir l’air d’une baleine dans pas long et les
baleines ont plus de chance de survie lorsqu’elles savent comment inspirer et
expirer convenablement.
Plus tard, F. m’a expliqué que le
médecin s’était exprimé ainsi, en utilisant le présent plutôt que le futur,
parce qu’il était romain et que les gens de Rome ont cette particularité de
langage. Pour ma part, je dois avouer que je n’avais pas reconnu son accent
romain, tandis que j’avais des étoiles qui me poussaient autour de la tête et
que mon corps cherchait une parcelle de sol où s’effondrer.
Avant de quitter le restaurant, nous
nous sommes arrêtés à la table du docteur pour le remercier d’avoir pris soin
de moi. Mon beau-père lui serra la main en lui disant et j’ai l’honneur de m’adresser au docteur… ? Ce dernier
répondit Professore. Sono il professore
Chose Binouche. Scusez pardon. Mon médecin de famille n’était pas seulement
docteur, il était PROFESSEUR, donc une coche supérieure aux vulgaires
détenteurs d’un doctorat en médecine. Une fois à l’extérieur, Lorena, une amie
de la famille qui nous accompagnait pour souper et qui n’a pas la langue dans
sa poche, a lancé Professore. No ma, vai
a cagare! (Professeur, non mais, va donc chier !)
S’il y avait effectivement
quelque chose d’hautain dans la manière dont cet homme s’était présenté à nous
(ce qui a enlevé beaucoup de crédibilité à sa gentillesse), il faut savoir que
c’est une réaction plutôt normale venant de la part d’un dottore italiano. En
italien, les titres sont très importants. Tous les gens qui possèdent un
doctorat, peu importe en quoi, se font appeler dottore et généralement, c’est même inscrit sur leur boîte aux
lettres ou sur la porte de leur maison – Sachez qu’ici réside le Dottore
Ti-Coune Spaghetti. Les Italiens ne sont pas seulement respectueux vis-à-vis
des personnes portant un titre comme celui de docteur, ils sont carrément
déférents. Personnellement, ça me fait rigoler. Pourtant, je suis quelqu’un de
très poli qui vouvoie les gens qu’elle ne connaît pas. Seulement, je ne suis
pas hypocrite. Je ne fais pas semblant que ça m’impressionne que quelqu’un ait fait
des études en médecine, un doctorat en botanique ou un autre en théologie
indienne. Félicitations mon pet, tes parents avaient beaucoup d’argent et ont
pu t’envoyer dans une bonne université lorsque tu étais jeune, devrais-je te
lécher les fesses pour autant ? La meilleure, c’est la manière dont les
étudiants d’une université, justement, doivent s’adresser au recteur ; ce
dernier n’est pas seulement Monsieur le recteur, non, non : il est il Magnifico Rettore (le Magnifique
recteur). Ce n’est pas une blague. Laissez-moi rire quand même.
Quand mes enfants grandiront, un
jour, je leur raconterai peut-être cette histoire. Je leur dirai que lorsqu’ils
étaient à l’intérieur de mon ventre, ils me donnaient parfois un peu de fil à
retordre et qu’un certain soir, alors que je ne me sentais pas bien, un gentil Professore a pris soin de moi. Un professeur ? Tu veux dire une
maîtresse d’école, comme madame Solange ? Oui, c’est ça, ma chouette.
Maman a été sauvée par une maîtresse d’école.
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