« On
ne naît pas femme, on le devient », paraît-il. Mais pas facile de devenir
une femme dans ce monde où les mots n’existent pas toujours pour décrire ce que
nous sommes. La semaine, dernière, les bonzes de l’Académie
française ont décrété que le mot « auteure » était un barbarisme
inadmissible.
Barbarisme : GRAMM. Faute contre le langage soit dans la forme, soit dans
le sens du mot (mot créé ou altéré, dévié de son sens, impropre).
Selon
ces messieurs vêtus de costumes vétustes, ajouter un « e » à un mot
dévie celui-ci de son sens, donc. Que faut-il en déduire ? Que le métier
d’auteur ne devrait être pratiqué que par des personnes ayant la faculté de
pisser debout sans se tremper les pantalons ? Que les femmes qui exercent
la profession d’écrivain ne peuvent être que des amateurs (semble-t-il qu’on n’ait
pas prévu de forme féminine pour le mot « amateur » non plus, donc
impossible pour une femme d’être amatrice,
mais possible pour elle d’être experte ou professionnelle) ? Une fois
qu’on entre dans cette logique absurde, difficile d’en sortir…
Cette
histoire m’a beaucoup interpelée, en premier lieu parce que je suis maman et que
mes filles en sont présentement à découvrir le langage dans toute sa richesse
et sa complexité. De plus en plus, elles s’expriment avec des phrases complètes
et, chaque jour, leur vocabulaire s’agrandit. Telles des perroquets, elles
répètent tout ce qu’on dit. Elles me surprennent même à employer des mots que
je ne pensais jamais avoir utilisés devant elles. Souvent, elles ont recours au
terme juste, mais ne lui applique pas le bon genre. « C’est mon poupée. » « La sac est à maman. » Nous tenons pour acquis le genre
des mots, qui est ancré en nous depuis l’enfance, mais il est vrai que celui-ci
n’est pas toujours logique. J’essaie d’aider mes filles à se retrouver dans ce
capharnaüm qu’est la langue française, en leur enseignant les bonnes règles, d’une
part, mais aussi en leur montrant que les mots masculins n’ont pas plus de
valeur que les mots féminins, et vice-versa. De la même manière que papa n’est
pas meilleur que maman ou que maman n’est pas supérieure à papa. (Bon, ok, mon
chum est meilleur que moi pour monter un meuble IKEA et ma maîtrise du logiciel
Word est supérieure à la sienne, mais ça n’a rien à voir avec nos sexes, cela
étant plutôt tributaire de nos intérêts respectifs.)
En
deuxième lieu, le discours arriéré, machiste et condescendant tournant autour
de l’aspect « barbare » du mot « auteure » me touche
énormément en tant qu’écrivaine (on est au Québec, donc je me permets
cette impropriété outrancière et prends même la peine de la souligner). Il me blesse
car il témoigne de la perception qui continue de régner non seulement chez les
intellectuels autoproclamés immortels, mais aussi chez une grande partie du
lectorat et de la population en général : les femmes n’arrivent pas à la
cheville des hommes dans bon nombre de domaine. Elles peuvent bien s’adonner à
la poésie pour épancher leur âme dans leur temps libres si cela peut leur
éviter de sombrer dans l’hystérie, mais leur œuvre ne pourra jamais avoir la
même valeur que celle des barbus, des moustachus et autres représentants du
genre humain dotés d’une pilosité faciale – peut-être qu’une femme à barbe
aurait plus de chances de voir reconnaître ses qualités littéraires, qui sait…
Cela
n’est pas sans rappeler les controversés propos de l’écrivain et professeur
d’université David Gilmour, qui avait affirmé n’enseigner que des livres écrits
par des hommes parce qu’il n’aimait pas l’écriture des femmes, mise à part
celle de Virgina Wolf (vous trouverez ses propos exacts ici). Il en avait rajouté
en précisant qu’il n’enseignait « que le meilleur » – I teach only the best. En d’autres mots,
ce que les femmes écrivent, c’est du caca. Systématiquement. Sauf pour Virginia
(mais elle, elle était bipolaire et avait des tendances lesbiennes, ça fait que
c’est pas pareil, hein.)
