Le radical. C’est le symbole qui ressemble à un
gros crochet et qu’on place devant un nombre pour signifier qu’on cherche à
trouver sa racine carrée. √4 = 2. Pas mal
tout le monde sait ça. Mais la racine carrée de soi-même, comment la
trouve-t-on ?
Quelle
est ma radicante ? Le fruit de mon ultime division ?
La
racine, c’est l’essence. C’est ce que nous sommes, dans notre plus simple
expression. Je suis 2. Je ne peux pas être moins que 2. La racine carrée de 2
est un nombre irrationnel. Moi, je veux être rationnelle. Je veux exister en
entier. Donc je m’accroche à des nombres réels. Donc je cherche à partager ma
vie avec quelqu’un qui m’aime et me ressemble. Notre grande quête d’amour n’a
rien d’ésotérique : elle est mathématique.
Le
radical. C’est l’envie qui me prend souvent de tout foutre en l’air. De
recommencer da capo. De faire table
rase et d’avoir à nouveau toutes les possibilités devant moi.
Le
radical, c’est la tentation cyclique qui m’habite de me déconnecter des réseaux
sociaux, de partir vivre à la campagne et de me planter un beau grand jardin
bio. Faire l’école à la maison à mes enfants, repriser les chaussettes
lorsqu’elles sont trouées au lieu d’en acheter de nouvelles, lire des essais et
de la poésie plutôt que de suivre des téléséries sur Netflix.
Dans
cette société qui est la nôtre, on nous répète sans cesse que le radicalisme
n’est pas bon pour la santé. Les radicaux nuisent au développement économique,
les radicaux tranchent la gorge des journalistes et des travailleurs
humanitaires, les radicaux ne chiquent que des racines de chicorée. Mais
n’existerait-il pas une forme d’extrémisme qui soit bénéfique ? Un
aller-jusqu’au-boutisme qui puisse nous libérer de nos grandes prisons – le
numérique, la politique, la maladie de plaire à tout prix ?
J’aimerais avoir le courage d’aller jusqu’au
bout de mes idées. Toujours. Pas seulement la moitié du temps. J’aimerais
arrêter de dire et faire, plutôt. Faire de mes mains, le plus possible. Pas à
travers mille machines censées me rendre la vie plus facile.
Je sens qu’elles me déconnectent de ma racine
carrée, les machines. Il m’arrive de m’imaginer ce que je deviendrais si
l’électricité venait à manquer, si l’Internet était débranché, si le pétrole
était épuisé. Ce que nous deviendrions. Un beau gros pas grand-chose
approximatif. Un nombre irrationnel, oui. Et ça me fait peur. Que notre survie
dépende des babioles que nous avons créées.
Comble de l’absurdité, je prends la peine de
raconter tout ça sur un blogue dont les données sont stockées quelque part en
Californie. J’écris en un lieu qui n’existe pas, quoi. Et à des gens tout aussi
inexistants. Le virtuel parle au virtuel, dans ce monde qui a besoin de
chiffres réels mais qui se contente d’une image sur un écran pour confirmer la
vérité.
Je serais aussi bien de raconter mes histoires
à une roche ramassée sur une plage et, à la fin de mon récit, de lancer ladite
roche dans la mer, de toutes mes forces. La réponse que j’obtiendrais serait assurément
moins silencieuse.
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