Les temps ont changé. La terre a
tremblé. Ma vie ne sera plus jamais la même.
J’ai fait un lapsus en rédigeant
cette phrase : j’ai écrit la « mienne » plutôt que la
« même ». Ma vie ne sera plus
jamais la mienne. Parce que je suis une maman. La mère de trois
merveilleuses petites filles pleines de courage et de vigueur. Mon unique
priorité dorénavant est de m’assurer qu’elles soient bien, qu’elles aient tout
ce qui leur faut pour guérir, grandir, devenir des petites humaines
surprenantes.
Quand j’étais enceinte, j’en
avais l’impression, maintenant, j’en possède la conviction : Léa, Alice et
Béatrice vont changer le monde. Elles ont d’abord changé le mien, puis,
bientôt, elles changeront le vôtre. Elles sont venues ici parce qu’elles
avaient de grandes choses à accomplir. Entourées des autres enfants de leur
génération, elles se chargeront de modifier le cours de l’histoire, de mettre
fin à notre torpeur, de faire avancer les causes les plus nobles. De réaliser
les rêves que nous mijotons depuis si longtemps mais auxquels nous n’avons
jamais eu la force de donner vie.
Tous s’entendent pour dire qu’il
se passe quelque chose d’extraordinaire au Québec en ce moment – extraordinaire
dans le sens de « en dehors de l’ordinaire ». Nous assistons au
réveil d’un peuple qui trop longtemps s’est laissé endormir par les discours
politiques et autres puissants somnifères. La jeunesse a envahi les rues et
crié au visage de ses aînés leurs quatre vérités. Plusieurs, beaucoup moins
jeunes, ont emboîté le pas et choisi de militer auprès de leurs enfants. Un
incroyable élan de solidarité s’est emparé des citoyens, des voisins
individualistes à qui nous n’avions jamais parlé auparavant, des quidams les
moins politisés. Les gens descendent ensemble
dans la rue pour faire valoir une cause commune.
Nous semblons redécouvrir peu à peu le sens des mots bien commun et projet de
société.
C’est dans ce contexte
effervescent que j’ai donné naissance à mes triplettes. Et à une échelle plus
personnelle, j’ai pu remarquer à quel point les gens peuvent être généreux,
solidaires et dévoués. J’ai reçu des dizaines et des dizaines de mots
d’encouragement, des dons en argent, des sacs de vêtements, des jouets, divers
articles pour bébés, la plupart du temps de la part de personnes que je connaissais
peu ou prou. Des inconnus ont fait preuve d’une incroyable grandeur d’âme à mon
égard. Beaucoup se sont laissés toucher par mon histoire. Émus, ils ont voulu y
contribuer, par de petits gestes, de sincères paroles. Jamais je n’aurais pensé
qu’une naissance pouvait soulever autant d’enthousiasme et déclencher de si
belles vagues de bonté. Par les réactions que leur venue a provoquées, déjà, Léa,
Alice et Béatrice ont à mes yeux changé le monde ou, du moins, l’opinion que
j’avais de celui-ci.
Le monde change, oui. Il bouge.
Au propre comme au figuré. En Italie en ce moment, il vibre sans cesse. Sous
les pieds apeurés la terre se meut. Le paysage se refaçonne et fait frémir un
peuple désemparé devant la force inexpugnable de la nature. La ville d’origine
du père de mes enfants est présentement « zone rouge ». C’est l’état
d’alerte. Le centre historique est fermé depuis des semaines, devant la menace
d’écroulement de certains buildings – dont certains datent de l’époque
médiévale. Si j’étais restée en Italie comme prévu, je serais probablement en
train d’accoucher en pleine nature en ce moment, car l’hôpital de Carpi a été
fermé et les patients ont été placés dans des tentes dans le parc adjacent. Les
grands-parents des triplettes, qui ne peuvent rien faire d’autre qu’espérer que
les secousses s’estompent et que le calme revienne, passent leur journée à
attendre que le temps s’écoule et qu’arrive le moment de leur départ pour le
Québec, où ils viendront en août prochain. Ils regardent les photos de leurs
petites-filles et cela leur procure le courage nécessaire pour passer au
travers de cette épreuve. Léa, Alice et Béatrice, petites porteuses d’espoir.
Visages inspirants, moues apaisantes, regards déterminés.
La terre tremble. Le monde
change. L’avenir est incertain et le présent, confus. Dans tout ce chaos, les
enfants sont la seule certitude que nous puissions avoir. Grâce à eux, nous
gagnerons. La vie aura raison, et tout ce qui tente de la ternir, de
l’ensevelir, de la briser, périra sous les armes des guerriers solidaires.
Je viens de découvrir ton blogue et je le lis donc très en retard. Je me rappelle ce moment où j'étais en grève, avec mon bébé d'un an qui m'accompagnait parfois à l'université. Le fait d'avoir un enfant, de penser à l'avenir, mais aussi au passé (mes parents et mon parcours étudiant), m'ont fait réaliser beaucoup de choses en 2012. L'importance de la solidarité, de la réflexion, de l'espoir qu'un monde un peu plus juste soit possible. Et même si j'en entends qui disent que la crise de 2012 est bel et bien oubliée et derrière nous, je sais que moi, elle m'a changée. Elle m'a rendu plus humaine et plus sensible aux décisions politiques. Tout ça amplifié par ce désir que mon bébé grandisse dans un pays juste.
RépondreSupprimer