Depuis que je suis revenue
d’Italie, le Québec est envahi par les petits carrés rouges. Je suis les
développements de la lutte estudiantine qui bat présentement son plein avec
beaucoup d’intérêts. De mon divan, grâce à la télé en direct, j’assiste à toutes
les manifestations. Je rêverais de pouvoir participer à chacune d’entre elles,
or, ma condition m’en empêche. Je me contente donc de crier mon désaccord
depuis le confort de mon salon, d’informer les membres de ma famille au sujet
de cette cause qui me tient tant à cœur, de débattre avec les amis qui viennent
me visiter (quoi que le débat soit plutôt inutile, puisque nous avons pas mal
tous le même point de vue), de lire tous les articles qui s’écrivent sur le
dossier, de confronter mes idées à ceux qui appartiennent au camp adverse afin
de solidifier mes propres arguments. Bref, je milite à ma manière, dans la
mesure de mes capacités.
Pourquoi je me sens si concernée
par cette question ? Parce que j’ai moi-même terminé mes études il y a un
peu plus de deux ans et que je devrai continuer de payer pour celles-ci pendant
encore 13 ans. Je suis parmi les « chanceuses » qui avaient droit au
système de prêts et bourses ou, plutôt, de prêts tout court. Vers la fin de mes
études, bien que je n’étais plus considérée à la charge de mes parents et que
seul mon salaire d’étudiante était calculé pour déterminer l’aide dont j’avais
besoin, je n’avais droit qu’à quelques milliers de dollars en prêts. On
considérait que les 12 000$ en moyenne que je réussissais à faire dans une
année en travaillant dans un magasin de vêtements étaient suffisants pour me
permettre de mener une vie décente.
Loyer, épicerie, facture
d’électricité, de téléphone (fixe, lâchez-moi le iPhone, ça n’existait pas
encore!), sorties (parce que oui, désolée, mais s’ils veulent préserver leur
santé mentale, les étudiants ont parfois besoin de sortir de chez eux pour
aller ailleurs qu’à la bibliothèque), vêtements (scandale : je m’achetais
parfois du linge NEUF, mesdames et messieurs – entre autres parce que je
travaillais dans la mode et que mon employeur m’obligeait à adopter un certain
code vestimentaire), laissez-passer d’autobus mensuel (et entretien de mon vélo
– je l’admets, j’osais parfois me déplacer autrement qu’avec l’autobus), achat
de livres et de matériel scolaire, frais de scolarité, imprévus (médicaments –
parce que les étudiants aussi pognent parfois un mauvais virus –, visite chez
le dentiste, bris d’ordinateur, etc.) : tout ça, j’aurais dû pouvoir me le
payer grâce à mon salaire. Pourtant, en 2003, Statistiques Canada considérait
que le seuil de la pauvreté pour une personne vivant seule à Montréal était de 19
795 $. Bref, dire que j’étais pauvre serait un euphémisme.
Je ne m’en cacherai pas :
avec mes prêts, en plus de payer mes frais de scolarité, je me suis permis
quelques « extravagances », c’est-à-dire deux ou trois voyages avec
mon sac à dos (et non dans un tout inclus). Je suis allée en Espagne et au
Portugal pendant trois semaines ainsi que dans la région de Vancouver, pour une
période de temps équivalente. Loin de percevoir ces déplacements comme des
dépenses inutiles, je les entrevoyais comme des investissements. Ne dit-on pas
que les voyages forment la jeunesse ? J’ai ouvert mes horizons, enrichi ma
culture personnelle, appris de nouvelles langues, rencontré des gens de partout
sur la planète, échangé avec eux, en plus d’apprendre à me débrouiller avec les
moyens du bord. En d’autres termes, ces voyages étaient pour moi l’extension de
ma formation universitaire – une autre forme d’éducation. Je ne les regrette
donc aucunement aujourd’hui, même si je continue d’en payer les frais – avec
intérêts.
