Par où commencer ? Je ne
trouve plus le début. D’où partir pour réussir à exprimer mes pensées ? Je
les accumule depuis trop de jours, trop de mois, sans jamais avoir le temps de
les formuler, les digérer, les rendre au monde. Elles forment maintenant un amalgame
pêle-mêle et douloureux, une boule d’angoisse dure et opaque.
À trop retenir les mots, on finit
par créer des monstres.
Mon état d’esprit n’a pas
beaucoup changé depuis la dernière chronique laissée sur ce blogue. Au mieux
a-t-il empiré. Je me sens dégénérer, craquer, exploser. Si la folie était
liquide, on pourrait la voir suinter de mes pores, laisser des traces gluantes
sur le sol après chacun de mes pas. On pourrait croire que j’ai chaud, que je
sue, que c’est normal, avec trois bébés, il faut courir à gauche et à droite,
des journées aussi remplies, ça vous élève une température corporelle, mais
non, cela n’a rien à voir avec la fièvre des horaires trop chargés. Je ne suis
pas simplement débordée : je suis dépassée.
Je ne suis pas seulement la mère
de trois petites filles : je suis une femme exténuée qui ne comprend plus
ce qu’elle doit faire pour que sa vie redevienne vivable.
Aujourd’hui, F. m’a intimée de
rester à la maison pour prendre du temps pour moi, tandis que lui est retourné
à l’hôpital prendre soin de Léa, Alice et Béatrice. Parce que oui, elles sont
encore à l’hôpital. Elles sont nées le 18 avril 2012 ; nous sommes le 1er
novembre, plus de six mois après leur naissance, et entre les deux, elles ont
passé à peine un mois avec nous à la maison.
Nous sommes le 1er
novembre, jour des morts. Jour des sous-la-terre, jour de ceux pour qui s’est
terminé depuis longtemps, jour des corps qui se reposent. Faut-il attendre la
mort pour avoir deux minutes à soi ou cela est-il possible un peu avant ?
Parce que je n’ai pas pour projet de mourir bientôt, or, j’aurais vraiment,
mais alors vraiment besoin de repos.
Mes petits monstres, je les aime,
d’un amour brûlant et inexplicable, toutefois, en ce moment, je n’aurais aucune
gêne à les laisser au plus offrant. Je m’abstiendrai évidemment de dire à
l’acheteur que le modèle vient avec quelques petits défauts de fabrication, que
ceux-ci devraient s’estomper avec le temps mais que d’ici là, faudra endurer les
demoiselles comme elles sont. Malheureusement, la DPJ et la Protection du
Consommateur n’ont toujours pas conclu d’entente et il n’existe aucune garantie
prolongée sur les bébés.
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