En vacances, j’aime bien ne rien faire. Regarder le vide,
somnoler, analyser la forme des feuilles des arbres, me rendormir, rêvasser,
marcher pour n’aller nulle part. Dans ces moments de farniente, je pense
beaucoup, mais généralement à des choses futiles – du moins en apparences.
Ainsi, durant une promenade paresseuse, je me demanderai pourquoi il est si
forçant pour le corps de gravir des marches ou une montagne, tandis que la
descente s’effectue si facilement? Et cette question essentielle : où va
l’eau évaporée de la mer, des rivières et des lacs qui s’assèchent lorsqu’elle
ne retourne pas à la terre sous forme de pluie?
Je me pose aussi (ou plutôt me « repose ») des
questions plus existentielles comme « Pourquoi est-ce qu’on a si peur de
mourir, qu’on voudrait tant retarder le moment de sa disparition, mais qu’en
parallèle, on sacrifie son temps en s’adonnant à des activités complètement
dépourvues de sens (à vous de juger lesquelles, on a tous des passe-temps plus
ou moins insignifiants)? » On dirait qu’une personne doit passer proche de
mourir en choppant le cancer ou en ayant un accident grave pour se rendre
compte de la valeur de son existence et, surtout, de la brièveté de celle-ci.
Pourtant, la fin que nous ferons, nous la connaissons tous. Pourquoi avoir
besoin de tels rappels avant de se consacrer à ce qui a vraiment du sens pour soi?
Ce qui a du sens, ça peut être toutes sortes de choses – la
spiritualité, le sport, l’artisanat, la lecture, la philosophie, la cuisine, le
bénévolat, name it. Il n’y a pas de
sens prédéterminé – c’est généralement pour cela qu’on dit que la vie est
absurde –; il n’y a que le sens qu’on choisit pour soi. Ces deux derniers mots sont importants : ce qui est
primordial, signifiant et fondamental pour
soi. Le sens dont on souhaite doter son existence n’est pas transférable,
c’est-à-dire qu’il ne peut s’appliquer qu’à sa propre vie. Ce n’est pas parce
qu’on a trouvé la réponse à toutes ses questions métaphysiques que celles-ci peuvent
s’appliquer à l’ensemble des gens qui nous entourent – voire de l’humanité.
Cette quête est intime et les résultats auxquels elle nous
mène sont tout aussi personnels. Ainsi faut-il se méfier des gourous de toutes
sortes, de ceux qui clament que le yoga/la méditation en pleine conscience/le
jogging/le véganisme*/l’islam/le judaïsme/le christianisme/la naturopathie/la
vie à la campagne/les voyages/ajoutez à cette liste tout ce que vous considérez
qui donne du sens à votre vie – de tous ceux qui clament que tout ça, oui, ça
va vous sauver, vous rendre meilleurs ou faire de vous des êtres bons. En elles-mêmes,
toutes ces choses comportent effectivement du bon, mais on ne peut pas juger un
individu parce qu’il n’applique pas certains de ces principes dans sa vie ou
qu’il n’effectue pas une ou l’autre de ces activités.
Aucun choix de vie ne nous rend supérieurs ou inférieurs aux
autres, simplement parce que ces choix n’en sont pas toujours. Ce n’est pas nécessairement
par faiblesse, manque d’éducation, méchanceté, paresse ou indifférence que les
gens regardent le hockey plutôt que de pratiquer leurs asanas/dorment une heure
de plus plutôt que d’aller courir avant de se rendre au travail/mangent de la
viande plutôt que du tofu et des légumineuses/préfèrent le doute à la foi, les
Advil (méchantes pharmaceutiques!) aux huiles essentielles pour guérir leur mal
de tête/aiment mieux la rue Sainte-Catherine que le troisième rang de
Sainte-Cécile/le confort de leur foyer plutôt que les auberges de jeunesse/etc.
Ce qui nous rend plus confiants, plus en santé, plus énergiques, plus en
harmonie avec nous-mêmes et le reste de l’univers n’est pas nécessairement ce
qui va combler les failles existentielles de notre voisin.
Personnellement, je ne l’ai pas trouvé, « mon
sens ». Je cherche encore. J’essaie des choses. Beaucoup de choses.
Certaines me plaisent, d’autres me fatiguent. D’aucunes réussissent à faire les
deux en même temps, c’est-à-dire que certaines activités me comblent de
satisfaction autant qu’elles m’épuisent. Mon métier entre dans cette dernière
catégorie. Écrire m’est nécessaire et m’apporte un sentiment d’accomplissement
que rien d’autre n’a jamais réussi à me procurer, toutefois, je trouve
également cela très difficile. Ce n’est pas l’écriture en elle-même qui me
donne du mal, mais le fait que parce que j’ai choisi d’en faire un métier, pour
avoir une quelconque valeur, cette écriture doit plaire au plus grand nombre
possible. Autrement, comment je réussirai à le payer, mon loyer?
Lorsqu’on est employé dans une compagnie, il faut en quelque
sorte plaire à son patron; on doit accomplir ses tâches d’une manière qui lui
convient, autrement, on se voit montrer le chemin de la porte assez rapidement.
Si, à l’inverse, on tombe dans les bonnes grâces de son employeur, on pourra
espérer obtenir une promotion. (Je sais, mon exemple est réducteur, mais vous
comprenez le concept.) L’écrivain, lui (je donne cet exemple parce que je le
connais bien, mais l’écrivain n’est pas le seul dans ce genre de situation),
s’il veut améliorer ses conditions de vie, doit constamment élargir son
lectorat. Il ne peut pas se contenter d’avoir dix lecteurs, aussi fidèles et
intéressés soient-ils. Même en en ayant 100 fois plus que cela, il n’ira pas
très loin.
Quand on y pense, avoir convaincu 1000 personnes de lire son
livre, c’est énorme. Mais si, dans l’absolu, ce chiffre est assez
impressionnant, en termes économiques, il ne représente que des écales de
cacahouète. Pour arriver à vivre de sa plume, c’est la curiosité de beaucoup
plus de gens que l’écrivain devra piquer.
Dans l’absolu, encore une fois, la seule personne à qui mon
écriture devrait plaire, ce serait à moi. La satisfaction que procure cet acte
devrait être inhérente à l’acte lui-même. Dans une conception de l’art pour
l’art, effectivement, cela serait suffisant. Mais dès que l’art se transforme
en activité à visée lucrative, on nourrit par défaut l’ambition de répondre aux
exigences d’autres que soi. Le plus d’autres
possible. Les projets de roman ou de nouvelles auxquels je me consacre, ce sont
ceux en lesquels je crois. Au départ, ce que j’écris, je l’écris parce que j’en
ai envie, tout simplement. Je développe uniquement les personnages et les
histoires qui me parlent, qui me semblent importants.
Voilà, à moi, ils semblent importants. Mais comme je l’ai dit
et répété plus haut, ce qui a du sens et de l’importance pour moi n’en a pas
automatiquement pour autrui. Si je publie des livres, ça doit être parce qu’au
fond de moi, je pense que ma parole vaut la peine d’être entendue et qu’elle
pourrait résonner chez plusieurs. Mais il y a des jours où, sincèrement, je ne
suis plus si convaincue que mes mots (ni ceux de qui que ce soit d’ailleurs)
méritent d’être diffusés. Ces jours-là, seul le silence m’apparaît une
aspiration légitime. Rien ni personne mis à part le vent dans les branches ne
devrait avoir le droit de parole.
*Consciente des nombreux
débats (pour ne pas dire « attaques ») qui ont eu lieu récemment sur
les réseaux sociaux et ailleurs concernant le véganisme, j’ai hésité à insérer
ce mot dans ma liste, mais j’ai décidé de le laisser parce que justement, ce
qui se passe en ce moment avec le véganisme illustre très bien mon propos. J’ai
en horreur la manière qu’ont certaines personnes (je dis bien CERTAINES
personnes) de distinguer les méchants mangeurs d’animaux des gentilles
personnes qui se nourrissent uniquement de substances d’origine végétale. Ce
n’est pas parce qu’on est vegan qu’on est une bonne personne, et vice-versa. Et
ce
n’est pas parce qu’on mange du quinoa qu’on va sauver la planète.