Depuis que je suis mère, j’ai l’impression que
ma vie se résume à une chose : faire des commissions.
Il y a quelques semaines, avec F., nous nous
sommes rendu compte que lorsque nous n’étions pas en train de faire à manger, de
nettoyer la nourriture qui s’était ramassée partout sauf dans la bouche de nos
enfants, de passer le balai ou la mope,
de laver la salle de bains, de partir une brassée, de plier une brassée, de tenter
d’endormir notre progéniture insomniaque ou de nous endormir nous-mêmes (ça
devient difficile, parfois, quand tu es trop fatigué, de trouver le sommeil),
nous étions généralement en train de faire des commissions.
Il nous arrive bien une fois de temps en temps
de faire autre chose – nous taper
quelques épisodes de séries télé, lire un livre (à un rythme de 200 pages par
mois, genre), faire une sortie au musée ou dans un autre endroit family-friendly –, mais ce sont des
exceptions à la règle de notre quotidien : mange, torche,
sors-faire-des-commissions.
Si seulement je pouvais vendre un million
d’exemplaires du livre ayant pour titre ce qu’est devenue ma vie.
Va à l’épicerie, dépense 200$, retourne-y trois
jours plus tard parce qu’il ne reste déjà ni fruits ni légumes, passe chez
Jean-Coutu faire le plein d’eau de mer pour les nez bouchés et de serviettes
sanitaires pour les femmes menstruées (tout en ayant une pensée pour le jour où
vous serez quatre dans la maisonnée à devoir vous padder le fond de culotte), fais un détour par la SAQ parce que le
vin est ton antidépresseur préféré, bifurque par le Comptoir des infortunés de
la Rive Sud parce qu’il y a beaucoup plus mal pris que toi dans la vie et qu’à
la vitesse à laquelle grandissent tes trois gamines, des sacs de vêtements à
donner, tu en remplis toutes les deux semaines, va chez Sears acheter de
nouveaux outfits parce que t’sais,
maintenant que t’as tout donné ce qu’elles avaient, faut ben que tu leur
trouves autre chose à porter, va à la quincaillerie pour acheter le bidule qui
manque pour réparer la gogosse qui gosse, arrête faire le plein d’essence,
bifurque par la lunetterie pour faire ajuster les lunettes de Léa l’intello
(sérieux, c’est surprenant ce que peut faire un enfant de deux ans avec ses
lunettes), rends-toi au bureau de poste pour récupérer le colis que le facteur
n’a pas cru bon te remettre en main propre même si tu étais à la maison toute
la journée (c’est sûr que quand on cogne à la porte pour savoir si les gens
sont là, on a plus de chances d’obtenir une réponse), fais un bond chez Uniprix
parce que c’est là que l’eau de mer est en spécial cette semaine (on est
vraiment des maudits gros consommateurs d’eau de mer, ouais), traverse de
l’autre côté du pont, file chez Costco et va remplir deux paniers de pots
d’olives format géant (tes filles ont une étonnante dépendance aux olives), de
pains, de deux-trois plats préparés (depuis que t’es mère, t’as la définition
du homemade un peu plus large
qu’avant), de couches, de vêtements, mais pas de livres parce que tu défends
les librairies indépendantes, alors va encourager ta librairie préférée et
achète des bouquins pour les petites et quelques romans pour toi, au passage,
que tu mettras quinze ans à lire avec ta médiocre moyenne de 200 pages par
mois.
Je vous ai épargné les sorties au dépanneur
pour acheter du lait le lundi matin parce qu’évidemment, on oublie toujours de
regarder la veille s’il nous en restera assez pour les céréales.
Bref, ma vie se résume pas mal à faire des
commissions.
Quand on s’est mis à réfléchir au problème,
avec F., on a dû faire un constat plutôt troublant : notre existence avait
l’air de ça avant aussi, même sans enfants dans les parages. OK, nous allions
plus souvent au cinéma, nous faisions davantage de bonnes bouffes entre amis et
il nous arrivait de sortir dans un bar pour prendre un verre, cependant, le
reste du temps, nous commissionnions.
C’est donc dire que le mange-torche-sors-faire-des-commissions serait davantage
le symptôme de notre société de consommation, de notre mode de vie de banlieue
(mode de vie que plusieurs citadins adoptent sans pourtant habiter le
territoire dit banlieusard) et de notre insatiable soif de toujours avoir plus,
de toujours avoir mieux.
L’autre chose que j’ai remarquée depuis que je
suis génitrice, c’est que beaucoup de personnes, pourvues d’intentions
absolument louables, veulent faire de petits cadeaux à tes flos et ne savent souvent pas quoi leur offrir, alors elles leur
achètent des toutous.
C’est mignon, les toutous, c’est
attendrissant, les toutous. Toutoutefois,
ça prend de la place en maudit. Pis ça ne sert pas à grand-chose – les enfants
ont généralement un ou deux toutous préférés, les autres, ils s’en sacrent
éperdument. C’est la triste réalité des toutous. Et cette réalité-là, elle est
également symptomatique de notre société de consommation. Elle va de pair avec
le mange-prie-sors-faire-des-commissions, puisqu’il faut bien aller quelque
part pour se les procurer, ces maudits tas de mousse faits en Chine. Et qu’il
faut bien aller quelque part pour s’en débarrasser (sans que les mômes ne s’en
aperçoivent, car bien qu’ils aient une seule peluche qui leur tienne
véritablement à cœur, ils deviennent soudainement amoureux des autres membres
de la collection lorsqu’on menace de décimer celle-ci parce qu’on est écoeuré
de faire des brassées de toutous chaque fois qu’un putain de virus rentre dans
la maison).
On va se le dire, un toutou qui a tumblé dans la sécheuse, ça fait pitié. Pis
nous aussi, des fois, on fait pitié, avec nos First World problems.
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