Ma vie d’étudiante fut malgré
tout très heureuse et j’en garde pratiquement juste de bons souvenirs. Je
l’avoue, je suis même encore très souvent nostalgique de cette époque et il me
vient souvent l’envie de retourner sur les bancs d’école pour développer de
nouvelles expertises et étancher ma curiosité insatiable. Par ailleurs, bien
que je sois détentrice d’une maîtrise, ma situation professionnelle et
financière demeure très précaire (peu importe ce qu’en disent les défendeurs de
la hausse, qui prétendent que tous les étudiants universitaires font un salaire
nettement supérieur au reste de la population). Jusqu’à tout récemment, je ne
fermais pas la porte à un éventuel retour aux études, dans un domaine un peu
plus « concret » qui me permettrait de gagner un peu mieux ma vie.
Or, maintenant, ce projet est entré dans la catégorie des rêves irréalisables.
Avec l’augmentation des frais de scolarité prévue au cours des cinq prochaines
années, je n’aurai probablement jamais les moyens de poursuivre mes
apprentissages et d’améliorer ma condition. Si j’ai de l’argent à investir dans
l’éducation de quelqu’un, c’est dans celle de mes filles que je le placerai.
Voilà la raison principale pour
laquelle je soutiens avec autant de ferveur la cause des étudiants : les
trois demoiselles que je porte en ce moment dans mon ventre. Bientôt, elles
verront le jour, découvriront le monde, ses beautés, ses drames, feront aller
leurs grands yeux et leurs mains curieuses un peu partout, chercheront à
comprendre comment, pourquoi. Dans un avenir pas si lointain, elles entreront à
l’école primaire et, si elles sont comme leur mère, elles éprouveront un
plaisir fou à apprendre à lire et à écrire. À mon instar, elles demanderont
peut-être même des devoirs supplémentaires à leurs professeurs, insatisfaites du
minimum qu’on exigera d’elles. Puis, viendra le moment où elles devront penser
à un choix de carrière. Peut-être choisiront-elles de faire un DEP
(sincèrement, je leur souhaite presque), mais peut-être aussi voudront-elles
suivre mes traces et faire de longues études dans un domaine pas nécessairement
payant mais pourtant très stimulant.
Dans 18 ans, lorsqu’elles me demanderont
si je peux les aider à payer leurs frais de scolarité, que devrai-je leur
répondre ? Que 10 000$ par année par tête de pipe, c’est absolument
au-dessus de mes moyens ? Parce que rendu en 2030, lorsque mes enfants
seront prêtes à entamer leurs études postsecondaires, combien coûtera un
diplôme universitaire ? Ce que prône le gouvernement libéral actuel, c’est
non seulement une augmentation de 325$ par année sur cinq ans, mais aussi et
surtout un dégel à long terme des frais de scolarité. Ce qui pourrait très bien
signifier que dans cinq ans, la hausse se poursuivra, sous prétexte que le coût
des études doit augmenter comme tout le reste. Inflation et indexation pourraient
mener les générations futures à devoir payer des sommes exorbitantes pour pouvoir
s’instruire.
Le gouvernement de Jean Charest
se targue d’être généreux en jurant qu’il compensera la hausse en bonifiant le
régime de prêts et bourses. Laissez-moi rire. À qui profitera la bonification
de ce régime, vraiment ? Comme les auteurs de ce
texte, j’ai tendance à croire que ce sera aux institutions bancaires. Et
qui aura droit à ces fameux prêts ? Les gens qui font 5 $ et moins
par année ? Je rappelle que moi, à l’époque, je ne faisais que 60% du
salaire considéré comme étant le seuil de la pauvreté, et je n’avais le droit
qu’à des miettes de pain… J’oserais rappeler aussi qu’en 2005, les étudiants
ont dû descendre dans la rue (cette fois-là j’étais de la fête) pour convaincre
le même gouvernement libéral d’annuler les coupures de 103 millions $
faites dans le programme de prêts et bourses. En conclusion, ce que proposent
aujourd’hui Charest et son équipe comme compromis, c’est exactement ce qu’ils
menaçaient de nous enlever il y a sept ans et ce pourquoi nous nous sommes déjà
battus.
Je ne sais pas si mes filles
seront des intellectuelles ou si elles préféreront des activités plus sportives
ou manuelles, mais une chose est sûre, très jeunes, elles auront appris
l’importance de se battre pour ses idées et de ne jamais se laisser engourdir
par les discours des politicailleux. Mes triplettes, elles sauront se tenir
debout, tête haute et pancarte de protestation au bout des bras.
Mes triplettes, malgré leur très
jeune âge, portent fièrement le carré rouge.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire