Ces temps-ci, je me réfugie dans la
fiction. J’ai eu envie de vous offrir un refuge à vous aussi : un extrait
de mon roman en cours – la suite de L’angoisse
du poisson rouge. En grande primeur mondiale, donc, un monologue tiré du
chapitre « Les pieds froids », écrit aujourd’hui même. Bref, c’est du
tout chaud. Ça risque d’évoluer, mais justement, c’est ça qui est chouette :
de voir d’où ça part pour ensuite constater où c’est allé.
Je suis vraiment content de te voir, mon
Fabio, ça faisait un bail, j’ai pas chômé depuis le contrat qu’on a fait
ensemble, c’est tant mieux pour moi tu vas me dire, pis t’as bien raison, je
suis chanceux, je manque jamais de boulot, sauf que je t’avoue que des fois, je
prendrais bien une pause, c’est juste fou, avec les enfants, le plus jeune qui
est encore aux couches pis que je dois aller porter à la garderie tous les
matins à l’autre bout de la ville, en compagnie de celui du milieu qui est en
plein dans son Fucking Four, sérieux, je me demande ce que ça va être à l’adolescence, et la plus grande qui
est entrée en première année, faudrait que je l’aide à faire ses devoirs quand
elle rentre de l’école, elle est en train d’apprendre à lire, c’est important,
mais je suis pas là la plupart du temps, c’est Camille qui les garde jusqu’à ce
que Magalie rentre de travailler, pis je me fierais pas à elle pour apprendre
le français à ma fille, ses textos sont bourrés de fautes et de mots que je
comprends pas, on vient d’engager une femme de ménage qui va venir torcher la
maison une fois aux deux semaines, ça devrait nous donner un coup de main,
c’est constamment le bordel chez nous, j’ai un ami aussi qui m’a parlé d’un
nouveau service, c’est des madames qui
viennent à domicile préparer ta bouffe, genre du pâté chinois, des pâtés au
poulet, c’que tu veux, pis elles remplissent ton congélateur et elles s’en
vont, comme ça, t’as pus à te tracasser la tête avec les repas, tu pourrais
faire ça mon Fabio pour arrondir tes fins de mois, ha ha ha ha ha ha ha,
sérieux, ta lasagne est mauditement bonne, j’en prendrais bien deux-trois pour
emporter, blague à part, je pense que je vais peut-être faire appel à ce
service-là aussi, histoire qu’on ait un break, un peu de temps pour nous, c’est
dommage, j’ai toujours aimé cuisiner, mais là, on a juste pus le temps, ma
blonde chiale parce que je m’occupe pas assez d’elle, les tournages ont souvent
lieu de soir ces temps-ci, donc quand je rentre tout le monde dort et pas
question que je réveille ma blonde pour qu’on fasse l’amour, elle est brûlée,
elle aussi, elle a besoin de se reposer, son travail lui gruge pas mal
d’énergie, éducatrice spécialisée dans une école primaire, c’est ça qu’elle
fait, elle me répète souvent qu’avoir su qu’élever ses propres enfants, c’était
aussi difficile, elle aurait choisi un métier qui impliquait pas de devoir
s’occuper de ceux des autres, je pense qu’elle est sur le bord du burnout, pis je la comprends,
moi itou, des fois, je sens que le gouffre est pas loin, sauf que, qu’est-ce
que tu veux qu’on fasse, on peut pas débarquer du train pendant qu’y est en
marche, faut suivre le beat, c’est ça le deal, c’est ça qu’on attend de nous, qu’on travaille
comme des débiles pour payer des taxes pis des impôts, pis qu’on ait pas trop
le temps de réfléchir au reste, tout ça pendant que le gouvernement, lui,
s’occupe des vraies affaires, mais dans nos vies à nous, qu’est-ce qu’il reste
de vrai, je me la pose presque tous les jours cette question-là, je suis plus
trop sûr de savoir à quoi ça rime, gagner de l’argent, avoir un statut social,
OK, mais qu’est-ce qu’il nous reste, dans nos poches, mais pas juste, dans nos
mémoires aussi, quel genre de souvenirs est-ce qu’on se bâtit, à passer nos
jeunes vies à courir après notre queue, quelle vieillesse y va nous rester, pas
grand-chose, ma vieillesse, j’ai plutôt l’impression qu’elle va se résumer à la
maladie, une personne sur deux va supposément choper le cancer dans sa vie,
donc ça va être soit moi, soit ma blonde, pis si c’est elle la malchanceuse, va
toujours bien falloir que je l’accompagne pis que je m’en occupe, parce que
c’est sûrement pas nos enfants qui vont le faire, ils vont être bien trop
occupés à travailler eux autres avec, ramer fort pour rembourser leurs prêts
hypothécaires pis leurs dettes d’études, parce que l’air de rien, même si on
fait des bons salaires, Magalie pis moi, on n’y arrive pas, à mettre de
l’argent de côté pour les études de nos flos, c’est pas possible, entre manger
aujourd’hui ou avoir la possible fierté de dire que mes enfants vont aller à
l’université demain, je choisis le steak haché, t’sais, ça fait qu’eux aussi
vont s’endetter, et ils vont répéter la roue à l’infini, surtout qu’on dirait
bien qu’ils vont avoir encore moins de chance que nous, parce que le
gouvernement coupe partout pis que tout s’enligne pour coûter plus cher, en
tout cas, une chance que je les ai, pareil, ces trois morveux-là, même s’ils
sont un paquet de troubles, je les aime comme j’ai jamais aimé personne avant,
pas même ma blonde, c’est juste indescriptible comment tu te sens devant tes
enfants, chaque jour, ça grandit, les sentiments que t’as pour eux, ils sont
beaux, tout ce qu’ils font est merveilleux, tu leur pardonnes tout, y compris
leur ingratitude, parce qu’on s’entend, c’est ça le pire avec eux, ils te
disent jamais merci, ils te tiennent pour acquis, pis y’ont raison les torieux,
au fond, tu pourrais jamais arrêter de les aimer, peu importe les conneries
qu’ils pourront faire, ça fait que tu continues de te fendre en quatre pour
eux, de te priver sans cesse pour qu’eux puissent avoir ce qu’ils souhaitent,
des sacrifices, mon homme, t’en fais constamment avec des enfants, mais ça te
dérange pas, tu te poses pas de questions, tu le fais, c’est tout, pis t’es content,
t’as l’impression de servir à quelque chose, chaque sacrifice te donne
l’énergie de poursuivre ta course, ça donne un sens à ta fatigue, n’empêche,
profitez-en pendant que vous êtes encore libres, que vous avez pas à trimballer
un sac à couches, du linge de rechange pis une collation chaque fois que vous
sortez au dépanneur acheter de la liqueur, c’est pas des farces, ça te prend
deux valises pour aller souper chez des amis, je vous le dis, moi, voyager
léger, c’est impossible quand t’as des enfants, parlant d’eux-autres, je vais
lâcher un coup de fil à Théo, Julia et Guillaume pour leur souhaiter bonne
nuit, ça vous dérange pas trop si je vais dans votre chambre ?
Ah oui, j'aime beaucoup. Il y a beaucoup de choses de très vraies là-dedans et ça donne le goût de décrocher encore plus de la réalité métro-boulot-dodo ça! :)
RépondreSupprimer