Lorsque
j’ai envoyé le manuscrit de Voyage léger,
mon premier roman, à des éditeurs, l’un de ceux-ci m’a contactée par
téléphone pour m’expliquer les raisons de son refus. J’avais trouvé cela très
gentil de sa part. Jusqu’à ce qu’il me dise que je manquais d’imagination et,
surtout, que mon texte risquait de plaire seulement à des femmes, donc que
j’étais mieux de le faire parvenir à des maisons d’édition dirigées par des madames, qui seraient sûrement plus
sensibles à ma prose. Sous prétexte que ce roman racontait l’histoire d’une
jeune femme, qu’il était narré au Je
et qu’il abordait des thématiques typiquement féminines, voire féministes, dont
l’avortement, il ne pouvait pas plaire à un lectorat mâle, selon ce charmant
monsieur dont je tairai l’identité. (Ça me surprendrait qu’il lise ce blogue,
mais mettons que ce serait le cas, j’aimerais lui signaler au passage que ce
fameux livre sans imagination et dépourvu d’intérêt pour la gent masculine a
été finaliste au Prix France-Québec 2012 – probablement que cette année-là, sur
le jury, il n’y avait que des filles aimant les textes bourrés de clichés et
manquant d’originalité). J’en déduis que chaque fois que je lis un livre écrit
au Je dont le personnage est masculin
et où on parle de masturbation, de football et de brandy, il est impossible que
je sois touchée. Quant à avoir des préjugés, soyons conséquents, et ayons-en
dans les deux sens.
C’est
bien connu, l’universel est masculin. Et Ève est née de la côte d’Adam. Elle
est comme une sorte de sous-produit animal (vous savez, ces cochonneries dont
on nourrit parfois les animaux dans certains élevages industriels). En vérité,
cette idée d’une femme fabriquée à partir du corps de l’homme qui soit par
conséquent inférieure à lui est due à une interprétation du terme hébreux אַחַת מִצַּלְעֹתָיו, qui pourrait plutôt signifier « côté ».
Ève ne serait non pas sortie de la côte d’Adam, mais de son « côté »,
ce qui nous renverrait à l’androgynie universelle, à l’égalité des genres
indissociables. L’homme et la femme, côte à côte. Cette interprétation aurait
de quoi rabattre le caquet d’une belle trâlée de créationnistes, mais aussi
d’humbles catholiques et de gens qui, tout en se déclarant athées, sont
incapables de se défaire de leur éducation chrétienne et de la vision de la
femme que cette culture tend à véhiculer. Bref, ça fait l’affaire d’une
majorité, ce mythe de la femme qui descend de l’homme. Il vaudrait peut-être la
peine de rappeler que l’homme, lui, descend du singe.
C’est de ça qu’ils ont l’air, les membres de
l’Académie, avec leurs atours moyenâgeux : d’une belle bande de singes, faisant
des simagrées sur la place publique pour divertir les badauds. Et moi, je leur
dis, « mangez donc de la marde-avec-un-e » (s’ils ne savent pas où se
procurer de matières fécales, ils pourront toujours manger un de mes livres,
puisque ceux-ci ayant été écrits par une détentrice d’utérus, ils ne valent
apparemment pas beaucoup plus qu’un tas de fumier.)
Sur
ce, je m’en retourne à l’écriture de mon prochain Harlequin.
Moi aussi, ça m'a mise en sacra**** de lire cette "décision" de "l'Académie". Franchement, ils sont vraiment, mais vraiment, reculés!
RépondreSupprimerMais si j'essaie de penser par leur esprit arriéré, je crois que cette décision de ne pas utiliser "auteure" ou "écrivaine" vise surtout à ne pas "rabaisser" la femme en créant un mot pour elle. En effet, ce sont les professions avec un certain prestige en France qui se voient refuser la féminisation (président, ministre, etc.) D'une certaine façon, une femme qui accède à ces "fonctions supérieures" et qui devient auteur ou ministre entre alors dans le cercle général des auteurs ou ministres (au masculin: donc au pouvoir).
Si certains "écrivains femmes" refusent catégoriquement d'utiliser "écrivaine" en France, c'est justement pour éviter ce dont tu discutes dans ton texte: d'être étiquetées dans une sous-catégorie, la catégorie "féminine", donc moins reconnue et moins intéressante que la catégorie "générale" (qui est nécessairement masculine).
Quant à moi, cette façon de voir les choses me semblent tout aussi arriérées que ceux qui n'arrivent pas à voir la littérature écrite par des femmes comme de la littérature universelle.
Chère Nomadesse,
SupprimerJe crois que nos visions se recoupent, donc j'ai peu de choses à ajouter. Si ce n'est que je trouve infiniment triste que l'on considère la féminisation des termes comme une manière de rabaisser les femmes, de les confiner à une sous-catégorie. Au contraire, il me semble que ce devrait être perçu comme une fierté, un honneur, un accomplissement. Enfin... Qui sont ces filles qui déclarent qu'elles n'ont pas besoin du féminisme ? Vraiment ? On devrait discuter, elles et moi...
M.