mercredi 12 février 2014

Paul Larocque, la Saint-Valentin et le duct tape

J’ai toujours quelque chose à dire. Sur à peu près tout. On me l’a déjà reproché d’ailleurs. « On sait bien, toi, t’as une opinion sur toute. » C’est plutôt positif, dans la vie, d’être capable de se forger une opinion à propos de plus ou moins n’importe quel sujet. Pourtant, ce n’était pas un compliment.

Je parle beaucoup, c’est vrai. Particulièrement quand je suis gênée ou mal à l’aise – oui, la logorrhée peut être un indice de gêne, croyez-moi. J’ai la jasette facile, un peu trop au goût de certains. Il faut dire que même moi, je me trouve fatigante à l’occasion. Il m’est plus d’une fois arrivé de revenir d’un souper entre amies en me demandant « Est-ce que j’ai trop parlé ce soir ? Est-ce que j’ai été assez à l’écoute ? » Je repassais alors dans ma tête les discussions qu’on avait tenues, en essayant de me rappeler si j’étais toujours celle qui les avait menées ou si j’avais su prendre mon trou à certains moments.

Ce n’est parce qu’on est exubérante qu’on n’a pas conscience des autres.

J’ai toujours quelque chose à dire. Pourtant, depuis quelques semaines, j’ai l’impression que peu importe ce que je raconterais, ce serait sans intérêt. Pour de la fiction, ça va, je continue à avoir des idées, mon cerveau bouillonne, j’ai d’ailleurs commencé à tracer l’ébauche de mon prochain projet d’écriture. Toutefois, pour le reste, je considère que je n’ai rien de signifiant à ajouter au discours ambiant déjà saturé d’interventions inutiles.

Saturée, moi aussi, je le suis.

J’en ai marre d’entendre des insanités dans les médias, d’écouter de faux experts me parler de concepts qu’ils prétendent maîtriser alors qu’ils n’ont qu’une connaissance partielle des faits, de lire les humeurs de tous ceux qui savent enligner plus de trois mots (presque sans faire de fautes de syntaxe), de voir défiler les commentaires au bas des chroniques insipides qui circulent sur les réseaux sociaux.

Je suis tannée de vivre dans un monde où la liberté d’expression a fait place au droit à la bêtise.

Nous vivons dans une société hypocrite qui aime bien se faire croire que toutes les opinions se valent, alors qu’il n’y a rien de plus faux. « Ses [sic] une ostie de bitche [sic], a mérite pas de vivre. Anywé [sic], ses [sic] toute [sic] des folles ! » n’équivaut en rien à une réplique du genre « Bien que je désapprouve son comportement condescendant, je comprends que ce qui motive ses gestes, c’est le désespoir et l’absolu besoin d’être aimée. »

Je crois avoir déjà écrit à ce sujet. Je me répète. Ce doit être l’âge, additionné au fait que la situation ne s’améliore pas avec le temps, au contraire. Il semble y avoir de plus en plus d’espace sur la place publique pour les journalistes indécents de l’école paullarocqueste (« Ça fait quoi, madame, d’avoir tout perdu ? »), pour les vox populi dépourvus de contenu (« Et vous, que pensez-vous du froid ? Pis du trafic ? Pis de la Saint-Valentin ? Pis tant qu’à faire, croyez-vous qu’on serait mieux de choisir une autre journée pour la fête des amoureux, vu qui fait frette en ‘baslaque le 14 février ? »), pour les témoignages sensationnalistes (« Je comprends pas pourquoi c’est faire que y’a fait ça, c’était un bon gars pourtant, y les aimait, ses filles », dixit le voisin du cousin de la demi-sœur du beau-frère de celui qui vient de tuer ses deux enfants parce qu’il n’acceptait pas que son ex se soit recaser avec un plus jeune.)

On vit dans un beau monde de paroles vaines et d’images tordues.

À moi, souvent, ça m’enlève l’envie de la prendre, la parole. J’en viens à me demander si ce que j’aurais à ajouter est nécessaire, ou si ça ne ferait que nourrir l’impertinence générale. Il y a des jours où j’ai l’impression que mes idées pourraient faire avancer les choses, tranquillement. D’autres où j’ai juste envie de m’acheter une grosse roulette de duct tape chez Canadian Tire, de me l’enrouler au complet autour de la face, puis de me la fermer à jamais.


Certes, j’aurais les mains encore libres, donc je pourrais continuer d’écrire. Mais je m’assurerais de ne produire que des histoires inventées. Des mondes imaginaires où les mots ont encore une valeur.