Il nous arrive
souvent, à F. et à moi, de nous demander mutuellement pourquoi nous nous
aimons. « Qu’est-ce qui a fait que tu es tombé en amour avec
moi ? » « Veux-tu ben me dire ce que tu me
trouves ?! » Généralement, on aime une personne pour des tas de petits
détails – sa manière de se pincer la lèvre lorsqu’il est gêné, sa façon de dire
« Oui, allô ? » lorsqu’elle répond au téléphone, le regard
tendre qu’il pose sur nous lorsque nous nous emportons à propos d’absolument
rien, la fossette qui se creuse dans ses joues lorsqu’elle sourit. Des éléments
qui paraissent banals aux yeux du reste de la planète mais qui, pourtant,
savent rendre concret notre amour. Parce qu’il s’agit d’un sentiment qui se
résume bien mal. Bien entendu, on s’aime aussi parce qu’on partage les mêmes
valeurs, parce qu’on a des rêves communs, parce qu’on s’admire réciproquement.
Mais ça, parfois, c’est plus difficile à mettre en mots. Ce qui est essentiel
trouve rarement le moyen de s’exprimer par la parole.
Hier, j’ai eu une
sorte d’illumination. Mon chum était en train d’arranger du poulet cru dans la
cuisine afin de me faire gagner du temps lorsque j’aurais à cuisiner le souper
aujourd’hui, tandis que moi, j’écoutais Shrek
avec les triplettes dans la pièce avoisinante. À ce moment précis, j’ai
ressenti une immense vague d’amour pour F.. Parce qu’il coupait du poulet cru,
oui. Depuis mon confortable divan, je lui ai lancé un « je t’aime »
bien senti. Il n’a pas trop saisi le motif de cette passion soudaine ; il
a tout de même accepté l’offrande.
Lorsque les petites
étaient couchées, je lui ai expliqué. Que je l’aimais pour ça. « Parce que
je coupe du poulet ? » Oui. Parce qu’en fait, ce poulet qui se
faisait charcuter par ses mains répugnées (il haït faire cette job de
dépeçage), il était le symbole de tous les sacrifices qu’il était prêt à faire
pour moi, pour ses enfants. Cette pièce de viande était l’image toute
matérielle de son engagement auprès de notre famille, de sa propension à
s’investir corps et âme pour que le quotidien soit agréable, pour que les
épreuves se traversent en douceur, pour que notre couple dure.
« Je t’aime parce
que tu n’as aucune idée préconçue du rôle que devrait jouer une femme dans une
maison et de celui que devrait tenir l’homme. Tu fais ce qui doit être fait,
point. Je t’aime parce que tu es le plus grand féministe que je
connaisse. L’égalité homme-femme pour toi n’est pas qu’un concept ;
c’est une façon de vivre au quotidien. Tu ne fais pas que souhaiter que
celle-ci existe ; tu t’organises pour qu’elle puisse prévaloir. »
Voilà ce que je lui ai dit. Il m’a répondu humblement – il a toujours de la
difficulté à accepter les compliments : « C’est la seule manière
d’être que je connaisse. Je ne me force pas pour agir de la sorte. Je suis
ainsi, c’est tout. » Mais ce ne sont pas tous les hommes qui sont ainsi.
Loin de là.
Mon chum popotte, mon
chum change des couches, mon chum a passé un an et demi à la maison avec moi
après la naissance de nos filles, mon chum me laisse partir plusieurs jours,
plusieurs fois par année, afin que je puisse me dédier à ma carrière
d’écrivaine et, surtout, mon chum considère toutes ces choses comme étant
normales. L’autre soir, je suis allée au théâtre avec un ami. Avant la
représentation, nous sommes allés souper. L’ami en question (bonjour, David!)
m’a avoué avoir été surpris que j’accepte de casser la croûte avec lui, croyant
que cela serait impossible avec mes trois enfants. Je lui ai répondu que
j’avais un chum extraordinaire. Et lui m’a lancé : « J’espère que
t’en es consciente, oui. » Parce que les autres garçons le savent, que des
hommes comme F., ce n’est pas la norme.
Dans mon entourage,
immédiat, j’observe beaucoup de ces super papas et de ces conjoints
merveilleux. Luc, Michel, Benoît, Nicholas… Ce sont autant d’exemples de grands
féministes – du moins, pour ce que j’en sais, puisque je ne suis pas là au
quotidien à épier leurs moindres faits et gestes. Cependant, je sais qu’en
dehors de ce cercle restreint dans lequel j’évolue, il y a des hommes qui
n’acceptent pas que leur conjointe gagne un salaire plus élevé que le leur, qui
ne mettent jamais les pieds dans la cuisine, qui ne seraient jamais prêts à
évaluer la possibilité de prendre le congé parental à la place de leur blonde,
même si cela s’avèrerait plus logique pour différents motifs ; des hommes
qui croient que les féministes sont des hystériques. Et ce ne sont pas que des
hommes issus de générations plus vieilles ; il y a parmi eux bien des
jeunes. Mais je n’ai pas écrit ce texte pour les juger. J’ai plutôt voulu
rendre hommage à ceux qui, au contraire, se battaient au côté des femmes pour
que plus aucune barrière ne les sépare.
Depuis deux semaines,
on entend beaucoup parler de rapports homme-femme, de relation de pouvoir,
d’agressions, de misogynie, de sexisme, de machisme, de dénonciation. Je comprends
le besoin que peuvent éprouver certaines femmes de sortir sur la place publique
pour enfin lever le voile sur les sévices que leur ont fait subir certains
hommes. Ce grand mouvement de libération était probablement nécessaire.
Cependant, déjà, il commence à y avoir des dérapages (je pense à ce
qui se passe présentement à l’UQAM) et des effets pervers.
Pour éviter les
dommages collatéraux, pour ne pas sombrer dans le totalitarisme (« les
hommes sont tous comme ceci, les hommes pensent tous comme cela »), je
crois qu’il est important que nous continuions d’offrir des portraits d’homme
qui n’ont rien à voir avec les monstres dont on parle en ce moment dans les
médias et sur les réseaux sociaux. (À ce sujet, je vous inviterais à aller lire
le
très beau texte de Michel Savard.) Il est primordial qu’on se rappelle
qu’une grande proportion des hommes sont nos alliés. Qu’ils ont leurs défauts
et leurs qualités, comme n’importe quelle femme, et qu’il ne faut pas cesser de
se laisser toucher par leur humanité.
Beaucoup de
chroniqueurs ont essayé de faire valoir ce point de vue, de manière souvent maladroite.
Foglia,
Petrowski
et compagnie se sont fait rentrer dedans parce qu’ils avaient voulu rappeler
que l’exception ne faisait pas la règle. (Je ne prends pas leur défense, pas
plus que je ne leur jette le blâme : je constate ce qui s’est passé, voilà
tout.) J’ai moi-même hésité avant d’aborder le sujet du féminisme à l’heure où
les propos se radicalisent et où le fossé tend à se creuser entre les
différents camps. Puis, je me suis dit que je pouvais parler de féminisme sans
devoir lancer la pierre à qui que ce soit.
J’ai eu envie de
parler de féminisme en parlant d’amour. J’ai eu envie de vous dire que j’étais
mariée à un homme incroyable auprès de qui être une femme n’est pas un
problème, mais une grande joie.
Mission absolument et entièrement réussie.
RépondreSupprimerBravo et merci.
Merci à toi Venise, de lire et de partager :)
SupprimerEt puis, tu vois, l'exemple de ton chum changera le modèle pour tes enfants. Mon père était aussi féministe, à la manière de ton chum, dans le quotidien. C'est clair que ce modèle entre mes parents a influencé ma vision du monde, du partage des tâches et de ce que c'était un "vrai homme" ou une "vraie femme": pas vraiment la vision traditionnelle des sexes...! :)
RépondreSupprimerEt j'ai la chance, le plaisir et la joie d'avoir un féministe pour mari moi aussi! Youppi! Et comme ils sont inspirants ces hommes-là! :)
Tu as raison Nomadesse, le fait d'avoir un papa féministe fera sûrement de mes filles des êtres plus sûrs d'eux-mêmes. C'est ce que ça apporte, un modèle de relation homme-femme sain et équilibré: la confiance en soi.
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