Pour la plupart des femmes, le
premier trimestre d’une grossesse est particulièrement épuisant. Tous les
changements qui s’effectuent dans notre corps provoquent des sensations
étranges, des réactions nouvelles, une fatigue inédite. Nous perdons l’appétit,
nous avons des nausées, ce qui nous faisait envie auparavant nous dégoûte, tous
les films à la télé, même les plus insipides, nous font brailler. Vivre tous
ces bouleversements dans un autre pays que le sien en accentue les effets.
Durant les trois derniers mois, je me suis sentie doublement exilée. De mon
pays, puis, de mon propre corps. Je me sentais moi-même devenir un pays. Un
continent à la dérive. Une petite île solitaire que plus personne ne pouvait
comprendre.
Maintenant que je me sens mieux,
que j’ai survécu aux grandes poussées d’hormones et à cette affreuse sensation
de ne plus savoir qui j’étais ni à quel lieu j’appartenais, je m’en retourne
chez moi. Mon exil se transforme en retour. Or, n’est-ce pas la même
chose ? Revenir à la maison après plusieurs mois d’errance ne
constitue-t-il pas une autre forme de déracinement ? Alors que mes pieds
commençaient à s’habituer à la texture de cette terre éloignée, ils doivent la
quitter, retourner marcher sur des sols déjà vus. La vie n’est qu’une
succession de déportations, de départs, de séparations, de retrouvailles. Mais
ce que l’on retrouve n’est jamais exactement ce que l’on avait connu dans le
passé. Retrouver les siens, retrouver son quotidien, retrouver son existence
voudrait plutôt dire les voir d’un œil changé. Jamais plus le même. Les trouver
à nouveau, les découvrir pour une autre première fois.
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