J’ai réalisé il y a quelques temps que pour aller
mieux, il me faudrait revisiter certains moments douloureux des deux dernières
années, afin de me réconcilier avec eux et de prendre le dessus sur les
sentiments qu’ils avaient provoqués. Les derniers 24 mois de mon existence ont
été hauts en rebondissements. J’ai vécu
un déménagement outremer, j’ai tout laissé derrière
moi pour aller vivre dans un pays dont je connaissais peu la langue et où je
n’avais d’autres amis que mon chum, j’ai pris mon permis de conduire dans ce
pays où les gens conduisent en fou, j’ai écrit mon deuxième livre, j’ai appris
que j’étais enceinte, j’ai eu un premier trimestre de grossesse très
désagréable incluant beaucoup de fatigue et des maux de cœur en continu, j’ai
su que je ne portais non pas un, mais bien trois bébés, j’ai dû réorganiser ma
vie en quelques semaines à peine, je me suis à nouveau tapé un déménagement
outremer, j’ai dû repartir à zéro dans ce Québec que je croyais avoir quitté
pour beaucoup plus longtemps, avec F., on a emménagé chez ma mère qui nous
avait offert de nous accueillir pour la première année avec les petites, on a
dû trouver un job à mon chum, une voiture assez grande pour trois poupons et
leurs sièges auto, j’ai été mise au repos forcé à 5 mois de grossesse et c’est
dans la position semi-couchée que j’ai terminé l’écriture de « Point
d’équilibre », on m’a hospitalisée à 26 semaines de gestation et 3 jours
parce que j’étais déjà dilatée à 2 centimètres, 5 jours plus tard, je subissais
une césarienne d’urgence car mes bébés avaient décidé qu'il était temps de
sortir, j’ai passé deux jours de plus à l’hôpital et mes bébés, 4 mois, j’ai
fait l’aller-retour entre la maison et l’hôpital (50 km) pratiquement tous
les jours pendant ces 4 mois, durant lesquels je me suis aussi tapé des
complications liées à la césarienne (ma plaie saignait sans cesse pendant 10
jours et je devais porter des serviettes sanitaires À L’AVANT de ma petite
culotte), un énorme rhume, une otite et un poignet fracturé pour lequel il a
fallu qu’on m’opère et qu’on m’immobilise pendant deux mois, à la suite de quoi
mes filles sont finalement rentrées à la maison, on donnait 18 biberons par
jour et on changeait tout autant sinon plus de couches, on devait réveiller les
demoiselles la nuit pour les faire boire afin qu’elles engraissent davantage,
on les gavait de médicaments, on stérilisait des biberons et nettoyait des
cache-couches, on dormait par terre dans leur chambre car on avait un
concentrateur d’oxygène à la maison qui faisait un bruit infernal, on
s’assurait que Béatrice avait toujours sa lunette d’oxygène dans le nez, on
branchait Béatrice sur une bombonne quand on voulait aller prendre une marche
avec les bébés ou qu’il fallait se rendre à l’un de nos nombreux rendez-vous
(au moins un par semaine les premiers mois – pneumologue, pédiatre,
néonatalogistes, infirmière du CLSC, etc.), puis après à peine un mois à la
maison, Béatrice a contracté une pneumonie pour laquelle elle a été
hospitalisée un week-end, de nouveau de retour à la maison, son état s’est
dégradé – elle avait attrapé la coqueluche, soit la pire maladie infantile
qu’un enfant prématuré de son âge pouvait attraper –, on dormait toujours par
terre dans la chambre des petites, mais avec un œil à moitié ouvert car Béatrice
se tapait d’incroyables quintes de toux qui nous faisaient craindre le pire, et
voilà, le pire est arrivé, ou presque, Béatrice a cessé de respirer,
heureusement, elle était branchée sur un saturomètre qui s’est mis à sonner
pour nous aviser que quelque chose n’allait pas avec elle, elle a commencé à
devenir bleue, elle était inerte, on a tenté de la stimuler mais rien n’y
faisait, j’ai couru à l’étage pour réveiller G., mon beau-père ambulancier, il
a titubé jusqu’au sous-sol et a fait des manœuvres pour la réanimer, elle est
revenue à elle, nous tremblions, il était 3 heures du matin, mon chum et G.
