Noël s’en venait. Et
il allait être blanc. Il y avait déjà un mètre de neige partout, les gens
faisaient du ski de fond sur les trottoirs de Montréal alors que décembre
commençait à peine. C’était en 2007. J’étais vraiment très amoureuse. Mais pas
de mon chum.
J’avais rencontré
quelqu’un d’autre. Un gars, dans un de mes cours à l’université, il me faisait
de l’œil avec ses tatous et son crâne rasé. C’était un faux rebelle, plein d’humour
et de tendresse. Il me regardait comme jamais personne ne l’avait fait. Je me
sentais tellement belle sous ses yeux, même avec mon air de fille en fin de
session qui boit trop de café et qui porte des cols roulés parce que le
chauffage fonctionne toujours mal dans nos belles institutions d’enseignement
sous-financées.
C’était à ces yeux-là
que je voulais appartenir.
Ça me torturait. Je
ne mangeais plus. Je ne dormais plus. J’étais un cliché ambulant. Je suis une
fidèle, moi, dans la vie, je ne trompe pas mes chums, même quand ils ne me
rendent pas heureuse. Ma loyauté est quasiment une maladie.
Je n’arrivais pas à
chasser l’image du beau chauve tatoué de mon esprit ni à tout dire à mon copain
et à enfin mettre mes culottes (j’aurais dû, j’aurais peut-être eu moins froid
dans les salles de classe). J’étais incapable de quitter l’épave qui me servait
d’amour. La relation que j’entretenais depuis trois ans avec cet artiste génial
qui s’avérait un piètre amoureux était vouée à l’échec, c’était écrit dans le
ciel blanchi par les flocons. Malgré tout, je ne parvenais pas à me décider et à
le lui dire. Je casse.
J’étais incapable de
mettre en branle mon opération déneigement. De déblayer les chemins de mon cœur
et de faire fondre les monticules d’amour malade, gris comme la slush, qui me
pesaient sur la poitrine.
Je déteste tout ce
qui se termine. J’ai donc étiré ça aussi longtemps que je l’ai pu. Puis à un
moment donné, ça a cassé tout seul.
Après avoir bu trop
de bières dans un bar qui n’existe même plus aujourd’hui, mon beau chauve m’a
avoué que lui aussi, il avait envie de moi. C’était brut. Ça faisait mal. Ça
lui sortait par les tatous. Une mince pellicule de désir. Comme de la sueur,
mais en encore plus transparent. Quelque chose qui vous donne encore plus de
frissons quand le coup de chaleur a fini par passer. C’était insupportable de
beauté comment on se voulait lui et moi.
Il avait une blonde.
Il était aussi pas libre que moi. Qu’est-ce qu’on allait en faire, de tout cet
amour inconsommable ?
On ne s’est pas
embrassé, on ne pouvait pas. Il a à peine effleurer mes lèvres lorsqu’il s’est
penché pour me faire la conventionnelle bise d’amitié.
Cet effleurement, c’est
la fois où j’ai fait l’amour le plus intensément de ma vie.
Le 19 décembre 2007, cinq jours avant le réveillon, j’ai laissé le génie
d’artiste qui me tenait lieu de copain. En chattant,
sur Internet, pendant qu’il était au travail. La chose la plus moche qui soit. Ça
ne lui a pas fait un pli. C’était ce que je détestais le plus chez lui :
jamais rien ne le dérangeait.
Le plus dur, ça n’a pas été de le laisser, lui, mais plutôt tout ce avec
quoi il venait. Tous les amis que nous avions en commun. Le mode de vie qui était
le nôtre et qu’on allait dorénavant devoir prendre en garde partagée. L’appartement
dans lequel on vivait. Et Noël.
J’étais censée passer le réveillon chez ses parents, en pyjama devant le
foyer, à manger du ragoût de pattes et des biscuits aux épices en forme de
petits bonhommes heureux. Je ne voyais pas comment cela serait possible.
Comment je pourrais faire semblant d’être bien dans mon pyjama en
flanalette, sur le divan de mes beaux-parents, tandis qu’en vérité, je n’aimais
plus leur fils. C’est pour ça que je l’ai laissé. Parce que Noël s’en venait et
que le jour de la naissance de Jésus, des accroires, tu ne peux pas t’en faire.
Tu dois dire la vérité, être toi-même, sinon, la dinde en sauce et les atocas
se digèrent moins bien.
J’ai laissé mon ex par respect pour notre Sauveur.
C’est du moins ce
dont j’essayais de me convaincre, parce que je filais un sapristi de mauvais
coton.
Plutôt que des
cantiques qui réchauffent le cœur, c’est des plaintes en ré mineur que je
chantais à la journée longue. D’autant plus que mon beau chauve, lui, il ne l’avait
pas laissée, sa blonde. Il avait trouvé le courage nécessaire pour lui mentir,
pour aller célébrer avec elle, dans les églises, dans les salles paroissiales,
dans les sous-sols de mononcle, dans les cuisine de grand-mère, partout où il
fait bon faire semblant d’être heureux. J’attendais un message de sa part, des
signaux de feu, n’importe quoi, juste pour me donner de l’espoir, me faire
croire que je ne finirais pas ma vie seule.
Ils ne sont jamais venus. Ni le message, ni mon beau chauve.
Il n’avait jamais été
question pour lui de quitter qui que ce soit. Il était bien là où il était. Son
couple n’était pas parfait, mais il lui convenait. C’est comme ça qu’on fait
des enfants j’imagine : en s’accommodant de l’imparfait. Moi, des enfants,
je pensais bien que je n’en ferais jamais. J’étais à nouveau célibataire et la
personne pour qui j’avais éprouvé le plus de désir dans ma vie ne voulait plus
de moi.
Je me suis mise à
envier Marie, la mère vierge. Je trouvais que ça avait été plutôt facile pour
elle. J’étais jalouse de sa manière de vivre l’amour : sans rien toucher.
Et puis, le jour de
Noël, elle était plutôt bien entourée, elle. Un âne, un bœuf, tout le tralala.
Moi, je n’avais plus personne pour me réchauffer les doigts de pieds en dessous
des draps glacés.
Quand mon ex est
rentré du réveillon familial, il a ramené un paquet pour moi. Mes anciens
beaux-parents avaient décidé de m’offrir le cadeau qu’ils m’avaient acheté, même
si j’avais jeté leur fils comme du vieux papier d’emballage tout fripé.
C’était peut-être ça
Noël, finalement : donner un cadeau à feu notre bru, être généreux avec
les gens qui n’ont pas toujours été gentils avec nous, offrir sans compter,
sans s’attendre à recevoir en échange, abandonner des présents ici et là en espérant
qu’ils changeront tout pour ceux qui les trouveront.
Donner des cadeaux de
Noël comme on se sépare. Annoncer à celui qui a partagé notre vie pendant
plusieurs années qu’entre nous, c’est terminé, de manière désintéressée. Pas
parce qu’un autre garçon nous attend quelque part, simplement parce que celui-là
n’était pas le bon.
Jamais personne ne
nous attend. Nulle part. Il n’y a que la neige qui soit fidèle.
Cette année-là, il
est tombé 3,1 mètres de neige sur Montréal. La ville s’est endettée de 3,4
millions de dollars à cause des opérations déneigement rendues nécessaires par
la poudreuse qui déferlait en continu.
Et mon cœur, lui, a été
enseveli sous les glaces.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire