Hier, j’ai envoyé le
manuscrit de mon troisième livre à mon éditeur. Excitation, stress,
soulagement, un beau mélange de tout ça m’envahit aujourd’hui. Pendant une
fraction de seconde ce matin, je me suis sentie en vacances. J’avais
l’impression que j’étais libre de faire ce que je voulais puisque j’avais
accompli ce qu’on attendait de moi. Puis, je me suis rappelé que c’était faux.
Des vacances, quand on a choisi d’épouser le métier d’écrivain, on ne connaît
pas ça.
On n’a jamais vraiment
fini d’écrire. Avant même qu’un projet soit terminé, on est déjà en train de
penser au suivant. Et la vérité, c’est que personne n’attend rien de moi. Je
n’ai pas de date butoir, d’échéances ou de quotas à remplir. Je me fixe mes
propres objectifs et si je ne les remplis pas, je serai la seule à le savoir.
Il n’y a rien de plus terrible que cela.
N’avoir de compte à
rendre à personne, ça vous fout une angoisse, je vous jure. Moi en tout cas, ça
me rend dingue. Car je suis beaucoup plus exigeante envers moi-même que n’importe
quel client ou employeur ne pourrait l’être. Comme je ne dépends que de ma
petite personne, j’ai le sentiment que ce que je fais doit être irréprochable.
Je ne saurais pas trop
expliquer ce perfectionnisme exagéré. Je sais seulement que je place toujours
la barre plus haute par rapport à mes projets et à moi-même que je ne la place
pour les autres et leurs accomplissements. J’accepte que les autres se trompent
mais je refuse de me planter. Décevoir autrui serait pour moi un échec, mais je
ne suis pas capable de rentrer ceci dans ma petite tête : ce sont rarement
les autres que je déçois, mais beaucoup plus souvent mon petit nombril.
Les autres, bien
souvent, ils n’en ont rien à foutre. Les autres, si j’en n’écris pas de roman,
ça ne change pas grand-chose dans leur existence.
Mon perfectionnisme
est probablement une manière de me faire croire que ce que je fais dans la vie
est utile.
Bien sûr que ce l’est,
utile, l’écriture, les livres, la littérature, tout ça, mais quand tu es plongé
dans ton quotidien, ton mode de vie axé sur les enfants, la routine, les
besoins primaires, alouette, il y a quand même beaucoup de moments où tu te
demandes à quoi ça rime, la poésie, le fond, la forme, les mots, le bla bla.
C’est difficile de concilier la réalité avec la fiction. De toujours faire
concorder son besoin irrépressible de raconter des histoires et la nécessité
d’avoir les deux pieds sur terre. J’y arrive. Je crois même parvenir à faire de
petits miracles. Mais bon sang, c’est dur. Souvent.
J’ai la tête qui
grouille d’idées. « L’angoisse du poisson rouge » vient à peine
d’arriver sur le bureau de ma maison d’édition que déjà je suis en train de
réfléchir au tome II. Et j’ai une autre idée de recueil de nouvelles qui me
trotte dans le cerveau depuis quelques mois. Et je dois écrire un essai pour un
collectif pour la mi-janvier. Et j’ai promis à une artiste que je connais que
je lui écrirais deux chansons. Et je me suis engagée auprès de mon ancienne
commission scolaire pour participer à une activité de lecture avec les kids. Et je veux faire un album pour
enfants avec une amie. Et une BD, aussi. Et j’aurais vraiment aimé adapter mon
petit poisson rouge en film. Et, et, et.
J’ai de quoi m’occuper
pour les cinq années à venir. Quand je regarde cette liste, autant je me sens
pleine de motivation et je désire m’atteler à la tâche illico, autant je
déprime. Parce que parmi tous ces projets, il n’y en a pas un maudit qui va me
rapporter de quoi acheter trois paires de bottes d’hiver et trois suit. Pour ce qui est de m’habiller moi, on repassera.
Je vais bien recevoir
quelques droits d’auteur ici et là, mériter un ou deux cachets. Mais ça ne sera
pas de quoi faire vivre une famille. Je vais donc devoir faire autre chose.
J’ai peut-être l’air
de me plaindre, je vous assure, ce n’est pas le cas. J’aime ce que je fais et
je ne regrette pas d’avoir choisi cette voie. Le problème, il est là,
justement. J’aime ce que je fais. Je ne me vois pas faire un autre boulot.
Alors quand vient le temps de trouver quelle « autre chose » je
pourrais faire pour ramener un peu de pain en tranches sur la table en mélamine,
je fige. Je n’ai pas d’idées. Autant je peux avoir de l’imagination, autant sur
ce coup-là, je me sens démunie.
De la correction, de
la révision, de la rédaction, de la traduction, tralali, tralalère, j’en ai
fait, je pourrais bien continuer d’en faire, sauf que ça me gruge mon énergie
et quand vient le temps de m’asseoir pour réaliser mes projets, je suis vidée.
Je le répète : je
ne me plains pas, je rêve. Je fabule « à clavier haut ». Je vous dis
ce qui, vraiment, ferait mon affaire.
J’ai été hyper
chanceuse : en deux ans, j’ai eu la chance de recevoir deux bourses de
création, ce qui a fait en sorte que j’ai pu me consacrer entièrement à l’écriture
et pondre deux livres. Je voudrais juste que ça continue. Me trouver un
généreux donateur qui me paierait pour que je puisse me dédier totalement à ma
petite besogne sans trop me faire déranger (à part par les triplettes, mais ça,
c’est une autre histoire.)
Y’aurait pas un mécène dans la salle ?
Y’aurait pas un mécène dans la salle ?
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