l’ont amenée à l’urgence, moi, je suis restée avec les deux autres, je
n’arrivais pas à dormir, j’étais terriblement inquiète, la nuit suivante, je
trouvais qu’Alice n’allait pas très bien alors je l’ai branchée sur le
saturomètre de sa sœur, qui a sonné trois fois durant la nuit car elle faisait
des bradycardies, j’ai donc décidé de l’amener à l’hôpital elle aussi,
finalement, ce soir-là, la pédiatre m’a appelée pour me dire « Amenez donc
Léa aussi, tant qu’à faire, mieux vaut être prudents », je me suis rendue
à l’hosto avec Léa, ils avaient préparé une chambre juste pour nous, ils
avaient même prévu des lits pour F. et moi, car ils savaient qu’on passerait
beaucoup de temps-là, qu’on ne se remettait pas de la coqueluche en seulement
quelques jours, en bout de ligne, on a fait du camping à l’hôpital pendant deux
semaines, on dormait là, mangeait là, on s’était même acheté un frigo portatif
pour mettre nos réserves de nourriture, j’en profitais pour vendre des copies
de mon nouveau livre tout frais sorti des presses aux infirmières, je me suis
pris un congé de 24 heures pour monter à Montréal faire le lancement dudit
livre, j’avais les yeux qui fermaient tout seuls, le demi-verre de vin que
j’avais bu m’avait complètement amortie, quand l’épisode de la coqueluche s’est
terminé, on est rentrés à la maison avec notre petite famille, plus épuisés que
jamais, et on ne savait pas que l’enfer ne faisait que commencer, par la suite,
c’est la bronchiolite qui s’est invitée chez nous, il a fallu de nouveau
hospitaliser tout le monde, pour 8 jours cette fois-là, et si nous sommes
restés plus d’une semaine, c’était surtout pour essayer de trouver une solution
avec les médecins à notre problème le plus majeur, c’est-à-dire les biberons,
car nos filles ne buvaient presque pas, après deux onces, elles rejetaient
leurs biberons, alors on avait développé toutes sortes de trucs pour leur faire
avaler plus de lait, soit les faire boire en marchant ou en faisant des
flexions des jambes, ou les endormir pour les faire boire alors qu’elles
étaient inconscientes de le faire, or, les trucs ont fini par ne plus
fonctionner et tout ce que ça donnait, c’est que les trois bébés nous pétaient
des crises car elles ne voulaient rien savoir de la tétine qu’on leur mettait
de force dans la bouche, c’est un des pires sentiments que j’ai vécus, celui
d’agir contre la volonté de mon bébé, et contre la mienne, simplement parce que
les médecins nous disaient « c’est bon pour elles », mais ce n’était
pas vrai, ce n’était bon pour personne, et à un certain point, F. et moi avons
été assez lucides pour le comprendre, alors on s’est dit « ça suffit, à
partir d’aujourd’hui, nos bébés, on les écoute, et fuck les médecins », on
a commencé la bouffe solide alors qu’elles avaient 3 mois et demi d’âge
corrigé, c’était tôt, mais c’était clair que c’était la meilleure chose à
faire, que nos filles préféraient de loin la nourriture à ce maudit lait en
poudre qui puait les médicaments, alors j’ai commencé à faire des purées, à
cuisiner comme une défoncée pour que mes filles mangent ce qu’il y avait de
meilleur, puis Noël est arrivé, puis j’ai appris que j’avais obtenu la bourse
que j’avais demandée au Conseil des Arts et des Lettres du Québec et qu’il me
faudrait donc écrire un roman de 300 pages au cours de l’année 2013, comme les
filles allaient mieux, entre autres parce qu’une fois par mois, on les amenait
au CLSC pour recevoir une dose de Synagis (des anticorps contre la bibitte
causant le VRS, qui fait des ravages chez les prématurés), c’est moi qui
me suis mise à aller mal, j’étais vidée, l’hiver était interminable, on sortait
très peu, sauf pour les visites chez le pneumologue ou le pédiatre, je manquais
de lumière, j’avais des vertiges, des palpitations, de l’arythmie, je me
sentais tellement stressée que j’en ai même vomi à deux reprises, jamais ça ne
m’était arrivé, j’ai fini par aller consulter au sans rendez-vous, j’ai explosé
en sanglots dans le bureau du médecin, qui a été d’une grande gentillesse et
qui a simplement conclu que j’étais épuisée, sans être dépressive ou quoi que
ce soit d’autre, juste brûlée, elle m’a prescrit des Omega 3, des prises de
sang et un ECG pour être certaine que mon arythmie ne cachait rien de grave, et
elle m’a souhaité bon courage, j’ai passé les test nécessaires, alors que
j’étais en plein déménagement, car F. et moi avions décidé qu’il était temps
pour nous de quitter la maison de ma mère pour enfin avoir un espace à nous,
une semaine après avoir fait l’ECG, mon médecin de famille m’a appelée pour me
dire que les résultats révélaient quelque chose d’anormal, « soit que
c’est congénital et que ce n’est pas grave, soit que ça nous indique que tu as
fait un infarctus », une crise cardiaque sans le savoir, voilà ce qu’on
venait de m’annoncer que j’avais peut-être eu, il n’en fallait pas plus pour
faire grimper mon taux de stress à des niveaux inégalés, je passais mon temps à
me demander « mais quand est-ce que j’aurais bien pu faire cette maudite
crise cardiaque ? », je me sentais de plus en plus mal, mon problème s’était
amplifié au lieu de s’améliorer, je me suis mise à faire de l’insomnie, trop
inquiète et trop occupée à écouter les battements anormaux de mon cœur, au beau
milieu d’une séance de non sommeil, découragée, j’ai fini par me rendre à
l’urgence, il était 2 heures du matin, je n’en pouvais plus, je voulais
comprendre ce que j’avais et je ne pouvais pas attendre de voir le cardiologue
avec qui j’aurais un rendez-vous deux mois plus tard si j’étais chanceuse, on
m’a admise à l’urgence car mon ECG était effectivement anormal, on m’a fait
passer une panoplie de tests sanguins, une radiographie des poumons, une
échographie cardiaque, on m’a gardée pendant 18 heures pour finalement me dire
qu’on savait ce que j’avais mais qu’on ne comprenait pas pourquoi je l’avais,
le cardiologue voulait me revoir en clinique pour un test à l’effort et il
désirait me monitorer pendant une journée complète afin de mieux comprendre les
agissements de mon pauvre petit cœur, il a fini par conclure que je souffrais
du dysautonomie des systèmes sympathiques et parasympathiques, bref, le
parasympathique qui intervient normalement le soir pour faire en sorte qu’on
s’endorme et que notre pouls ralentisse, dans mon cas, il intervenait à tout
moment dans la journée et me faisait sentir comme si j’étais sur le point de
m’évanouir, ce genre de réactions, les médecins se l’expliquent mal, mais moi,
je sais très bien pourquoi mon corps faisait ainsi, il me disait juste à sa
manière « Mélissa, va te coucher, maintenant, TOUT DE SUITE, je t’en
supplie », mais je ne l’écoutais pas, car je ne pouvais pas, je rêvais
juste d’aller une semaine dans le Sud, de dormir au soleil, de faire le plein
de vitamine D et de recharger mes batteries, mais c’était impossible, car
j’avais trois petites filles de qui prendre soin, et un mari qui lui aussi
commençait à manquer dangereusement d’énergie, qui ne serait bientôt plus
capable de garder le fort comme il le faisait depuis déjà plusieurs mois, je
voulais tellement aller mieux que j’en faisais de l’angoisse, et voilà,
paraît-il que j’aurais même expérimenté des crises de panique, toujours sans le
savoir, je n’avais pas le temps de m’en rendre compte, pas le temps de réaliser
que je n’avais jamais été aussi près du fond du puits, parce que je devais
faire la vaisselle, passer la mope pour la troisième fois de la journée, plier
les 4 brassées de linges qui traînaient dans la chambre depuis trois jours,
faire le dîner, donner la collation, faire le souper, écrire ce putain de livre
de 300 pages, non mais quelle idée j’ai eue de demander une bourse pour écrire
alors que j’avais des triplées d’à peine un an à la maison, mais en même temps,
une chance, une chance que j’ai eu cette bourse, que j’ai écrit, car bien que
ce fut un stress supplémentaire, ce fut également une échappatoire, une bouée
de sauvetage, un projet auquel j’ai pu m’accrocher pour me sentir vivante, me
sentir autre chose qu’une femme en décomposition, dépossédée d’elle-même, et
l’été est arrivé, avec ses promesses de beau temps tenues à moitié, sa visite
italienne qui débarquait à Lévis pour un mois et demi, ses sorties, ses
vacances pas si reposantes que ça, et l’été tire presque à sa fin, et la vie
continue, et je dis que je vais mieux, et c’est vrai, mais n’empêche, quand je
regarde derrière moi, je me dis aussi que j’ai raison d’être essoufflée
que j’ai raison d’écrire sans mettre de points entre
les phrases
Raison d'être essouflée tu dis!?? Je le suis qu'à lire le billet!;) lâches-pas.
RépondreSupprimerT'as raison et j'ai respiré presque au même rythme que toi au cours des deux dernières années. Bonne écriture, je te lirai avec grand plaisir.
RépondreSupprimerMerci Marianne! Bonne écriture à toi aussi, puisque je sais que la rentrée sera pour toi l'occasion de rattraper un peu le retard accumulé dans tes projets d'écriture... Hâte de voir le résultat :)
RépondreSupprimerEt merci à toi, GeSirois, pour les encouragements :)
Fiou Mélissa... je suis essoufflé rien qu'en te lisant. Vous êtes pas mal courageux toi et ton chum. Je vous envoie mes encouragements les plus positifs à tous les 5 et, qui sait, au plaisir de te voir au lancement de ton prochain livre.
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