Tout le monde aime le
bacon (même les végétaliens,
qui se rabattent sur des succédanés faits à base de soya). C’est gras, c’est
salé, ça réunit tout ce qu’il y a de plus mauvais pour la santé, et c’est
justement pour cette raison qu’on trouve ça si bon. Quand on devient parent, on
finit par apprécier ça un peu moins. Parce que le bacon se transforme alors en
synonyme de crise incontrôlable.
On dit effectivement
des enfants mécontents qui se couchent sur le sol en battant des bras et des
jambes, tout en hurlant, qu’« ils font le bacon » – comme s’ils
frétillaient dans une poêle bien chaude.
Hier, F. et moi avons
eu droit au triple bacon. Nos triplées de deux-ans-presque-et-demi ont
décidé qu’elles pétaient les plombs, les trois en même temps. Catastrophe.
Après une matinée dans
un verger, où nous avions cueilli des pommes, flatté des chèvres et joué à
cache-cache, nous avions décidé d’emmener notre ribambelle dîner chez
McDonald’s (oui, oui, nous sommes de mauvais parents au point où nous faisons
parfois manger à nos enfants des croquettes de poulet faites à partir d’une
substance rosâtre s’apparentant à tout sauf à de la viande), et pour nous
récompenser de vouloir leur faire plaisir, elles se sont étalées de tout leur
long sur le plancher du restaurant. Qui était plein, bien évidemment.
Tous les yeux étaient
tournés vers nous. Chaque individu présent sur place avait l’air de se demander
« Comment ces deux parents vont-ils gérer la chose ? » Dans le
regard de certains, j’ai cru pouvoir lire l’envie de nous voir exploser à notre
tour. Je suis convaincue que secrètement, plusieurs personnes souhaitaient nous
voir perdre le contrôle et gueuler comme des perdus contre nos enfants pas
sortables. Malheureusement pour eux, ce n’est pas ce qui est arrivé. Nous avons
plutôt dignement pris nos cliques et nos claques, sans élever la voix ou la
main. Nous avons calmement rembarqué la marmaille dans la minivan, tout en soulignant
que c’était la dernière fois avant un méchant bout de temps qu’elles mettaient
les pieds dans un McDo.
Par contre, une fois
les portes coulissantes de la voiture refermées, je ne vous dis pas que je ne
les ai pas engueulées comme des McFilets de poisson pourris, ces enfants qui
m’ont donné honte comme jamais dans ma vie. Je leur ai inutilement mentionné
que plus jamais nous ne referions d’activités avec elles, tant et aussi
longtemps qu’elles n’auraient pas l’argent pour se les payer elles-mêmes, leurs
maudites sorties. Bien évidemment, je ne parviendrai jamais à tenir cette
promesse en l’air. Dès la semaine prochaine, nous risquons de nous faire avoir
de nouveau en les traînant aux Galeries de la Capitale ou dans je ne sais plus
quel autre endroit si attrayant pour les jeunes familles. Parce que lesdites
jeunes familles sont les premières victimes de la fameuse société des loisirs.
On aime nous laisser
croire que si nous n’amenons jamais nos enfants au parc d’attractions, au
musée, au cinéma, aux quilles, dans les festivals, au zoo, à d’Arbre en Arbre,
au Village-Vacances-Valcartier-où-une-journée-ce-n’est-pas-assez, les pauvres
seront malheureux et auront probablement besoin d’une psychanalyse rendus à
l’âge adulte.
Mon chum et moi, nous
sommes les premiers à courir les festivités, à vouloir inscrire nos enfants à
des cours et à leur faire voir du pays. Hyperactifs de nature, nous avons de la
difficulté à tenir en place et malgré la fatigue, nous sommes incapables de
nous retenir de virailler sans cesse
à droite et à gauche. Comme si c’était notre manière de prouver que le fait
d’avoir eu des triplées ne nous empêchait pas de vivre. « C’est pas trois
bambins au prise avec leur terrible two
qui vont nous ralentir ». Des fois, je nous trouve cool de penser ainsi. Puis d’autres fois, je nous trouve cons en
sapristi.
Impossible de nous
arrêter deux minutes. Finalement, le bacon, c’est nous autres. Deux belles
tranches bien grasses qui sautillent à qui mieux-mieux.
Il y a bien des fins
de semaine où nous nous disons « Bon, aujourd’hui, d’la marde, on prend ça
relaxe. » C’est exactement dans ces moments-là qu’on finit par en faire le
plus. Sous prétexte que nous sommes restés en pyjamas tout l’avant-midi, nous
avons l’impression d’avoir paressé ; en vérité, nous avons plutôt profité
de ce trou dans notre horaire pour passer la balayeuse à la grandeur de la
maison, ranger la salle de jeux, préparer les repas pour les trois jours suivants,
nettoyer la salle bains et plier quatre brassées de linge. Le seul instant où
nous nous sommes véritablement arrêtés, c’était pour aller aux toilettes –
parce que deux bols de café, ça vous rend les intestins productifs.
Peut-être qu’en
faisant le triple bacon hier, nos filles tentaient simplement de nous envoyer
un message ? « Hey, les parents, calmez-vous donc le pompon !
Pourquoi on irait pas dîner tranquille à la maison à la place ? On passe
notre temps à courailler, me semble qu’on serait dus pour décompresser. »
En bout de ligne, nous
avons mangé un humble restant de pâtes et joué à Monsieur Patate une partie de
l’après-midi. Et si c’était ça, au final, une vie de famille épanouie ?